Articles récents \ France \ Société Louis-Pascal Jacquemond : «Françaises, on n’enseigne pas votre histoire à vos enfants» 1 /2

Mnémosyne organisait le 23 janvier dernier une journée d’étude en commun avec l’Association Transdisciplinaire pour les Recherches Historiques sur l’éducation (ATRHE), et le MAGE (Marché du travail et genre): « On ne naît pas garçon ou fille, on le devient. » Louis-Pascal Jacquemond, inspecteur d’Académie honoraire et historien a analysé la réforme des programmes d’Histoire, en particulier de ceux des cycles 3 et 4 correspondant au collège. Son analyse est sans appel: refus d’une histoire du genre, recul face à la droite la plus obscurantiste, invisibilité des femmes …

Le mot blocage s’impose. Mais avec un B majuscule ! En parodiant Alain Decaux qui écrit à la Une du Figaro en mai 1976 «Français, on n’enseigne plus l’histoire à vos enfants», je serai tenté de dire «Françaises, on n’enseigne pas votre histoire à vos enfants.»

Histoire des femmes ou histoire mixte ?

Pour être plus explicite, regardons de près ce que mentionnent les programmes d’Histoire.

Dans le texte du cycle 4, une injonction globale initiale a été inscrite, ça ne mange pas de pain puisque l’on sait par expérience que c’est une façon d’inviter à, sans obliger !

Le préambule en Histoire précise : «une approche globale des faits historiques doit éclairer à parts égales la situation, la condition et l’action des femmes et des hommes à chaque moment historique étudié : c’est donc une histoire mixte qu’il convient d’enseigner.» Nous ne nous appesantirons pas sur l’ambiguïté du «à parts égales» ni sur la contradiction entre histoire des femmes et histoire mixte que contient cette phrase, ni sur la logorrhée qui amalgame égalité, mixité, parité et genre. A moins que l’absence de maîtrise du concept de genre, une catégorie d’analyse issue des sciences sociales et historiques, concept politiquement sensible (et peut-être interdit d’usage), n’ait conduit le ou les rédacteurs à cette logomachie sur l’égalité hommes-femmes.

Quelques passages font explicitement référence aux femmes. En fin de cycle 3, classe de 6ème, thème 1, le programme précis : «l’étude du néolithique interroge les interventions des femmes et des hommes sur leur environnement.» On dirait du Jules dans ce texte, ce Jules qui a inventé l’excellente bande dessinée de Silex and the City!! Nonobstant, il est bien question de la place et du rôle des femmes et de leurs relations avec les hommes, que ce soit pour le pouvoir, l’économie, l’espace, la société. Ensuite après leur disparition au début du cycle 4, les femmes réapparaissent dans une partie du thème 3 de 4ème. Là, il est explicitement question de l’histoire des femmes mais pas de l’histoire mixte : «conditions féminines dans une société en mutation.» In fine, les femmes sont présentes au thème 3 de la classe de 3ème. Le libellé du thème part d’un bon réflexe «Françaises et Français dans une République repensée.» Mais ensuite, cette référence aux femmes, une véritable intrusion, est limitée au droit de vote de 1944 et aux enjeux socio-culturels de la seconde moitié du XXème siècle, avec une formulation genrée «femmes et hommes dans la société des années 1950 aux années 1980.» Belle avancée, mais le point de vue historiographique sous-jacent ( (déterminé par le libellé des démarches et contenus d’enseignement) est discutable et daté. Il s’intéresse aux nouveautés et aux mutations socio-culturelles et il envisage les réponses politiques comme la conséquence de ces phénomènes. C’est en fait écarter ce qui relève des blocages politiques, entre autres liés au genre, comme origine des mutations (exit mai 68 par exemple, exit les fondamentaux de la politique gaulliste, …). De plus cette version historiographique envisage les femmes comme naturellement passives dans ce contexte politique et sociétal. Les femmes sont donc vues comme des adjuvants et le programme les aborde dans le cadre d’une histoire des femmes et pas du tout comme une histoire du genre. Et il y a toute chance que les manuels suivront.

Programme d’Histoire : où est le genre ?

