Articles récents \ DÉBATS \ Contributions \ France \ Société Au fait, c’est quoi une famille monoparentale ?

Quelles représentations a-t-on dans la société française quand on parle de familles monoparentales ? Voilà la question que Véronique Vasseur se pose depuis maintenant une dizaine d’années et à laquelle la sociologue répond petit à petit enchaînant les enquêtes pour la ville de Rennes ou la Caisse d’Allocations Familiales d’Ille et Vilaine, entre autres.

Si la famille monoparentale garde souvent une mauvaise image dans la société, méfions-nous aussi des représentations trop positives. Elles ont généralement, nous dit la sociologue, des conséquences négatives, essentiellement pour les femmes concernées qui vivent cette situation comme une épreuve et un échec.

Car si la grande majorité des familles monoparentales repose sur les épaules des femmes, « je n’ai encore jamais rencontré une femme qui avait décidé de faire un bébé toute seule » dit Véronique Vasseur contrairement à ce que la chanson pourrait laisser penser.

« Les représentations sociales, ça nous concerne tous» prévient Véronique Vasseur. Si pour les besoins de ses enquêtes, la sociologue a essentiellement rencontré des professionnel-le-s, femmes et hommes du monde de l’éducation, de l’accompagnement social, de l’insertion, de la justice, etc. loin d’elle l’idée de stigmatiser ces personnes. Toutefois, précise-t-elle, si des représentations sociales peuvent être aussi positives que négatives, celles qui ressortent de ces entretiens sont plutôt négatives. Normal, puisque les professionnel-les interviennent par définition le plus souvent quand quelque chose ne tourne pas rond !

La famille PME comme étalon

Dans l’inconscient collectif le modèle familial reste celui d’avant les années 70, ce que Véronique Vasseur appelle avec humour «la famille PME» traduisez : papa-maman-enfants. Ceci étant posé comme étalon, la femme seule avec ses enfants passe pour une sorte de «symptôme de la famille en crise».

Au passage la sociologue rappelle que le terme de « famille monoparentale » fut inventé dans les années 70 par des sociologues féministes anglaises soucieuses que ces femmes seules puissent bénéficier du terme famille. L’issue d’un long chemin parcouru depuis la fille-mère en passant par la mère-célibataire mais qui, du coup, gomme une réalité: derrière cette «famille» se cache en fait une très grande majorité de femmes seules. Majoritairement, après une séparation ou un divorce, la garde des enfants est confiée à la mère et contrairement à ce qu’on entend souvent, à plus de 90% c’est en accord avec le père. «Il est très rare » explique Véronique Vasseur  « que les hommes demandent la garde alternée et dans le cas où ils la demandent, il y a très peu de refus de la part des femmes.»

Une image stéréotypée proche du « cas social »

« La famille monoparentale n’est pas un modèle en soi  » analyse Véronique Vasseur « c’est un moment de la vie conjugale et familiale. On oublie souvent qu’il y a un avant avec une vie de couple et qu’il peut y avoir un après (…) d’ailleurs, quand on interroge les jeunes, il est rare qu’ils nous disent : mon rêve est de fonder une famille monoparentale.»

Partir du concept d’une famille type (la fameuse PME) implique que les autres familles, non seulement la famille monoparentale mais aussi la famille recomposée ou encore la famille homoparentale, sont vues en creux, comme s’il leur manquait quelque chose.

«Ça peut paraître caricatural » dit la sociologue « mais ce n’est pas loin de la réalité. Quand aligne bout à bout les différents témoignages reçus lors de ses enquêtes le portrait de la famille monoparentale est le suivant : une femme jeune, sans doute un peu immature, peu qualifiée, avec au moins deux enfants en bas âge ; dans leur grande majorité, elles sont inactives et perçoivent des minima sociaux.» Une image tellement intégrée dans la société que les femmes seules avec des enfants mais ne répondant pas à ces critères, c’est-à-dire des femmes qualifiées et ayant des professions reconnues socialement (des médecins, des avocates, des cadres supérieures) ne se reconnaissent pas dans l’appellation «famille monoparentale». Véronique Vasseur s’est heurtée bien des fois à des refus d’entretiens de la part de ces femmes qui ne se sentaient pas concernées par son sujet de recherche.

«En réalité » dit-elle « les femmes en situation de monoparentalité sont, en moyenne, plus âgées que les femmes en couple, ont moins d’enfants et un niveau de qualification à peu près identique avec un taux d’activité plus élevé.» En d’autres termes, analyse Véronique Vasseur, l’image du «cas social» ne correspond pas à la majorité des femmes, mais ajoute-t-elle : «la perception de la réalité dépend de ce qu’on a dans le crâne.» Quant aux professionnel-le6s rencontré-e-s, ils/elles ont souvent au cours des entretiens reconnu que leurs idées étaient finalement assez stéréotypées et sans doute pas tout à fait conformes à la réalité.

