Articles récents \ DOSSIERS \ Le mouvement francais pour le planning familial a 60 ans, le bel âge La gynécologue Danielle Gaudry et le Planning Familial : un combat historique pour l’obtention du droit à l’avortement

Danielle Gaudry, militante féministe, s’est engagée auprès du Mouvement Français pour le Planning Familial depuis le début des années 70. Elle participe aujourd’hui encore aux activités du MFPF bénévolement, et donne des consultations et des vacations salariées. Elle nous livre un témoignage historique sur ces périodes charnières pour l’émancipation des femmes et son regard sur les évolutions actuelles.

Pouvez-vous nous retracer la genèse de votre engagement auprès des groupes de femmes ?
J’ai été élevée en région parisienne dans une famille militante. Mes parents étaient instituteurs à l’école publique et j’ai véritablement grandi avec l’idée de l’égalité femmes/hommes. Mon frère faisait la vaisselle et toutes les tâches dites «féminines » autant que ma sœur et moi.
Lorsque que j’ai commencé mes études de médecine en 1967 à Paris, puis à Créteil, mon engagement politique s’est précisé avec les événements de mai 68. J’ai participé à des groupes marxistes léninistes au sein desquels j’ai été brutalement confronté au machisme ordinaire. A l’époque, il y avait une montée en force des groupes de paroles des femmes dans les quartiers. L’événement important qui a précipité mon engagement auprès de ces groupes fut la grossesse non désirée de ma colocataire. A ce moment-là j’étais chanceuse, j’avais trouvé un médecin qui prescrivait la contraception mais ce n’était pas le cas de tout le monde. Ma colocataire subit alors un avortement clandestin qui se passa très mal, elle dut être hospitalisée et eut de graves séquelles sur sa fertilité.
Vous avez alors commencé à pratiquer des avortements clandestins, dans quelles conditions se passaient-ils ?
Je n’étais qu’en deuxième année de médecine et je n’avais pas de connaissance des méthodes d’avortement ni de réseau dans les groupes féministes. Dans les groupes de femmes du Val de Marne, j’ai appris à poser une sonde stérile dans l’utérus pour ouvrir l’œuf et provoquer un avortement.
On amenait ensuite les femmes dans une clinique privée de Paris et les médecins étaient obligés d’intervenir pour empêcher de sévères complications. Ces avortements clandestins étaient gratuits et militants. On avait l’impression d’éviter alors des parcours plus dangereux, sachant qu’à cette époque les femmes utilisaient tout ce qu’elles avaient sous la main pour avorter : injection d’eau savonneuse, cintres, aiguilles à tricoter, produits toxiques.
A partir de 1973, les mouvements féministes se sont organisés au sein du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC) et je me suis engagée au Planning Familial. Nous apprenions à faire des aspirations selon «la méthode Karman.» Nous pratiquions ces avortements dans des locaux prêtés au MLAC et parfois à domicile. Même si c’était illégal, nous pensions que c’était légitime, il fallait le faire et c’était important pour la libération des femmes.
Est-ce que ces pratiques étaient encore risquées à cette époque ?
Depuis 1920, l’article 317 prévoyait entre 1 à 5 ans de prison et de nombreuses sanctions à l’égard des médecins et des étudiant-e-s en médecine, comme la suspension de l’exercice de leur profession. Cependant, les années précédant le vote de la loi Veil, ces sanctions n’étaient pas appliquées. En 1973, durant «le procès Bobigny» (1), de grandes manifestations ont eu lieu en soutien à un médecin qui était accusé de pratiquer des avortements, et il ne fut finalement pas condamné.
Quel était donc l’état de l’opinion publique les années précédant la loi Veil ?
Au Planning Familial, on ne recevait pas seulement de femmes seules mais beaucoup de couples qui venaient à cause d’une grossesse non désirée ou d’une vie sexuelle minée par la peur d’une grossesse. Les hommes vivaient une culpabilité importante quand leur compagne était enceinte. A cette époque, le mouvement de libération des femmes était véritablement porté par des femmes et des hommes.
