Articles récents \ Culture \ Livres \ Sport France Patrick Boccard : «depuis l’Antiquité grecque, le monde sportif est organisé par et pour des hommes.»

Ancien responsable de la communication de grandes entreprises et du secrétariat d’État à la jeunesse et aux sports dans les années 70, Patrick Boccard est un aficionado de sport depuis toujours qui s’est pris d’intérêt pour les thématiques de l’égalité femmes-hommes. Engagé au Laboratoire de l’égalité depuis quatre ans, son dernier ouvrage, «Les femmes ne sont pas faites pour courir», est une remarquable synthèse sur les discriminations sexistes dans le sport.

Comment vous est venue l’idée d’écrire ce livre ?

Depuis quatre ans, je suis engagé au Laboratoire de l’égalité pour fournir un appui sur leur communication.

Quant au sport, c’est un univers que j’adore suivre depuis toujours, à la fois fascinant et repoussant. Le sport, c’est parfois l’argent et le dopage. C’est aussi un univers extraordinaire d’égalité des chances.

Je suis sportif amateur mais je ne suis pas fan de compétition. Je ne me suis jamais engagé pour un club de sport ou un parti politique. J’ai fait du foot, de la voile, du ski, de la course, du marathon, du tennis, du VTT, de la marche. Quand le Labo a monté cette collection en partenariat avec Belin, j’ai été chargé d’écrire ce petit livre, pour mener une action intelligente sur les stéréotypes de genre. Le sexisme dans le sport, c’est un vrai sujet dont peu de gens parlent si ce n’est Femix. Un gros travail de vulgarisation reste à mener.

60 pages, c’est un format difficile à tenir. J’aurais pu raconter beaucoup d’histoires en rapport avec le sexisme dans le milieu sportif et faire un bouquin de 400 pages !

Comment les médias ont-ils accueilli votre livre ?

J’ai eu très peu de relations avec la presse depuis que le livre est sorti fin mars 2015. Il n’y a eu que l’Équipe, Télérama et Audrey Pulvar qui en ont parlé. La promotion du livre est révélatrice de la façon dont les médias traitent la question des femmes et du sport.

Pourtant, les choses peuvent évoluer. La chaîne W9 a réuni un million et demi de personnes devant un match de football féminin alors qu’il y avait du football masculin le même soir. Ça prouve qu’aujourd’hui, il existe une demande autonome de la part du public pour des images de sportives.

Le monde sportif a-t-il toujours été sexiste ?

Depuis l’Antiquité grecque, c’est un monde organisé et dirigé par et pour des hommes. Les représentations des hommes sur les femmes et le sport sont archaïques. Je pense qu’ils devraient s’alerter. Il n’y a qu’à voir ce que racontait Pierre de Coubertin sur les femmes au début du vingtième siècle pour justifier leur exclusion des Jeux Olympiques. Je l’ai mis en exergue du chapitre 2 qui montre que le sport s’est construit sans les femmes : «une petite Olympiade femelle à côté de la grande Olympiade mâle. Où serait l’intérêt?[…] impratique, inintéressante, inesthétique et nous ne craignons pas d’ajouter: incorrect».

Seriez-vous un de ces spécimens d’hommes féministes ?

Je ne me considère pas comme féministe, je suis simplement pour une égalité. J’observe les deux mondes que je connais, celui du sport et des affaires, et je constate à quel point les femmes sont bloquées dans leur ascension, moquées et quels ravages psychologiques et physiques les discriminations sexistes causent. Il me paraît évident que le compte n’y est pas.

Il y a tout de même des progrès. Je suis convaincu que les choses évoluent dans le bon sens, car il y a quelques années, personne n’aurait condamné les coachs de tennis violeurs.

Comment faire reculer le sexisme dans le monde sportif ?

Ma conviction, c’est que laisser-faire ou laisser-dire, c’est laisser les stéréotypes reprendre la main. Il faut mener la guerre contre ces stéréotypes et ne pas hésiter à se faire lanceur d’alerte, car au fond, la question du sexisme dans le sport concerne les systèmes de représentations, en clair, les mentalités. C’est une évolution qui doit être individuelle et collective. Il faut manier la carotte et le bâton, valoriser les bons comportements mais sanctionner le sexisme.

