Articles récents \ Monde Droit à l’avortement au Portugal : un grand pas en arrière, après huit ans d’avancées pour les femmes

Le 11 février 2007, 59,25% des citoyennes et citoyens portugais ont voté OUI au référendum sur la dépénalisation de l’avortement au Portugal. Jusqu’alors, les femmes ne pouvaient avorter qu’en cas de malformation du fœtus, de viol ou de risque pour leur vie. Les autres, celles qui avortaient malgré l’interdiction, encouraient jusqu’à 3 ans de prison pour avortement clandestin, des milliers étaient hospitalisées à la suite de complications, certaines en mouraient.

Depuis le référendum de 2007, les femmes portugaises ont le droit d’avorter jusqu’à 10 semaines de grossesse, après un délai de réflexion, et l’IVG est prise en charge par le système de santé. Selon la Direction Générale de la Santé, entre 2011 et 2013, il y a eu en moyenne 16 000 avortements par an, l’un des taux d’avortement les plus bas d’Europe; et les hospitalisations pour complications liées à des avortements clandestins ont disparu.

Malgré ce bilan positif de la loi de 2007, le 22 juillet 2015, la majorité de l’Assemblée de la République (droite et centre-droit) a voté un texte de loi restreignant le droit à l’avortement.

[vsw id= »i1DHjG74S8c » source= »youtube » width= »425″ height= »344″ autoplay= »no »]

Des manifestant-e-s font irruption au Parlement portugais pendant le vote de la loi, le 22 juillet 2015

 

A l’origine de ce recul, une initiative législative des citoyen-ne-s (ILC) « Pour le Droit à Naître »

Le 5 octobre 2014, est en effet lancée une initiative législative des citoyen-ne-s « Pour le Droit à Naître ». Cette initiative qui prétend ne pas être contre le droit à l’avortement, mais pour le soutien à la maternité et à la paternité, propose :

  • De ne plus rembourser l’IVG ;
  • De mettre en place des consultations sociales qui informent les femmes des aides à la maternité dont elles peuvent bénéficier ;
  • D’intégrer des médecins objecteurs de conscience dans les consultations médicales pré-IVG ;
  • De responsabiliser les pères ;
  • De créer un réseau de centres de soutien à la vie ;
  • De valoriser la maternité ;
  • De reconnaître le droit à naître ;
  • De reconnaître le fœtus comme un membre de la famille ;
  • De créer une Commission et un Plan National de Soutien au Droit à Naître.

Les propositions de l’ILC à l’Assemblée de la République portugaise 

En 2003, une loi crée un mécanisme de participation politique qui permet à des groupes de citoyen-ne-s de présenter à l’Assemblée de la République des projets de loi. Il s’agit de l’initiative législative des citoyens (ILC). Si une ILC recueille 35 000 signatures (ce qui représente 0,35% de la population portugaise), le projet de loi qu’elle porte est nécessairement débattu par les député-e-s et mis au vote, selon le même processus que les propositions législatives issues de groupes parlementaires ou du Gouvernement. C’est ainsi qu’en février 2015, l’ILC «Pour le Droit à Naître» a été reçue par la présidente de l’Assemblée de la République pour déposer les 48 115 signatures qu’elle avait recueillies.

Plusieurs des mesures proposées par l’ILC «Pour le Droit à Naître» ont été approuvées par la majorité de l’Assemblée de la République, notamment l’obligation de consultations d’accompagnement social et psychologique avant l’IVG, l’inclusion des médecins objecteurs de conscience dans le processus de consultation avant l’IVG et la fin de la prise en charge de l’IVG.

Satisfaction de l’ILC «Pour le Droit à Naître», révolte des féministes

Pendant que l’ILC «Pour le Droit à Naître» se félicite de ce «premier pas vers une société plus juste et solidaire, où il ne sera plus nié à aucune femme le droit à la maternité», les militantes féministes dénoncent une modification législative qui contrevient à la fois aux dispositions de la Constitution portugaise et de la loi sur la santé, ainsi qu’à la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences faites aux femmes et la violence domestique que le Portugal a été l’un des premiers pays à ratifier.

Elles dénoncent aussi un recul législatif qui rend vulnérables toutes les femmes et les jeunes filles, tout particulièrement celles qui se trouvent en situation sociale et économique précaire. Elles craignent un retour de l’avortement clandestin qui menacerait à nouveau la vie et la santé des femmes. Elles critiquent la présence de médecins anti-IVG dans les consultations médicales pré-IVG, le renforcement de l’accompagnement social et psychologique qui vise à contrôler les femmes et à manipuler leur liberté de choisir et constitue un obstacle supplémentaire pour avorter dans les délais autorisés.

Pour les féministes portugaises, il est évident que les modifications législatives votées le 22 juillet 2015 n’ont qu’un but : rendre la loi sur l’IVG inapplicable et l’IVG impossible.

