Articles récents \ Chroniques Le dernier mot d'Annie : Leïla, femme arabe qui a lutté pour sa liberté…

Cet été, en plein débat sur le burkini, je reçois un message de Leïla C. sous la forme d’une lettre à un intellectuel français.

Mais d’abord, qui est Leïla C ?

Son histoire avait fait la une des journaux il y a plus de trente ans ! Elle était alors une élève modèle, déléguée de sa classe au Lycée professionnel de Meaux, où elle suivait des cours de BTS de secrétaire de direction. La suite est racontée dans l’édition de 1983 de « Terre des Femmes » qui présente un panorama de la situation des femmes dans le monde (1) :

« Le 26 avril 1982, deux hommes font irruption dans le hall du Lycée de Meaux. Ils somment une jeune Algérienne, Leïla qui crie et se débat de les suivre. L’un d’eux menace d’un couteau quiconque tente de s’interposer. C’est un enlèvement familial, perpétré par le père et le frère, le jour des vingt ans de la jeune fille. Le proviseur et un professeur qui avaient été menacés portent plainte. Les camarades de Leila se mobilisent spontanément pour la soutenir et informent les médias ».

Quelques jours plus tard, Leïla adresse une lettre à ses camarades pour leur dire qu’elle n’a pas encore quitté le territoire français et qu’elle est séquestrée chez l’une de ses sœurs à Strasbourg. Sa famille sans doute effrayée par le scandale médiatique attend que les choses se calment pour l’envoyer en Algérie et la marier.

C’est alors que nous décidons d’organiser un contre enlèvement avec l’aide d’une militante hors pair, Francine Haettel, qui avait ouvert le premier refuge pour femmes battues à Strasbourg. Conclusion de l’histoire : Leïla est mise en sécurité et poursuivra avec succès ses études.

Depuis, nous nous étions perdues de vue.

L’hiver dernier, Leïla m’appelle : tout va bien, elle s’est construite une belle vie, personnelle et professionnelle. Elle est financièrement autonome et n’a pas hésité à tenter l’aventure de l’étranger, l’Angleterre puis l’Allemagne. Mais il y a en elle une grande colère qu’elle veut me faire partager : ce qui l’indigne c’est le retour en force du religieux et surtout du voile islamique, y compris dans sa famille avec laquelle elle a renoué.

Voilà pourquoi je n’ai pas été surprise lorsqu’il y a quelques jours j’ai reçu un nouveau message de Leïla adressé à celles/ceux qui ne savent pas se mettre à sa place.

Lettre de Leïla C à un intellectuel français

« Cher ami ?

« Arrêtez vos débats intellectuels et redescendez … à mon niveau de femme arabe, arrivée en France en 1963, qui a lutté pour sa liberté d’étudier et de vivre loin de la domination d’un frère, d’un père … A l’époque nous luttions pour le droit d’étudier et de vivre libre qui nous était offert ici… nous luttions contre ce patriarcat qui fit plus d’une victime dans l’ombre. Mais ce combat, aujourd’hui, me paraît avoir été moins difficile en comparaison de celui que nous devons mener aujourd’hui. Ce n’est plus un frère ou un père qui se dresse contre nous …. Mais des hommes rompus dans l’art de dominer qui ont inventé un concept extraordinaire … infaillible pour soumettre les femmes.

Ces nouvelles prisons qu’ils nous inventent tous les jours viennent du plus Haut, ainsi toi, si tu es bonne croyante tu ne peux contester ces Ecrits. Quelle merveille ! tu choisiras par toi-même ce que moi je t’impose ! Et tu ne penseras pas par toi-même car ce que je pense est le mieux pour toi.

Toi aussi tu penses ce qui est le mieux pour moi – moi ancienne indigène. Une combinaison de plongée recouverte d’une robe, ne laissant apparaître que le bout de mes doigts et mes orteils … c’est ce qu’il y a de mieux pour moi. Et ce pan de tissu qui me couvre, c’est ce qu’il y a de mieux pour moi aussi. Ah oui, il paraît que je suis devenue pudique, ben voyons, (c’est l’image de l’indigène aux seins nus qui vous revient lorsque vous dites cela ?)

Non Monsieur, ce n’est pas de la pudeur, c’est un acte violent – un coup asséné à notre corps. Une prison cousue sur mesure. Rien que de l’écrire je n’en respire plus … Ah oui, vous allez me parler de choix. Cela ne vous semble pas étrange ce « choix » qui inonde toute une communauté ? non, ce n’est pas un « choix » c’est le poids de la « Communauté » et vos mots appuient encore plus fort …

Pourquoi ne pas nous aider à nous sauver de ce totalitarisme religieux ? Ah oui, c’est parce que, nous sommes les « autres » et que quelque part on le vaut bien heu…on le veut bien …que vous nous laissez tomber… »

Leïla C et Annie Sugier 50-50 magazine

(1) Terre des Femmes La Découverte Ed. Maspero – 1983

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