Concrètement, il y a un déficit de femmes dans les instances sportives, or «le poisson pourrit par la tête.» Philosophiquement, je suis contre les quotas, mais en pratique, c’est un passage indispensable que je considère comme une mesure d’exception temporaire. Regardez les entreprises du CAC40, depuis l’introduction d’un quota de 40% de femmes dans les conseils d’administration, les choses s’améliorent et les affaires aussi, souvent pour des raisons très simples. Sans femme dans les instances dirigeantes, nous passons à côté d’un tas de choses évidentes pour elles. Il suffit d’appliquer les lois et les obligations existantes au milieu sportif. Alors, les fédérations qui ne respectent pas la parité devraient perdre leurs subventions.

La deuxième piste d’améliorations concerne les équipements qui ne sont souvent pas adaptés aux femmes. Alors qu’aujourd’hui, il y a beaucoup plus de femmes sportives, il y a un manque d’équipements locaux elles. Il faut les adapter, qu’ils répondent à des normes de parité et d’égalité. Ce manque d’équipements génère des incidents, comme cette agression sexiste dans un stade de la ville de Paris.

Une troisième piste d’améliorations concerne la mixité. Il faut pousser pour des équipes de jeunes, mixtes. Il faut pousser pour que les sports deviennent plus mixtes, qu’on ne parle plus de «sports de femme», que ce soit pour les pratiquant-e-s, les entraineur/euse-s et les arbitres. Les J.O de Sotchi en 2014 étaient seulement les premiers à ouvrir l’intégralité des épreuves aux femmes. Les femmes sont différentes mais ont toute leur place à tous les niveaux! Et ça peut très bien marcher, regardez Amélie Mauresmo qui entraîne Andy Murray.

Mais par où commencer pour faire évoluer les mentalités ?

Il faut agir sur les familles et sur l’école. Les cours d’EPS ont une importance cruciale. Or, les filles sont beaucoup plus souvent dispensées que les garçons pour ces cours. Étant donné qu’il faut un certificat médical pour être dispensé, il faut mettre le corps médical face à ses responsabilités.

Pour les médias, il faut féminiser les équipes et mener une réflexion sur le traitement du sport féminin. Ils sont en retard, la preuve, des commentaires constamment à la limite du sexisme comme ceux de Candeloro aux Jeux Olympiques ne passent plus, comme en témoigne le tollé qu’il avait provoqué sur les réseaux sociaux en 2014. Ceux qui dirigent ce pays devraient se rendre compte que les gens sont ouverts au changement et qu’il n’y a pas de frein à diffuser plus de sport féminin.

Les sportives connues sont encore des exceptions. Le sport sponsorisé par les multinationales aime les gens «dans la norme» mais ce n’est que le reflet d’un système viril et machiste. Les hommes ont souvent une approche productiviste et individualiste du sport. Le sport, ça peut aussi être bon pour la santé avec des règles et de l’envie. Ce n’est pas que la compétition, c’est aussi une activité conviviale et épanouissante.

Pourquoi se battre pour que les femmes soient plus visibles dans le monde sportif ?

Parce que c’est une chance pour améliorer le monde sportif ! Je suis convaincu qu’avec plus de femmes dirigeantes, les institutions seront plus sévères envers les dérives comme les violences ou le dopage. Plus profondément, je crois qu’il s’agit de donner une juste place aux femmes et de foutre la paix à tous et toutes, pour que chacun-e puisse pratiquer n’importe quel sport sans être jugé-e. La question des seins ou des jolies femmes qui font du sport sont révélatrices du fait qu’on vit encore dans une société très masculine avec des hommes obsédés par le fait de perdre le pouvoir.

D’où vient le titre du livre ?

C’est une petite phrase tirée de son contexte. Elle provient du livre cinq d’Emile ou de l’éducation. Ce n’est pas ce que Rousseau pensait, mais il n’avait pas conscience qu’en faisant dire à un de ses personnages que les femmes ne sont pas faites pour courir, il véhiculait un stéréotype.

Propos recueillis par Guillaume Hubert, 50-50 Magazine

livre boccard

« Les femmes ne sont pas faites pour courir », éditions Belin , collection Égale à égal, 72 pages , 5€90

Image à la Une : Patrick Boccard avec son livre dans les locaux de Sciences Po

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