Articles récents \ France \ Société Conversation avec une Femen : «notre féminisme est une haine assumée envers un système qui oppresse les femmes mais pas une haine envers les hommes eux-mêmes» 1/2

Pauline Hillier est écrivaine et activiste chez les Femen depuis fin 2012. Elle a notamment été une des plumes du manifeste des Femen et a pris part à de nombreuses actions spectaculaires. Retour sur les coulisses du happening du 1er mai, l’organisation et les perspectives du mouvement Femen.

Comment avez-vous organisé l’opération coup de poing du 1er mai pendant le discours de Marine le Pen ?

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Les images du happening du 1er mai

Notre organisation fonctionne comme une équipe de foot. Vous avez vu au balcon celles qui ont marqué le but mais tout le reste de l’équipe a participé à la construction de l’action.

Celles que l’on voit sur les images ne sont en fait qu’une petite partie des personnes impliquées, puisqu’il y a énormément de gens qui préparent une action, pour la gestation de l’idée, la construction du scénario, l’écriture des slogans et la réalisation du matériel dont nous avons besoin.

Ensuite, il y a le temps de l’action et de la gestion de ses conséquences. Il faut assurer le service après-vente puisque nous faisons cela pour qu’on nous donne la parole sur un sujet qu’on a choisi, en faisant des interviews, des discussions et des conférences.

Avez-vous eu beaucoup d’actions qui ciblaient des personnalités politiques ?

Ils sont l’essentiel de nos cibles. On vise en premier lieu les politiciens et les représentants religieux. Nous sommes déjà allées au vote de Marine le Pen à Hénin-Beaumont, nous avons sauté sur la voiture de Dominique Strauss-Kahn au procès du Carlton, nous avons interpellé François Hollande à la maison de la Poésie. Pour l’instant, Marine le Pen est la seule femme qui subit nos attaques car elle est à la tête d’un parti fasciste. C’est à son idéologie que nous nous attaquons et pas à sa personne.

Combien sont les Femen et où sont-elles ?

Nous sommes présentes dans treize pays (1), avec des équipes plus ou moins fournies, mais on compte autour de 200 activistes dans le monde. Et puis des dizaines de milliers de sympathisant-e-s nous suivent sur les réseaux sociaux.

Est-ce que vous avez des projets d’implantation dans d’autres pays ?

Nous sommes pour un soulèvement global féministe et toujours très motivées pour ouvrir de nouvelles branches. Des demandes nous parviennent de l’étranger, de femmes qui ont envie d’utiliser notre mode d’action pour s’exprimer. Mais les personnes qui veulent travailler avec nous ne sont pas toujours fiables et/ou ont du mal à rassembler autour d’elles un petit noyau d’activistes. C’est un processus laborieux, difficile, qui nécessite beaucoup d’heures de conversation.

Parfois, ces activistes font les choses dans le désordre: elles commencent à donner des interviews en se disant Femen avant de faire une action. Nous leur disons qu’il faut d’abord qu’elles agissent car nous sommes avant tout un mouvement de rue.

Y-a-t-il des hommes proches des Femen ?

Mieux que ça, il y a des hommes membres des Femen ! Nous sommes un mouvement mixte. Simplement, les hommes ne sont pas affectés aux mêmes missions que nous, c’est-à-dire qu’ils ne seront jamais activistes, parce que nous estimons que ce combat doit être porté par les femmes. Si quelqu’un doit se prendre des claques ou des coups de poing, il faut que ce soit nous qui les prenions. Il faut que nous soyons en première ligne. Les hommes ne sont pas non plus présents aux postes de direction. Ils participent au processus créatif et au débat démocratique, ils peuvent fournir des outils informatiques, financiers, proposer des idées mais ils ne sont ni acteurs ni décisionnaires du mouvement.

Femen a fait l’expérience en son sein d’être grignoté par des comportements patriarcaux. Il y a eu un membre en Ukraine, Viktor Sviatsky. Il a commencé à prendre trop de place et à vouloir prendre le pouvoir. C’est un phénomène bien connu dans les mouvements féministes mixtes: dans une assemblée générale avec 300 femmes et 10 hommes, les hommes habitués à avoir beaucoup la parole prennent autant de place que les femmes ! Les militantes du MLF avaient fait le choix de la non-mixité dans les années 70. Chez nous, les choses sont claires. Le moindre comportement patriarcal est immédiatement réprimé.

Quelles sont vos relations avec les autres organisations du mouvement féministe ?

