Articles récents \ France \ Économie Salaire des femmes : "Un quart en Moins"

Dans son dernier livre Un quart en moins, des femmes se battent pour en finir avec les inégalités de salaires, préfacé par Michelle Perrot, Rachel Silvera, économiste, université Paris X Nanterre, membre du réseau MAGE (marché du travail et genre) et du Conseil supérieur à l’égalité professionnelle revient sur l’histoire des salaires féminins et donne la parole à des travailleuses.

Parle-t-on encore de salaire d’appoint aujourd’hui ?
On ne parle plus de salaire d’appoint aujourd’hui mais certains y pensent encore. Il y a toujours des stéréotypes qui jouent. Plus ou moins consciemment, on s’appuie sur l’histoire qui consistait à dire qu’il était « normal » de ne pas payer autant les femmes que les hommes. Dans toute notre histoire, l’idée est ancrée que l’autonomie financière n’est pas indispensable à une femme puisque derrière elle, il y a toujours un homme – son père ou son mari – pour subvenir à ses besoins. De la norme sociale qu’est le mariage, on a fait une norme économique généralisée, alors même que de nombreuses femmes ne vivent que de leur salaire.
C’est le cas par exemple du travail à temps partiel court, celui que subissent de nombreuses femmes dans le nettoyage ou le commerce : on estime que ce n’est pas grave que ces femmes reçoivent la moitié du SMIC par mois car elles ont sûrement un mari. Or parmi elles, beaucoup sont en réalité « cheffes de famille » et élèvent seules leurs enfants. Elles ont bien souvent du mal à s’en sortir et sont proches ou en dessous des seuils de pauvreté.
Il existe encore des sous-entendus sur l’idée les femmes ne travaillent pas à part entière. Les femmes ont des « compétences naturelles », à quoi bon les payer plus !

Que font les syndicats sur la question des inégalités salariales ?
Les syndicats ont un rôle essentiel à jouer, en impulsant des négociations sur l’égalité, en soutenant individuellement des femmes en cas de discrimination salariale. Bien sûr c’est difficile, car il faut que l’égalité soit reconnue comme un vrai enjeu syndical et que les femmes prennent toutes leurs places dans ces organisations.
On peut dire qu’il y a eu des progrès importants, mais encore insuffisants. Ainsi, aujourd’hui il existe dans toutes les organisations syndicales des commissions femmes ; elles sont parfois en régression mais elles existent.
La part des femmes syndiquées progresse, dans un contexte, rappelons le, de faible syndicalisation générale. Des mesures pour favoriser leur présence dans les lieux de décision syndicaux sont en cours (quotas à la CFDT, parité à la direction de la CGT…).
De même, des démarches sur l’égalité femmes/hommes se développent, comme par exemple des programmes de formation à la négociation de l’égalité. Mais cela ne suffit pas, il faut sans cesse se battre pour que l’égalité soit intégrée, ce n’est toujours pas une démarche «naturelle ». Nous sommes donc au milieu du gué.

Quelles sont vos propositions pour que l’égalité salariale avance ?
Tout d’abord, il est indispensable que les lois soient appliquées. L’ancienne ministre des Droits des femmes, Najat-Vallaud Belkacem a fait un bout de chemin. Il y a aujourd’hui une dizaine de grandes entreprises sanctionnées et huit cent mises en demeure sont en cours. Disons qu’il y a un frémissement mais à ce rythme, il faudra encore un siècle pour arriver à l’égalité salariale. Il faut donc que les partenaires sociaux et notamment les syndicats passent à la vitesse supérieure et que l’égalité soit vraiment négociée.
Il existe aussi une volonté de syndicats de développer le recours aux actions de groupe dans le domaine de la discrimination et pas uniquement dans le secteur de la consommation, mais cette mesure n’a malheureusement pas été retenue dans la dernière loi sur l’égalité du 4 août 2014. Ces actions de groupe permettraient que les cas individuels de discriminations dont je parle dans mon livre ne restent pas des cas isolés, souvent difficiles à vivre pour ces femmes, avec des risques de licenciement.

Justement, les témoignages que vous relatez dans votre livre sont très forts, parlez-nous de ceux qui vous ont le plus touché.
Le témoignage de Maria est un de ceux qui m’ont le plus bouleversée. Cette ouvrière, aujourd’hui retraitée, travaillait chez un fabricant de composants électromécaniques pour l’aéronautique. Elle a toujours donné satisfaction, ne s’est jamais plainte de quoi que ce soit. Il a fallu un plan social et des départs anticipés à la retraite pour qu’un syndicaliste prenne contact avec elle : « il s’était aperçu que ma retraite était très faible, que je n’avais pas gagné beaucoup, après toutes ces année. Il voulait me défendre », raconte-t-elle. Comme des salariés venaient d’obtenir réparation pour discrimination syndicale, le cégétiste lui propose d’adopter la même démarche.
Démonstration est faite que les hommes ont tous des rémunérations supérieures à celles des femmes, 1805 euros en moyenne, contre 1651 euros. La cour d’appel de Paris donne raison à Maria, le 16 juin 2011, et condamne l’entreprise à lui verser 53 700 euros au titre du préjudice (retards de salaire et de retraite) et 35000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral. Une victoire contre une discrimination salariale à l’état pur, car si Maria est restée « OS 3 » plus de vingt-trois ans, c’est bien parce qu’elle était une femme, et qu’elle n’avait rien exigé.
Et puis on peut évoquer aussi le cas d’Anne, femme de service dans un lycée. Elle parle de son travail qu’elle aime bien, alors qu’elle se sent invisible : « personne ne parle aux blouses bleues » dans un lycée, sauf si le ménage n’est pas bien fait. » Pourtant, elle abat un boulot énorme, souvent très dur (comme le passage des monobrosses). Et puis, elle assure des fonctions que l’on ignore totalement, auprès des lycéens : « il m’arrive d’intervenir auprès des élèves quand on entend pleurer aux toilettes. Cela arrive souvent. On est plus proches des élèves que les profs ou que l’administration. »Mais tout cela n’est absolument pas reconnu. A la différence des ouvriers spécialisés dans les lycées (cuisinier, jardinier…), l’entretien n’est pas un vrai métier pour les responsables, il n’y a aucune évolution possible.
Ces femmes témoignent dans mon livre, pour sortir de l’ombre, pour que l’on reconnaissance enfin qu’être femme de ménage, auxiliaire de vie ou assistante de direction, ce sont des vrais métiers !

Propos recueillis par Caroline Flepp, 50-50 magazine

Rachel Silvera. Un quart en moins : des femmes se battent pour en finir avec les inégalités salariales. Ed La découverte 2014.

Article publié le 4 décembre 2014

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