On était dans un environnement d’agitation sociale et de débats très porteurs, très forts. La presse relayait beaucoup et les mouvements militants n’étaient pas envahis par les partis politique, il y avait beaucoup de gens d’horizons différents. Trois événements importants ont bousculé l’opinion publique de l’époque : le «manifeste des 343» composé de témoignages de femmes qui s’étaient faites avortées, puis l’agitation autour du procès Bobigny dont nous parlions, et enfin un collectif de médecins, dont le célèbre docteur René Frydman, qui déclarait publiquement pratiquer des avortements illégaux.
La loi Veil était-elle satisfaisante par rapport aux revendications du Planning Familial ?
Bien qu’il y ait eu une volonté d’impliquer les structures associatives dans l’élaboration de la loi, le texte définitif était insatisfaisant. Tout d’abord, dans la loi de janvier 1975, la femme n’est pas considérée comme capable de prendre sa décision seule car on lui impose un entretien avec une sage-femme, une assistante sociale ou une conseillère conjugale pour la faire réfléchir. Les femmes qui venaient nous voir au Planning Familial vivaient cet entretien comme une autorisation à avorter, et nous étions donc opposés à cette procédure. Le terme était limité à seulement 10 semaines de grossesse et il faut se rendre compte qu’à cette époque il n’y avait pas d’échographie ni de test sanguin, on faisait juste des tests urinaires. Les mineures étaient obligées de demander l’autorisation à leurs parents, c’est à dire jusqu’à leur 21 ans. Enfin, le remboursement de l’avortement n’a été obtenu qu’en 1982.
Après le vote de la loi Veil, la résistance idéologique du corps médical était importante. Les médecins venaient souvent d’une génération où l’opposition à l’avortement était majoritaire. Nous avons dû être très actives/actifs dans les établissements et auprès des chefs de service pour faire valoir nos droits.
Quel regard portez-vous sur cette période charnière et l’évolution des droits des femmes ?
Mai 68 a joué un grand rôle dans le mouvement de libération des femmes. Ça a été un point de départ à partir duquel on a tout repensé en tant que femmes. L’analyse de la lutte des classes n’était plus suffisante et, comme on disait à l’époque et qui est toujours valable aujourd’hui, le prolétaire est exploité mais la femme du prolétaire est encore plus opprimée. C’est bien sûr une période où les droits des femmes ont beaucoup évolué, tant dans l’autorisation de travailler, d’ouvrir un compte en banque, d’hériter, sans oublier que l’autorité paternelle est devenue parentale en 1973. Même si les femmes ont toujours travaillé et participé à la société, cette fois-ci elles se défaisaient de la tutelle de leur père ou de leur mari. Ces lois ont suivi et non précédé le changement des mentalités et nous avions besoin de cette modification de la place des femmes dans la société.
Assiste-t-on à un recul des idées féministes pour lesquelles vous vous êtes battues ?
A propos de l’opposition à l’avortement, on a vu à partir des années 90 les mouvements catholiques s’organiser. Maintenant, ce sont les déclarations d’extrême droite qui vont dans ce sens mais pas uniquement, ainsi on voit que Valérie Pécresse souhaite réduire les budgets des associations de Planning Familial.
Malheureusement en Europe, on assiste à une remise en cause globale du droit à l’avortement. Certains gouvernements cherchent à légiférer et à donner un statut légal à l’embryon. Il y a actuellement des mouvements de régression. La crise économique, le retour du religieux, quel que soit la religion, fait que la population a tendance à se réfugier dans des modèles qui sont extrêmement traditionnels au niveau familial. Les gens de la manif pour tous prônent la complémentarité des sexes et réduisent les femmes à leur rôle maternel. Au début de mon engagement militant, on n’était pas dans une société dans laquelle les femmes voulaient rester chez elles !
Propos recueillis par Charlotte Mongibeaux 50-50 Magazine
1 Le Procès Bobigny en 1972:  1 femme mineure survivante d’un viol et 4 femmes majeures furent jugées pour avoir avorté. La mobilisation publique contre leur condamnation fut d’une ampleur inédite.

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