Articles récents \ Culture \ Théâtre Le théâtre Dunois, une démarche originale qui lutte contre l’infantilisation du jeune public

Le théâtre Dunois, dans le XIII° arrondissement de Paris, propose une programmation jeune public originale, qui repose essentiellement sur un refus d’infantilisation des enfants, et sur des spectacles « intellos » qui, loin de sous-estimer les jeunes spectateurs, les traitent au contraire comme personnes à part entière. Cette année, deux spectacles, Filles & Soie et Les Préjugés ciblent particulièrement les stéréotypes sexistes, dont la transmission aussi insidieuse qu’inconsciente font des enfants les premières victimes.

Le théâtre Dunois, créé en 1977, était à l’origine un lieu musical. Ce lieu-phare était internationalement reconnu pour certains types de musiques un peu expérimentales, jazz, musiques improvisées… Une aventure musicale qui a duré 13 ans, jusqu’à l’expiration de baux précaires. Un défaut initial d’isolation sonore entraîne une évolution essentielle de la programmation : une ouverture à d’autres genres de spectacles vivants, plus seulement musicaux. Ainsi est née la volonté de faire de ce lieu un théâtre jeune public, afin d’y conserver ce qui fait sa force : une programmation très exigeante, gardant cet esprit de « recherche », pas du tout grand public. Un combat qui confirme la direction dans sa conviction qu’il ne faut pas hésiter à proposer aux enfants des expériences artistiques compliquées, qui mobilisent tous leurs neurones, car ils en sont capables, et en sont même fiers.

Filles et Soie

Filles & Soie, mis en scène et interprété par Séverine Coulon, s’inscrit parfaitement dans cette démarche à la fois créative, artistique et engagée. Librement adaptée de l’album Les Trois Contes, de Louise Duneton, cette forme théâtrale courte d’une demi-heure environ interroge librement les contes de Blanche-Neige, de Peau d’Âne et de la Petite Sirène pour questionner notre vision de la féminité, l’obsession des femmes dès leur plus jeune âge pour l’apparence et leur désir de séduction… et le lot de souffrance, d’inconfort et de dépréciation de soi qui les accompagnent. C’est par un théâtre d’objets que l’artiste s’exprime, au sein duquel les formes scénographiques traditionnelles sont abandonnées au profit d’une esthétique de dessins stimulant l’imaginaire des spectatrices/spectateurs.

Figurines, réalisations picturales en direct, jeux d’ombre et de lumière : Séverine Coulon est partout, nichée à l’intérieur d’un cube-maquette sans cesse en évolution, habitacle qui la contient et lui permet tous les possibles. On ne peut qu’être enthousiasmé-e par cette énergie qui va crescendo : et la lenteur du début laisse rapidement place à l’humour, l’originalité et l’impact des images proposées, qui font définitivement mouche.

A voir en famille.

Rencontre avec la directrice du théâtre, Nelly Le Grévellec.

Pouvez-vous nous parler de l’origine de cette démarche originale, en l’occurrence présenter des pièces visant à combattre le sexisme dans le jeune public ? 

Ce n’est pas une démarche volontariste : les artistes proposent, et nous disposons. Si ces spectacles n’avaient pas existé au préalable, nous ne les aurions pas programmés ! Cette question m’intéresse évidemment, car que je pense qu’aujourd’hui il est nécessaire de rappeler aux fillettes qu’elles ont des droits à défendre bec et ongles, car ce que ma génération a réussi à acquérir est en train de fondre comme neige au soleil, dans certains cas. Cependant nos critères de sélection ne reposent pas là-dessus. Mon action est de gérer un théâtre, de programmer des spectacles pour différents publics jeunes, et j’essaie de montrer à travers ces spectacles un certain nombre d’idées qui me tiennent à cœur, dont fait partie l’égalité femmes/hommes, et plus précisément le statut de la femme. Il est intéressant d’aborder ceci par le biais original du théâtre mais pour moi le théâtre n’a pas vertu à faire de la pédagogie, il a pour vocation d’aller au-delà du quotidien et de montrer une exploration d’un point de vue poétique d’une thématique donnée. La conciliation de l’aspect poétique avec la défense d’un statut est quelque chose de fortuit, et dépend entièrement des artistes que nous avons la chance de rencontrer.

 

Toute la programmation n’est donc pas centrée sur cette question ? 

Non, absolument pas. Je peux dire entre guillemets que j’ai été féministe toute ma vie, donc quand on vient me proposer un spectacle qui aborde sous une certaine forme, ces questions-là, je le programme. Mais il les approche par la frange, précisément par le théâtre et non via un discours sociologique, donc c’est la démarche artistique qui m’intéresse essentiellement. Cette même chose, ce même message en creux, mal joué et mal interprété ne retiendrait aucunement mon intention. Cette saison est assez originale en ce sens, car elle propose deux spectacles qui peuvent entrer dans cette catégorie de « féministes ». Même si ce n’est pas la première fois, cela n’a pas été très fréquent.

 

Copélia Mainardi, 50-50 magazine

 

Filles & Soie se jouera du 8 au 19 mars pour tout public, et du 8 au 17 mars pour les scolaires.
Plus d’information sur le site du théâtre

50-50 magazine est partenaire du théâtre Dunois dans le cadre des représentations de Filles et Soie et les Préjugés

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