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Dernière partie d’une enquête sur les conséquences des conflits armés sur les conditions de vie des femmes en Colombie. Quel rôle jouent-elles dans la construction de la paix ?

Depuis décembre 2014 et la déclaration de cessez-le-feu des FARC, colombiennes et colombiens se sont pris à espérer une accélération de la marche vers la paix.

Mais le printemps a battu en brèche ces espérances. En effet le 11 avril 2015, en dépit du cessez-le feu, onze soldats ont été tués par la guérilla. Embuscade ou pas ? L’opinion en a été choquée et le 21 mai l’armée bombardait en représailles un camp des FARC, provoquant dès le lendemain la levée de la trêve décrétée en décembre. Retour cependant d’un peu d’optimisme début juillet lorsque les FARC se sont déclaré-e-s disposé-e-s à une nouvelle trêve d’une durée d’un mois…

On le voit bien, les obstacles à une paix intégrable et durable restent considérables. Le cessez-le-feu est fragile et ne concerne que les FARC, tandis qu’un autre groupe de guérilla, l’Armée de Libération nationale (ELN) et les bandes criminelles restent en dehors des négociations. Les demandes des FARC en termes de transformations sociales, qu’ils jugent incontournables, et de conditions de leur réinsertion à la vie civile sont loin de faire l’unanimité. La démilitarisation complète et le retour à la sécurité des zones actuellement contrôlées par les groupes armés ne se décrétera pas à La Havane où se déroulent les négociations…

Situation éminemment complexe, processus de longue haleine, à dix, quinze ans ? qui demandera la bonne volonté de tou-te-s.

Quelle participation des femmes au processus de paix ?

Et puisque les femmes colombiennes ont porté leur fardeau spécifique dans le conflit qui a pesé sur le pays durant 60 années et ravagé à jamais les conditions de vie de beaucoup d’entre elles…

Puisqu’il y a 40% de femmes parmi les combattant-e-s, volontaires ou recrutées de force, avec leur expérience spécifique au sein de la guérilla…

Puisque beaucoup de femmes ont courageusement mis en place des formes d’organisation collective face aux violences qu’elles subissaient..

Puisque des femmes ont inlassablement réaffirmé, dans les pires conditions guerrières, sans haine, leur volonté pacifiste…..

Ne devraient-elles pas participer, à part égale avec les hommes, au processus de paix ?

Ce n’est pas la représentation actuelle des femmes dans les instances politiques qui le permettra: 11,5% à la Chambre des députés, 15,7% au Sénat, 17% dans les conseils municipaux (malgré l’obligation de 30% d’inscrites sur les listes).
Ce n’est sans doute pas non plus la mise en place d’une sous-commission de genre à La Havane qui suppléera à leur quasi-absence à la table officielle de négociations (3).

Alors, comment faire ?

Les femmes que j’ai rencontrées auraient beaucoup de choses à dire. Quelques unes de leurs réflexions:

«Un des effets positifs du désarmement sera de rendre visible les femmes guerrières. La question de la violence inénarrable passe par le fait de reconnaître les actes barbares commis par des femmes.

Il faut dépasser la vision de femmes pauvres victimes pour celle de femmes prenant en main leur destin.

La guerre doit s’arrêter mais d’abord les cœurs des Colombiens doivent changer.

Les guérilleras, qui sont à peu près toutes d’origine paysanne ou ouvrière, vont représenter d’autres rôles de femmes que leur rôle traditionnel.

La drogue les a tout-e-s imprégné-e-s. Les guérilleros veulent continuer à contrôler des territoires. La richesse est une tragédie. Il y a un désir de paix mais comment est-on en train de la faire ?

Il y a eu à La Havane une rencontre émouvante entre les femmes de la guérilla et des représentantes de la société civile. Les guérilleras avaient peur que les autres les rejettent, mais un vrai contact a été possible.

Ceux de La Havane, il faut qu’ils impliquent les femmes avant tout. »

Où, quand, comment les femmes diront-elles ce qu’elles ont à dire, voire à SE dire, pour avancer vers la paix ?

Pour ma part, il me semble qu’un assemblée constituante pourrait être une réponse à la gravité du moment vécu par la Colombie, à une nécessaire construction d’un nouveau «vivre ensemble». Femmes et hommes de la société colombienne y réfléchiraient, à part égale, avec du temps pour débattre et inventer. Parce qu’il y aura forcément beaucoup à inventer si l’on veut parvenir à une vraie réconciliation durable.

Annette Vazel 50-50 magazine

1 Le président Santos a rencontré François Hollande en janvier dernier et sollicité justement la coopération de la gendarmerie nationale française pour former une police rurale dans ces zones abandonnées. Un journaliste français lui a demandé « Envisagez-vous d’intégrer les guérilleros démobilisés à cette police rurale ? », ce à quoi Santos a répondu « Je n’y avais pas pensé. Mais il est possible d’y réfléchir. », déclenchant par ses propos une forte polémique en Colombie.

2 Les groupes armés ont tiré leurs ressources des extorsions, des séquestrations, du narcotrafic, de l’exploitation du territoire qu’ils contrôlaient et même parfois des multinationales du pétrole qui leur ont payé d’énormes droits de passage pour leurs oléoducs.

3 Les FARC ont intégré à leur délégation une femme … hollandaise ! Quant à la délégation gouvernementale elle ne comporte aucune femme. Par ailleurs sa leader dans la sous-commission de genre a laissé sa place pour devenir candidate à un poste de gouverneur. Elle avait pourtant eu des propos intéressants sur le rôle de cette sous-commission «non pas de considérer la femme avec un regard de revictimisation mais comme un facteur fondamental dans la recherche et la construction de la paix.»

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