Nous collaborons beaucoup et répondons toujours quand nous sommes sollicité-e-s, comme dans le cas du collectif droits humains (lire notre article sur les droits humains). Nous sommes toujours hyper motivées pour le faire dans la mesure où les propositions respectent nos valeurs et nos idées. Nous sommes d’accord sur tout avec Osez le féminisme ! ou les Effronté-e-s. Femmes Solidaires a des positions qui rejoignent les nôtres sur les religions et la laïcité.

Souvent, les militantes des Femen découvrent l’engagement féministe en entrant chez nous. Je découvre moi-même le réseau féministe. Nous faisons plus du réseautage avec d’autres activistes qu’un réseautage uniquement féministe. On a par exemple été rédactrices en chef d’un numéro spécial de Charlie Hebdo rebaptisé pour l’occasion Femen Hebdo en 2013. Nous avons des liens avec des activistes syrien-ne-s, avec le collectif Everyday Rebellion pour échanger des méthodes, avec Greenpeace.

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Quel regard portez-vous sur le système médiatique en France ?

Avant notre manifeste, les médias écrivaient comme le Monde Diplomatique par exemple qu’on se mettait à poil mais que nous n’avions pas d’idées. Pour répondre à ces critiques et parce que c’était important pour nous, nous nous sommes dits qu’il nous fallait un outil de communication. Notre manifeste est un écrit pour les femmes en rébellion. Ce document a été envoyé à toute la presse et n’a intéressé quasiment personne. Les médias préfèrent continuer à écrire qu’on est à poil et sans idées plutôt que de faire l’effort de nous lire.

Par exemple, Quentin Girard de Libération a fait preuve d’une grande malhonnêteté journalistique quand il a fait un article sur notre manifeste. Il a titré: «notre féminisme, une haine assumée» sachant très bien que les gens ne vont lire que ça. Cette phrase c’est moi qui l’ai écrite : «notre féminisme est une haine assumée envers un système qui oppresse les femmes mais pas une haine envers les hommes eux-mêmes.» Il a tronqué une phrase de solidarité. Ce genre de petites choses nous énerve.

Le système médiatique en France est oligarchique, patriarcal et extrêmement masculin. Il y a cette tradition de rabaisser les combats féminins ou de ne pas en parler. C’est un peu l’amour vache puisqu’on critique les médias mais on a besoin d’eux pour faire passer nos messages. On a toujours dit qu’on préférait trois caméras à trois mille personnes.

Il y a des journalistes honnêtes, d’autres le sont moins. Je suis parfois effrayée par leur capacité à être des censeurs et des faiseurs d’opinion. Ils ont un pouvoir énorme entre les mains et je trouve qu’ils en abusent, parfois même ceux qui sont dans notre camp.

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Avez-vous une idée du nombre d’actions auxquelles vous avez participé ?

Je ne peux plus compter. Peut-être une quarantaine, une cinquantaine ? L’autre jour, je me suis amusée à compter le nombre de pays différents où je suis allée dans une cellule de prison. Je crois qu’il y en avait six. À nos débuts en France, nous éttions extrêmement prolixes, en ce moment nous faisons moins d’actions mais nous essayons de les réfléchir plus longtemps à l’avance pour taper plus fort. Nous  essayons d’être plus inventives, ce qui explique que nous ne faisons plus une action tous les quinze jours.

Il y a des actions à l’étranger dont on entend moins parler parce que les médias sont très auto-centrés. Récemment, deux de nos activistes sont allées s’embrasser seins nus à Rabat pour défendre la décriminalisation de l’homosexualité au Maroc. Cela a déclenché une belle réaction en chaîne: le chanteur du groupe Placebo est apparu avec une inscription sur son torse en faveur du droit des homosexuel-le-s. Il y a eu des manifestations d’intégristes à Rabat contre Femen et les homosexuel-le-s. Deux marocains sont allés torse nu imiter le baiser des Femen sur cette même place à Rabat, ils ont été arrêtés, nous allons suivre leur procès.

à suivre…

Propos recueillis par Guillaume Hubert, 50-50 magazine

1 Les Femen sont actuellement présentes en Allemagne, en Belgique, au Brésil, au Canada, en Espagne, aux États-Unis, en France, en Israël, en Italie, au Mexique, aux Pays-Bas, en Suède, en Turquie et en Ukraine.

Image à la Une : Pauline Hillier par Jacob Khrist

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