Clara Domingues 50-50 magazine

 

Le communiqué de presse de Féministes en Mouvements

Communiqué de presse des associations féministes portugaises 

Jusqu’en 2007, l’avortement clandestin et à risque a constitué un grave problème de santé publique au Portugal, en étant responsable de milliers d’hospitalisations de femmes, de nombreuses morts et de graves problèmes au niveau de la santé physique et mentale. Cette situation a blessé la dignité des femmes portugaises, certaines d’entre elles ont été soumises à des jugements choquants. L’avortement illégal et à risque a été une blessure dans la vie du Portugal démocratique. Cette situation était maintenue par des groupes et des secteurs politiques qui s’opposaient à l’avortement légal et sûr et empêchaient ainsi les changements nécessaires.

Il a fallu un référendum pour que soit résolue, en grande partie, la question de l’avortement illégal et à risque.

La loi, approuvée le 8 mars 2007 et immédiatement appliquée, a permis aux femmes qui voulaient interrompre une grossesse non-désirée d’accéder à l’IVG, une fois prêtes et correctement informées et soutenues par des professionnel/les de santé. La loi a permis, protégé et promu le droit des femmes à choisir. Toujours !

Comme chacun-e le sait, le recours à l’avortement légal et sûr, contrairement à ce que certains et certaines espéraient, a été modéré et a même diminué depuis la crise, sans pour autant que le recours à la contraception ne diminue. Les données existantes révèlent que le recours à la contraception a augmenté ces dernières années. De plus, l’accès à l’avortement légal a contribué, sans aucun doute, à l’augmentation du recours à la contraception. La loi 16/2007 a incontestablement amélioré la santé reproductive au Portugal.

Pendant ces 8 années, aucun organisme du ministère de la Santé, aucun-e Ministre ou Secrétaire d’État, aucun-e responsable gouvernemental-e n’a mis en cause l’application de la loi. Par ailleurs, l’Inspection Générale de la Santé, tout comme la Direction Générale de la Santé ont suivi de très près l’application de la loi, garantissant ainsi, une fois de plus, que la volonté et le choix des femmes soient toujours respectés par les professionnel-le-s et les institutions du Service National de Santé. Les professionnel-le-s et les services engagé-es ont eu, chaque année, l’opportunité de discuter ensemble de l’application de la loi.

Pendant ces 8 années, seuls les groupes qui estiment avoir perdu le référendum de 2007, ont remis en cause la loi.

De manière inattendue et à la toute fin de la législature, l’Assemblée de la République a décidé de rouvrir cette question à travers la discussion d’une ILC – Initiative Législative de Citoyen/nes pour le Droit à Naître – promue par les groupes qui se sont opposés à l’avortement légal et sûr, avant et après le référendum de 2007, ainsi qu’à la législation qui en a découlé. La Commission Questions Constitutionnelles, Droits, Libertés et Garanties a entendu, lors de sessions séparées, les promoteurs/trices de cette initiative d’une part et un ensemble d’organisations de la société civile, de représentant/es de la direction du Centre Hospitalier de Lisbonne Centre (CHLC) et un représentant de la Commission Nationale de l’Éthique pour les Sciences de la Vie (CNECV) d’autre part. La Direction Générale de la Santé, l’entité qui suit depuis toujours la mise en œuvre de la loi, n’a pas été entendue.

Les député-e-s du PSD et du CDS-PP, dans leur majorité, ont présenté un ensemble de propositions. Aucune des considérations, avis ou données présentées par les organisations de la société civile, le CHLC et le CNECV n’a été prise en compte. En revanche, diverses propositions de l’ILC «Pour le Droit à Naître» font partie intégrante des propositions désormais approuvées. D’ailleurs, voyant leurs propositions intégrées dans les propositions elles-mêmes du PSD et du CDS-PP, les promoteurs/trices de l’ILC ont même décidé de retirer leur projet de loi par crainte de l’échec inévitable qui l’attendait.

Les propositions présentées se basent uniquement sur les considérations d’ordre moral des groupes qui s’opposent à l’avortement légal et sûr.

Dans ce contexte :

1.    Les organisations signataires affirment, en premier lieu, que l’approbation des modifications de la loi sur l’IVG, l’initiative et le vote des député-e-s du PSD et du CDS-PP n’ont pas de légitimité politique, même si la majorité a imposé sa volonté. De fait, à aucun moment, que ce soit dans le débat qui a précédé la discussion des projets de loi, que ce soit pendant le processus des auditions, les promoteurs/trices de ces propositions ne les ont ni présentées ni défendues publiquement. La transparence politique qui doit être la règle dans un débat démocratique de cette nature et doit façonner des propositions de changement aussi significatives que celles qui ont été approuvées aujourd’hui, a été totalement absente. Nous sommes face à un authentique coup d’État législatif.