Bien sûr mon propos a exagéré certains traits et je ne doute pas que dans tel ou tel sujet d’étude il soit aussi question des femmes, plus rarement du genre. Néanmoins c’est un décrochage manifeste d’avec la recherche historique qui, depuis ces deux dernières décennies a multiplié les travaux et sensiblement modifié l’angle de vue, voire la focale d’analyse. L’institution s’est donc contentée de saupoudrer les programmes mais cette forme de synthèse mollassonne et conservatrice a tout d’un recul intellectuel face aux accents plutôt réactionnaires qui se sont fait entendre.

L’Histoire n’est pas le seule concernée. Ainsi l’Education morale et civique que devront enseigner les professeurs d’Histoire et Géographie est également fortement édulcorée. Le sujet femme et le sujet genre ne sont traités que sous deux angles qui relèvent de la valeur d’égalité filles-garçons ou hommes-femmes : celui des discriminations dont le sexisme en vue de lutter contre les préjugés et les stéréotypes (avec racisme, homophobie et antisémitisme), et celui de l’exemplarité dans l’expression ou dans l’engagement des valeurs de la République en abordant le rôle de certaines personnalités (hommes ou femmes dit le texte). La question des droits est certes inscrite mais globalisée dans la logique des droits individuels et personnels.

Nous restons par conséquent sur l’écume de l’histoire des femmes et du genre. Le grand absent est en effet le genre, seul capable d’aborder les féminités, les masculinités et les rapports socio-culturels sexués. Le terme est banni, ostracisé du langage des programmes et édulcoré par la référence à l’égalité hommes-femmes et en contrepoint la question des discriminations, donc d’une manière curieuse puisque c’est le pôle négatif qui prévaut et cela débouche sur une conclusion moralisatrice (c’est le «ce n’est pas bien» qu’il faut entendre) au lieu d’une analyse intrinsèque et distanciée.

Une Histoire écrite au masculin

L’une des conséquences majeure est d’invalider, sans le vouloir, l’objectif d’égalité hommes-femmes. En effet, l’analyse des choix programmatiques à laquelle j’ai procédé ne peut que conduire «au déficit d’histoire et de représentations des femmes dans les classes» (la formule est d’Isabelle Ernot) du second degré alors que les programmes ont l’ambition de faire comprendre le monde actuel. Mais cela fait des femmes, les intermittentes de ces programmes, de l’Histoire et de l’Education civique et morale et cela entérine l’idée que cette différenciation-infériorité est dans l’ordre des choses (et non le résultat d’une pratique sociale et culturelle). En sus le langage grammatical usité n’est pas innocent, en dépit du bon vouloir des concepteurs. Ainsi c’est presque tout le parcours du collégien en Histoire qui est écrit au masculin, la mention du féminin n’apparaissant qu’à quatre reprises comme nous l’avons montré supra (6ème, 4ème et 3ème). Et c’est très largement un masculin exclusif à peine couvert quelquefois d’un neutre ou d’un épicène qui renforcent de facto l’infériorisation des femmes. Ce qui va à l’encontre de l’objectif de l’égalité hommes-femmes comme valeur républicaine.

C’est par prétérition qu’il faut aller chercher du genre dans les programmes ! Nous sommes bien loin des avancées que représentaient les ABCD de l’égalité qui avaient au moins le mérite de faire se questionner les élèves sur les stéréotypes et les représentations de la femme. Là-aussi abandon fâcheux et recul garanti ! Après que l’histoire des femmes et du genre soit passée de l’absence totale des programmes d’Histoire, avant 2002, à une présence ponctuelle sous forme d’abord de dossiers dédiés puis en 2010 et pour la première fois d’un chapitre intégral sur «La place des femmes dans la vie politique et sociale de la France au XXème siècle», nous voilà revenus à un quasi silence et à une faible visibilité. Alors que la place des femmes dans notre actuelle société mérite attention et que le genre est une clé d’analyse, nous ne sommes pas entrés dans une prise de conscience du genre.

Louis-Pascal Jacquemond – Historien, membre du CA de Mnémosyne
50-50 magazine est partenaire de Mnémosyne
Photo de Une de gauche à droite: Louis Pascal Jacquemond, Mnémosyne, Florence Rochefort, présidente de l’Institut Emilie du Châtelet,  Rebecca Rogers, ATRHE, Nathalie Lapeyre, MAGE.

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