Articles récents \ Monde Nursel Kilic : « les femmes kurdes se revendiquent féministes et se prononcent pour la laïcité. Elles se battent contre tous les fondamentalismes religieux. »

Nursel Kilic participait à la première conférence du Réseau International Féministe et Laïque (RIFL), les 7 et 8 novembre dernier. La militante féministe et laïque kurde a présidé la Fondation Internationale des Femmes Libres du Kurdistan. Aujourd’hui, elle représente le mouvement à l’international.

Alors que l’Etat turc frappe les combattant-e-s du PKK, un des rares groupes armés qui lutte frontalement contre Daech, nous republions cette interview.

Quelle est l’histoire du mouvement des femmes kurdes ?

Le premier mouvement féministe kurde est parti d’Europe dès 1987, avec la création de l’Association des Femmes Kurdes Patriotes du Kurdistan. Cette première association joua un rôle important dans la prise de conscience des femmes kurdes sur les violences faites aux femmes.

Les années 90 furent une période d’enrichissement idéologique et organisationnel pour les femmes Kurdes. Durant ces années, les femmes ont été les forces motrices des émeutes qui se déroulaient dans les métropoles kurdes en protestation contre les opérations militaires de l’Etat turc sur la population civile.
En 1995,  l’Union des Femmes Libres du Kurdistan, fut fondée au sein du Mouvement National du Kurdistan. Sakine Cansiz qui a été assassinée à Paris le 9 janvier 2013 était la cofondatrice du mouvement de libération du Kurdistan et de l’Union des Femmes Libres. Cette même année, les femmes kurdes ont pu sensibiliser la communauté internationale en participant clandestinement à la conférence internationale des Nations Unies de Pekin.
En 1999 le mouvement des femmes décida de ce constituer en parti : le Parti des Femmes Travailleuses du Kurdistan, qui par la suite devint le Parti de la Libération des Femmes Kurdes.

Les femmes kurdes ont-elles été impliquées tout de suite dans la lutte armée ?

Le mouvement armé kurde est né en 1992. C’est à cette même période que la participation active des femmes dans les rangs de la lutte armée prit une envergure plus large et plus représentative : tout de suite des unités de défense féminines ont été mises en place. Et dès 1999, les femmes ont eu leur propre armée avec leur propre commandement.

Gulnaz Karatas Beritan fut l’une des premières commandantes d’unités non mixtes au sein du mouvement armé. Elle mena une résistance acharnée contre l’ennemi et utilisa jusqu’à sa dernière munition. Elle cassa sa kalachnikov afin qu’elle ne passe pas aux mains de ses adversaires et se jeta d’une falaise pour ne pas être arrêtée.

Quelles sont les principales revendications des femmes kurdes ?

Les femmes kurdes ont des spécificités particulières, elles sont originaires d’un peuple qui vit dans quatre pays et qui est contraint de vivre sous différents régimes oppresseurs.
La question fondamentale qui déclencha l’éveil des femmes kurdes est celle du colonialisme et des politiques d’assimilation. Une colonisation qui était à la fois ethnique et sexiste.

Les femmes kurdes sont porteuses d’un nouveau contrat social. Elles se battent pour l’émancipation des femmes dans les institutions, les familles, les entreprises… Elles combattent les violences étatiques, domestiques, les féminicides. Les femmes kurdes ont été porteuses de grandes campagnes de sensibilisation concernant les crimes d’honneur, les discriminations fondées sur le genre, toutes les formes de violences faites aux femmes : la lapidation, la peine de mort et le féminicide.

Elles se revendiquent féministes et pour la laïcité. Elles se battent contre tous les fondamentalismes religieux. Pour moi, il s’agit du mouvement le plus séculier du Moyen Orient.

Les femmes du mouvement organisent des activités d’éducation populaire féministe en direction des hommes afin de les sensibiliser au système de domination patriarcal.

C’est ainsi qu’au fur et à mesure de ce processus de transformation des mentalités, les organisations de femmes kurdes prennent une place à part entière au sein des mouvements politiques et sociaux.

Comment le mouvement de libération nationale kurde se positionne t-il sur l’égalité femmes/hommes ?

Le mouvement de libération nationale kurde suit la ligne du mouvement de libération des femmes kurdes. Chez les Kurdes, il y a un consensus pour l’égalité dans tous les domaines de la société. L’égalité entre les femmes et les hommes au sein du mouvement est un principe qui régit tous les domaines de la vie.

Le mouvement kurde a créé le Rojava au Kurdistan syrien, expliquez-nous comment est organisée cette région et le rôle que les femmes y jouent.

Le Rojava est un modèle démocratique pour le Moyen Orient, une révolution féminine.
Les principes défendus au Rojava sont l’autogestion, l’émancipation des femmes, l’anti-capitalisme et l’écologie politique. Chaque canton en l’occurence, Qamişlo, Kobanê et Efrîn a pour principe d’élire des assemblées citoyennes décentralisées et de se doter de structures de gouvernance incluant toutes les nationalités et toutes les religions. La laïcité est implicitement respectée.
Les femmes kurdes du Rojava se sont mobilisées avec les femmes arabes, turkmènes, assyriennes et alévies pour œuvrer à des solutions politiques et sociales collectives pour l’émancipation des femmes.

Les femmes kurdes du Rojava sont l’un des piliers de ce système appelé «autonomie démocratique du Kurdistan syrien.» Elles ont accès à tous les niveaux de l’administration autonome.

C’est une révolution dans la révolution.

Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine

Quelques chiffres

1200 femmes kurdes yézidis, chrétiennes, chiites et musulmanes sont emprisonnées à la prison de Telafer près de Mossoul par Daesh.

Les femmes kidnappées dont le nombre est estimé à plus de 3000 sont vendues dans les bazars de l’esclavage entre 50 et 150 $.

5000 femmes ont été excisées dans les villes prises par Daesh en Irak .

Des centaines de femmes se jettent des falaises pour ne pas tomber entre les mains du Daesh.

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