Des mères toujours «trop» ou «pas assez»

Dans plus de 80% des cas, le père est potentiellement présent. Pourtant, autre image très fortement liée à la monoparentalité : l’absence du père qui aurait des conséquences sur l’éducation et la socialisation des enfants, selon l’adage répandu : pas de père, pas de repères ! Pour beaucoup, les enfants issus de familles monoparentales sont ainsi soupçonnés d’être moins bons à l’école. Un a priori auquel Véronique Vasseur répond avec vigueur : «il y a des statistiques là-dessus et de nombreuses enquêtes, c’est complètement faux !»

En corollaire à cette absence de père, les mères sont bien sûr jugées sur la relation qu’elles entretiendraient avec leurs enfants. Jamais dans la bonne posture, on les pense soit sur-protectrices soit démissionnaires. «Les femmes inactives sont vues comme trop fusionnelles « explique Véronique Vasseur » elles sur-investissent leurs enfants. Quant à celles qui travaillent, elles sont soupçonnées de ne pas s’en occuper suffisamment les laissant livrés à eux-mêmes».

«On est dans des injonctions paradoxales » résume la sociologue » les femmes en familles monoparentales doivent travailler mais si elles travaillent elles ne sont pas de bonnes mères ; et elles doivent s’occuper de leurs enfants, mais si elles ne travaillent pas, elles les étouffent !»

La monoparentalité : l’outil magique

Véronique Vasseur s’inquiète de certains rapports «officiels» démontrant qu’on trouve plus d’enfants de familles monoparentales soit en situation d’échec scolaire soit en « danger » de délinquance. «C’est un effet de loupe» analyse-t-elle.

En fait, ces familles-là sont davantage objet d’observations que les autres. «Plus on met d’alertes sur une catégorie de familles, plus évidemment on va voir des choses qui ne vont pas. (…) Du coup, on va tout expliquer par la monoparentalité, ça devient un outil magique !» Et surtout, ajoute-t-elle, «ça évite d’aller voir plus loin !» Et notamment l’augmentation du nombre de femmes en situation de monoparentalité vivant sous le seuil de pauvreté (17% dans les années 2000 contre 30% aujourd’hui).

Ce n’est bien sûr pas la monoparentalité qui rend pauvre, mais le fait sans doute d’être femme. «Quand l’économie fonctionne, on a besoin des femmes » rappelle Véronique Vasseur « mais quand elle fonctionne moins bien, les femmes sont les premières évincées du marché du travail avec les jeunes et les personnes immigrées !»

Sentiment d’échec et culpabilité

Les femmes sont nombreuses à avoir elles-mêmes intégré ces représentations véhiculées par la société et constate Véronique Vasseur, «elles culpabilisent». «Même si ça évolue » dit-elle « on garde l’idée qu’une femme, une vraie, doit être à la fois mère ET épouse ! Quand elle n’est ni l’une ni l’autre, il y a des raisons de s’inquiéter et quand elle n’est que l’une et pas l’autre, elle n’a rempli qu’à moitié sa mission. Les femmes en situation de monoparentalité qui se retrouvent donc mères sans être épouses, ont le sentiment de n’être pas tout à fait normales ; elles portent l’échec de leur couple parce qu’elles n’ont pas su garder leur conjoint. »

Les adhérentes du club Parents Solos de la CAF de Rennes auxquelles Véronique Vasseur a eu l’occasion de présenter ses travaux reconnaissent à la fois qu’elles souffrent de cette image que leur donne la société mais qu’elles aussi se sentent finalement coupables. «Les problèmes que je peux rencontrer dans l’éducation de ma fille » témoigne l’une d’elles » c’est toujours à moi qu’on les renvoie ; donc, c’est moi qui suis la fautive ! Quand je rencontre des professionnel-le-s, souvent j’en ressors déprimée». Une autre parle «du regard de commisération» porté sur elle.

Invitées à s’exprimer lors d’un atelier d’écriture sur leur situation, ces femmes ont mis en avant la solitude et la lourdeur des responsabilités qui pèsent sur elles, bien sûr, mais ont aussi souligné leur envie d’être considérées comme des familles comme les autres. «Je suis seule mais je ne le subis pas » écrit Sophie « Je ne suis pas une militante du «parent solo»; je ne revendique pas ce statut. Ce qui fait la famille pour moi, c’est de vouloir être une famille, la volonté de chacun de vouloir être en communication, garder des liens. En ce sens, mes trois enfants et moi, nous sommes une famille puisque nous l’avons construite nous-mêmes.»

 

Geneviève ROY , Breizh Femmes, Magazine du féminisme et de l’égalité à Rennes et en Bretagne

 

print