Articles récents \ Monde Hélène Lorraine : " le parti LES FEMMES est abolitionniste […] décroissant, pacifiste, écologique et anticapitaliste

Le parti féministe LES FEMMES existe en Allemagne depuis 1995, créé quelques années après la chute du mur. Qui le connait ? Il collabore avec les partis féministes de Suède, Espagne, Norvège, Angleterre et Pologne. Rencontre avec Hélène Lorraine,  l’une des deux porte-parole du parti LES FEMMES pour le Land de Berlin.

 
Quand le parti féministe les Femmes a-t’il été créé ?
Il a été créé en 1995 à la suite du « Jour de grève des femmes » de 1994, lorsque, pour la première fois, les ex-Allemandes de l’est se sont unies aux ex-Allemandes de l’ouest pour protester dans toute l’Allemagne contre la perte de leurs emplois après la chute du Mur. Par la suite un groupe de 30 femmes a mis le parti féministe allemand sur pied, finalement officialisé en 1995.
À l’époque, la ministre des femmes et de la jeunesse était une certaine Angela Merkel.
Le parti prend alors le nom de « Parti féministe : LES FEMMES » (Feministische Partei: DIE FRAUEN).
En 1997, il est rejoint par le « Parti des Femmes » (Frauenpartei), un petit parti féministe ouest-allemand qui existait depuis 1979.
De 2001 à 2011 une députée obtient un mandat communal à Darmstadt.
Aux élections européennes de 2004, le parti obtient 145 000 voix, soit 0,6% des voix ce qui lui permet d’être financé par l’État de 2004 à 2008. Aux élections législatives de 2005, le parti se présente à Brême, à Berlin et en Bavière.
Aux Européennes de 2009, il n’obtient plus que 86 754 voix soit 0,3% et perd ainsi son financement par l’État.
Le 30 octobre 2010 a lieu la première conférence du parti féministe à Valencia en Espagne. Une fédération des partis féministes européens y est crée. Initiativa Feminista (Espagne), Partia Kobiet (Pologne) et Feministiskt Initiativ (Suède) fondent avec le Feministische Partei allemand un cadre de coordination pour la confédération des partis féministes européens.
 
Quelles sont ses liens avec ces autres partis féministes européens ?
Le parti féministe allemand est surtout lié à ses voisins proches comme Feministiskt Initiativ (Suède), Partia Kobiet (Pologne) et Féministes pour une Europe solidaire (FPES) mais aussi Women’s Equality Party (UK), Feministik Initiativ (Norvège) et Initiativa Feminista (Espagne) ainsi que des partis non-européens comme Partida Feminista (Argentine), Le parti de la liberté des femmes du Kurdistan (dont il s’inspire en partie) et du Kadin Partisi Girisimi (Turquie).
 
Quelles sont les principales propositions du parti féministe ?
Lors du congrès des 11 au 13 novembre 2016 à Weimar, lorsqu’il a été question de rendre compte des interventions publiques des membres du parti dans les villes de Berlin, Francfort, Munich, Würzburg et Stuttgart, les actions se sont révélées similaires : prise de parole et position abolitionniste lors de la projection (à Berlin comme à Francfort) d’un film de propagande pro-prostitution en présence de lobbyistes, manifestation du 8 mars, manifestation contre le TTIP, manifestation pour la paix.
Le parti est, d’autre part, décroissant, pacifiste, écologique et anticapitaliste.
Mais seul Berlin compte présenter l’année prochaine une candidate aux élections au parlement. Pour ce faire, les membres (Mitfrauen) berlinoises collectent actuellement des signatures dans l’une des circonscriptions de la capitale. 
 
Quels sont les positions des partis allemands sur la prostitution ?
Les principaux partis et même les plus petits sont tous opposés au modèle suédois à l’exception du parti féministe allemand.
Néanmoins, en juin 2013, la coalition CDU, CSU et FDP déposait un projet de loi au parlement pour lutter contre la traite humaine et en faveur d’un contrôle des lieux où s’exerce la prostitution, bordels, salons de massage, hôtels de passe, etc mais la coalition formée par les Verts allemands et le SPD (dite « coalition rouge-verte »), majoritaire au sein du parlement, a rejeté le projet.
Les conservateurs ne sont pas contents de la situation et voudraient mettre des limites à la libéralisation sans toutefois proposer la pénalisation d’achat de sexe mais la gauche fait obstruction à toute limitation et traite le camp d’en face de réactionnaire.
 
Quel bilan des politiques pro-prostitution à Berlin ? Avez-vous des chiffres sur le nombre de personnes prostitué-e-s, la précarité de leur situation ?
D’après le journal féministe EMMA, il y aurait environ 700 000 femmes dans la prostitution en Allemagne (chiffres de 2012). Rien qu’en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, il y en aurait de 25 000 à 40 000 (soit le chiffre communément avancé pour la France entière). Au moins 60% (mais, en fait, plus que cela)  proviennent des pays d’Europe de l’Est les plus pauvres: Bulgarie et Roumanie en tête.
Finalement ce sont les initiatives citoyennes qui empêchent çà et là l’installation de nouveaux super bordels, des bordels format hypermarché comme on en recense déjà 3000 (chiffre de 2013) dans toute l’Allemagne, comme récemment à Kleinbittersdorf.
Les femmes dans la prostitution sont précarisées à plus d’un titre. D’abord parce qu’elles sont considérées comme des travailleuses indépendantes sans toutefois être tenues de s’enregistrer où que ce soit, ce qui permet de les faire changer de lieu comme on veut. Ce dont ne se privent pas les proxénètes. Elles ont des frais énormes à l’intérieur des bordels ce qui les empêchent finalement d’en sortir, de plus la concurrence est telle qu’elles sont obligées de baisser drastiquement le prix de leurs « services ». Elles n’ont pas la possibilité de refuser des pratiques qui sont de plus en plus gores en raison de l’influence sur les clients de la pornographie. Ceux-ci veulent vivre en vrai ce qu’ils ont vu dans des films comme pratiques abnormales et sadiques.
Le police n’a aucun droit de regard sur ce qui se passe dans les bordels. D’autre par, la plupart des filles ne comprennent pas l’allemand. Elles ne savent parfois même pas où elles sont.
Parmi les réfugié-e-s, des femmes et des enfants disparaissent. On pense qu’elles atterrissent dans la prostitution. On peut d’ailleurs voir depuis quelques années des mineures étrangères sur les trottoirs de la Kurfürstenstraße à Berlin qui est un « trottoir » connu de la ville.
Il n’y a aucune intervention de l’État par rapport à cette situation.
C’est pourquoi les interventions publiques du Parti Féministe sont surtout axées sur la lutte contre la prostitution. Le 3 décembre, quelques membres du parti se sont rendues au congrès annuel de Munich contre l’achat de sexe.
Heureusement, il y a un certain nombre d’associations qui luttent également contre la prostitution : Solwodi, Kofra, SISTERS e.V. pour n’en citer que trois.
 
Propos recueillis par Charlotte Mongibeaux 50-50 magazine

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