Articles récents \ Culture \ Cinéma "La marcheuse" : le combat ordinaire des prostituées chinoises de Belleville

Le jour où l’Assemblée Nationale adoptait la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, en rétablissant notamment les mesures sanctionnant l’achat d’acte sexuel et responsabilisant les clients, le très beau film de Naël Marandin « La marcheuse » sortait sur nos écrans. Ce drame, aux allures de documentaire, met en scène avec finesse et subtilité le quotidien des Chinoises de Belleville qui arpentent les trottoirs à la recherche de clients.

Elles sont quelques centaines à Paris, le plus souvent des Dongbei issues du nord de la Chine d’où la misère les a chassées. Si des passeurs leur ont fait miroiter une vie moins dure en France et l’accès facile à des emplois, dans le commerce par exemple, elles sont le plus souvent exploitées d’abord comme nounous par leurs compatriotes Wenzhou, venu-e-s du sud de la Chine, installé-e-s de longue date en France.
La peur au ventre
Sans papiers ni existence légale, à la merci des proxénètes et des descentes de police, la peur au ventre, elles prennent généralement le chemin de la prostitution pour tenter d’assurer leur survie et soutenir leur famille à laquelle elles envoient de l’argent. C’est ce cercle infernal de la clandestinité, de la pauvreté et des violences faites aux femmes que Noël Marandin retrace à travers le lumineux personnage de Lin Aiyu joué par l’actrice Qiu Lan, très convaincante dans son rôle de femme courage qui fait face, avec les armes qu’elle trouve, à la désintégration de sa vie qu’elle espère reprendre en main.
Marandin a accompagné les bénévoles de Médecins du monde pendant 7 ans auprès des prostituées chinoises de Belleville avant de faire ce film. Tant le scénario que la mise en scène et le travail de l’image y ont puisé force et crédibilité. Les femmes y sont parfois malmenées, mais ses images ne sont jamais complaisantes. Il ne les pose pas en victimes mais en femmes courageuses et résolues à s’en sortir, si possible par le mariage, qui reste l’horizon imposé à la majorité des femmes dans le monde. Si les contacts avec les clients sont souvent rudes et parfois brutaux, ces femmes ont de très beaux et joyeux moments d’intimité et d’affection entre elles, à l’occasion d’un anniversaire, d’une fête ou d’une pause. Encore mises au ban de la société à laquelle elles ne se mélangent guère, elles se soutiennent face à la réprobation populaire et aux violences des clients ou de la police qui les harcèlent souvent.
Le film dépeint à la fois les rapports de domination liés à la classe sociale, comme ceux que Lin entretient avec Kieffer, un vieil homme dépendant qui l’emploie clandestinement et l’héberge elle et Cerise, sa fille de 14 ans, et ceux liés à la domination masculine au travers des personnages brutaux comme le client qui la jette hors de sa voiture, le patron qui expulse le groupe de prostituées hors de son restaurant, ou de Daniel, un voisin qui entre dans l’appartement par la force en faisant basculer le récit vers le drame.
Lin va tenter d’inverser le rapport de force en imposant à Daniel, en échange de sa dette qu’elle se propose de payer et de son hébergement clandestin, un mariage de convenance qui lui permettrait d’obtenir un statut légal et de quitter les trottoirs de Belleville. L’irruption de Daniel qui se cache de ses créanciers violents bouleverse la vie du trio dans cet appartement où une partie de l’action se déroule. De la chambre du vieil homme à celle de l’adolescente, en passant par la cuisine, ou le réduit où se cache Daniel, tout une gamme de lumières et d’actions se répondent, avec des moments de grâce comme lorsque Lin choisit de passer la nuit avec Daniel et où le désir trouve à s’exprimer entre eux avec intensité.
Marandin crée une texture propre à son film, par le choix de la caméra, des objectifs, des couleurs, des matières, des lieux et des corps tout autant que par les cadrages. Il filme les corps avec puissance et délicatesse. Les corps des femmes ont la même importance à l’image que ceux des hommes. Il ne surjoue pas la nudité des femmes comme le font de nombreux films dans le but de titiller le voyeurisme des spectatrice/spectateurs. L’intimité et la pudeur des personnages sont manifestes, même lorsqu’elles sont malmenées. Entre Lin et Daniel, Cerise, qui teste son pouvoir de séduction sur Daniel, qu’elle voit avec inquiétude s’immiscer entre elle et sa mère, va précipiter la tragédie. L’intimité entre la mère et la fille est une alchimie complexe. Leur situation précaire et dramatique les fait osciller en permanence entre amour, exaspération ou colère.
Des femmes comme les autres
Ce film dépeint le quotidien des prostituées de Belleville avec beaucoup d’humanité et de réalisme tant le quartier et ses habitant-e-s sont des actrices/acteurs à part entière du film. Il nous confronte avec des femmes comme les autres qui doivent faire face à des situations particulièrement difficiles.
Le réalisateur s’est particulièrement interrogé sur « la façon dont les rapports de domination dans la sphère sociale interféraient sur le désir, comment les deux s’entremêlent. Le rapport au corps et au sexe est aussi déterminé par leur place dans la société. Le sexe peut devenir l’expression d’une révolte ou le lieu de la domination. Les sentiments aussi ne sont pas indépendants de la sphère sociale. On peut aimer quelqu’un parce qu’il représente une porte de sortie, une issue à un quotidien sans perspective. C’est l’une des clés du rapport qui s’instaure entre Lin et Daniel. »
Marie-Hélène Le Ny 50-50 magazine
 
 
 
 
 
 

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