Articles récents \ DÉBATS \ Contributions Enfants maltraité-e-s : quand l’Eglise écoute et enquête …

Fribourg, Suisse. De 1929 à 1950, l’Eglise a la responsabilité d’un pensionnat pour garçons, l’institut Marini. 2014, un ancien pensionnaire rencontre l’évêque de Fribourg, et lui raconte les violences qu’il a vécues à l’époque dans ce pensionnat … Pour toute personne qui entend le témoignage d’une victime de crime sexuel, il est difficile de réaliser que de telles violences sont vraiment arrivées, dans la réalité … Que s’est-il effectivement passé ? Comment est-il possible que ces actes aient eu lieu, durant des années ?

Mgr Charles Morerod décide alors de confier une enquête à trois chercheurs, indépendants de l’Eglise. Une année de recherches aboutit à un rapport publié sur le site de l’évêché en janvier dernier.
Le rapport sur l’institut Marini contient l’observation suivante, :  » La perception de l’abus sexuel sur enfants par les experts et le grand public :  « Dans les années 1940-1950, les premières recherches en psychologie, psychiatrie et sexologie minimisent l’impact de l’abus sexuel sur l’enfant. Inspirés par la tradition freudienne … (…) L’impact du mouvement féministe s’avère bien plus décisif (…) c’est alors qu’émerge un problème inattendu : les violences sexuelles dont les femmes déclarent avoir été victimes durant leur enfance, la plupart du temps à l’intérieur de leur famille . »
 
Des autorités qui nient les crimes
De Fribourg j’avais entendu dire en France qu’elle était « Fribourg la catholique, Fribourg la noire », presqu’un second Vatican miniature.  Autant dire qu’en apprenant la nouvelle d’un scandale d’ « abus sexuels » sur des enfants dans un institut dépendant de cet évêché, j’ai été interpellée.
L’institut Marini recueillait des enfants en difficulté. Le rapport révèle que 21 enfants au moins y ont été agressés sexuellement de 1930 à 1955 par des religieux et des laïques.
Pour les féministes, l’existence d’une chape de silence autour des crimes sexuels contre les enfants est un phénomène connu, et qu’elles ont largement contribué à soulever, au prix de combats contre toutes les autorités en place, notamment le « pouvoir psy » du dogme psychanalytique. En France, c’est le livre d’Eva Thomas : « Le viol du silence », puis le roman de Christiane Rochefort « La porte du fond » qui firent connaitre cette « conspiration des oreilles bouchées » dans les années 80.
Des groupes de paroles se constituèrent. Les victimes, femmes et hommes, dirent que leurs « incestueurs » étaient majoritairement des hommes « libérés », des pères responsables se chargeant de « l’éducation sexuelle » de leurs filles, friands de pornographie. Elles dirent que les adultes ne les croyaient pas, que les prêtres les pensaient perverses, et que les psychanalystes freudiens les accusaient de « fantasmer ». Elles dirent que quasiment toutes les autorités, les familles, les écoles, les médecins, quelques soient leur classe ou leur confession, avaient la même réaction : nier, cacher le crime. Ou pire : psychiatriser les victimes et persécuter les mères ou médecins qui tentaient de protéger les enfants.
Ainsi, la longue dissimulation de ces crimes n’a rien de surprenant et rien qui serait propre aux milieux catholiques. Si je m’inquiète de l’évènement que constitue ce rapport, c’est en raison de la signification qui va lui être donnée. Je crains un nouveau contresens, au détriment des enfants.
La question des répercutions de la théologie catholique sur les violences sexuelles est un sujet très vaste et complexe : je souligne que je ne parle que d’un seul de ses aspects et absolument pas du « catéchisme » dans son ensemble.
Le commentaire le plus fréquent aujourd’hui des crimes sexuels commis par des religieux contre des enfants consiste à dire : l’enseignement de l’Eglise prône une limitation abusive de la sexualité, elle produit la frustration qui est la cause des crimes sexuels.  
Ce raisonnement est faux. L’inverse est vrai. L’enseignement de l’Eglise sur les limites de la sexualité est une protection des plus faibles contre les crimes sexuels. Elle enseigne la valeur première des personnes humaine. Les crimes sexuels ne sont pas produits par la limitation de la sexualité, mais par le culte de la sexualité, par l’idée du « droit à la sexualité ». Un culte qui légitime la réduction de personnes à l’état d’objet : il y aurait des « femmes faites pour cela ».  
 
La « théologie du corps » de Jean-Paul II, une arme de destruction massive
Pourquoi un tel battage médiatique aujourd’hui au sujet de la pédophilie dans l’Eglise, alors que la quasi-totalité de la pédophilie est incestueuse ?  Parce que malgré ses lacunes et son restant de vanité masculine sexiste, l’enseignement de l’Eglise sur la sexualité est, et a essentiellement toujours été, un barrage «  magistral » aux crimes sexuels.
« Arrache toi l’œil s’il scandalise un petit … ! » Qui dans le monde antique avant l’Evèque d’Epone s’écriait, parlant des prostituées, pour convaincre les hommes de ne pas les « consommer » : « Oubliez-vous qu’elles ont une âme ?! ». La « théologie du corps » de Jean-Paul II est une arme de destruction massive de toute la rhétorique perverse utilisée pour justifier les violences sexuelles et émotionnelles.
L’idolâtrie de la sexualité permet de trouver toutes les excuses au violeur. Pire, elle permet à Freud de décrire l’adolescente Dora comme étant elle, perverse et malade, parce qu’elle refuse les avances d’un adulte. Les féministes américaines Andréa Dworkin et Robin Morgan expliquaient au sujet de la « libération sexuelle » de 68 : «L’idée à la mode était que la baise était une bonne chose, tellement bonne que plus il y en avait, mieux c’était, que les gens devaient baiser qui ils voulaient. La baise c’était la liberté… A Woodstock ou à Altamont, une femme pouvait être qualifiée de “coincée” ou “vieux-jeu” si elle refusait de se laisser violer. « 
La primauté de la personne, contre l’idolâtrie du plaisir et du pouvoir sexuel, est un enseignement qui fâche, que dis-je, qui déclenche la fureur de tous ceux qui veulent exercer ce pouvoir là sur autrui, qui veulent l’argent du « travail du sexe ». Un tiers de la bande passante mondiale d’internet est utilisée pour la pornographie. Un des hommes les plus riches de France a acquis sa fortune grâce au téléphone rose.
L’Eglise avec son enseignement de chasteté est l’ennemi à abattre. Ses prêtres, des hommes masculins, parce qu’ils sont la preuve vivante que l’amour, la force, la virilité, ne passent pas nécessairement par la case sexe, doivent être tués, médiatiquement – dans un premier temps. On ne doit plus pouvoir penser « prêtre » sans penser « prêtre pédophile .»
Le rapport de l’évêché de Fribourg doit être lu intégralement : les chercheuses/chercheurs qui l’ont rédigé présentent à la fois les documents, le cadre historique et idéologique, et les questionnements soulevés par ces faits, auxquels tous, catholiques ou non, devraient réfléchir.  Il ne faut surtout pas qu’il en résulte un contresens qui abattrait une pensée protégeant les enfants … 
Elisseievna Militante féministe
Photo de Une : à gauche Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, à droite Jean-Louis Claude.
 

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