2.    Les propositions approuvées qui introduisent un accompagnement obligatoire par des psychologues et des assistant-e-s sociales/aux, sont un affront à l’autonomie des femmes et à leur droit à un choix éclairé. Dans aucune autre procédure médicale, il n’existe d’accompagnement obligatoire, même si la femme décide, par exemple, de faire une ligature des trompes, ce qui est une méthode contraceptive irréversible.

Nous insistons: pendant ces 8 années, les femmes ont toujours eu l’opportunité de parler à des professionnel-le-s de santé, notamment des psychologues et des assistant-e-s sociales/aux, car, dès le début, la loi 16/2007 le prévoyait. Il revenait à la femme de demander librement ces soutiens, si elle les voulait. Désormais, les femmes seront contraintes de s’y soumettre, qu’elles le veuillent ou non, qu’elles en aient ou non besoin.

De plus, la procédure de l’IVG prévoyant un délai légal très limité (10 semaines), les nouvelles propositions vont provoquer des retards, aussi inutiles que dangereux, dans le processus de l’IVG. En effet, ils peuvent facilement mettre les femmes hors délais légaux prévus. C’est pourquoi les propositions approuvées quant au processus de l’IVG peuvent inciter à recourir à l’avortement illégal et à risque, hors délais et sans encadrement professionnel.

3.    Quant à la question des objecteurs/trices de conscience, les propositions approuvées n’ont aucun fondement légaux. Avoir des opinions est une chose. Être un-e professionnel-l-e ou un/e citoyen-ne objecteur/trice de conscience, quel que soit l’objet de l’objection, en est une autre, tout à fait différente.

Les opinions personnelles relèvent de l’intime et du privé. C’est pourquoi elles n’ont pas à être déclarées et consignées. Le statut d’objecteur/trice de conscience est, au contraire, public et implique un enregistrement pour que les institutions sachent sur quel-le-s professionnel-le-s elles peuvent compter pour un acte médical déterminé.

Les objecteurs/trices de conscience quant à l’IVG ne peuvent et ne doivent participer à des processus sur lesquels ils ont une objection catégorique. C’est même un droit qui leur revient. En revanche, quand elles/ils se déclarent indisponibles pour aider une femme au sujet d’un acte pour lequel elles/ils sont objecteurs/trices de conscience, les règles veulent que les professionnel-le-s orientent la femme vers un-e autre collègue ou service qui ne soit pas objecteur de conscience.

Les propositions approuvées qui permettent aux objecteurs/trices de conscience de ne pas révéler leurs positions (parce qu’elles ne sont ni déclarées ni enregistrées), outre qu’elles vont à l’encontre des règles existant à ce sujet, aux niveaux national et international, conduiront à ce que des femmes qui cherchent de l’aide dans les services de santé, se retrouvent face à des professionnel/les qui, par principe, seront contre leur choix et pourront tenter de les influencer par leurs propres opinions personnelles.

Cela contredit les bonnes pratiques d’accompagnement et de l’information qui doivent être libres et faire émerger des choix personnels, sur des sujets délicats et intimes. 

4.    Enfin, les propositions approuvées introduisent des taxes modératrices et placent ainsi l’IVG, de manière inadmissible, en dehors de la gratuité prévue pour tous les soins de santé maternelle. Les taxes modératrices seront un autre facteur d’incitation à l’avortement illégal et à risque.

Dans ce contexte, les organisations signataires s’engagent, dès à présent, à fournir tous les efforts possibles, au niveau légal et politique, pour empêcher que ces modifications de la loi 16/2007 ne soient mises en œuvre.

Les organisations signataires s’engagent aussi à fournir tous les efforts possibles pour que, dès le début de la prochaine législature, les obstacles et les irrégularités votées soient urgemment retirés de la loi. Ainsi, sera défendu le respect de la volonté populaire exprimée en février 2007.

Lisbonne, 22 juillet 2015

Associação ComuniDária
Associação de Mulheres Contra a Violência (AMCV)
Associação Mulher Século XXI
Associação para o Planeamento da Família
Associação Portuguesa de Estudos sobre as Mulheres (APEM)
Associação SERES
CooLabora, CRL – Consultoria e Intervenção Social
Comissão de mulheres da UGT
EOS – Associação de Estudos, Cooperação e Desenvolvimento
GRAM – Sindicato dos Bancários do Sul e Ilhas
In Loco
Mén Non Associação da Mulher de S.Tomé e Príncipe em Portugal
P&D Factor
Plataforma Portuguesa para os Direitos das Mulheres (PpDM)
Rede 8 de Março
Rede Portuguesa de Jovens para a Igualdade de Oportunidades entre Mulheres e Homens (REDE)
SEIES – Sociedade de Estudos e Intervenção em Engenharia Social Crl
TAIPA, CRL
UMAR – União de Mulheres Alternativa e Resposta

print