France \ Société La procréation médicalement assistée en France 2/2

Lors des Assises de l’Institut Emilie du Chatelet « Contre le sexisme, le corps en action », qui a eu lieu le 23 juin dernier, Virginie Rozée, sociologue à l’Institut national d’études démographiques est intervenue pour présenter la procréation médicalement assistée. Quelques jours avant que  le Comité consultatif national d’éthique donne un avis favorable à son ouverture aux femmes célibataires et aux couples lesbiens.

Les résistances sociales

Les personnes résidentes en France ont la possibilité de recourir à une PMA à l’étranger, dans d’autres pays européens comme la Belgique, l’Espagne ou la Grèce. Ces recours transnationaux sont ainsi devenus une forme de résistance à la prise en charge genrée telle qu’elle est définie et proposée en France.

L’étude « AMP sans frontière » menée à l’Institut national d’études démographiques (Ined) entre 2010 et 2012 a montré que ces recours ne concernaient cependant pas uniquement les « exclu·e·s » de la PMA en France et que donc, les restrictions légales ne suffisent pas à les expliquer. Il y a également une volonté de bénéficier d’une prise en charge plus rapide, considérée comme plus humaine et plus performante ; une volonté parfois aussi de choisir d’autres modalités que celles proposées en France (comme recourir à un don de sperme non anonyme).

Ces recours ont un coût puisqu’à l’étranger, la prise en charge (sauf exception) n’est pas remboursée et se fait le plus souvent dans le secteur privé. Pourtant, ils concernent aussi des personnes plus modestes, qui n’hésitent pas à faire des emprunts bancaires ou à vendre leurs biens pour payer la prise en charge, les déplacements et séjours. Dans le cadre de l’étude, nous avons notamment rencontré un couple qui avait décidé de quitter son appartement et de vivre en collocation pour pouvoir faire des économies.

Au-delà du volet santé publique, cette étude a permis d’étudier les discours et expériences de femmes et de couples qui empruntent des chemins différents de ceux majoritairement empruntés par la population française pour devenir parents ; de revisiter ainsi la « norme procréative » (en référence aux travaux de Simone Bateman, de Nathalie Bajos et Michèle Ferrand, et de Magali Mazuy) ; et d’observer à la fois ses changements et ses pérennités.

La norme procréative dominante (que l’on retrouve dans l’accès et les modalités de la PMA en France) est celle d’une procréation obtenue sans aide médicale. Elle définit le moment et la situation appropriés pour devenir enceinte : avoir « idéalement » entre 25 et 35 ans et entretenir une relation stable et privilégiée avec un homme. A cette composante sociale, l’étude a permis d’identifier une autre composante, cette fois-ci physique et biologique : pour devenir mère, il faut participer génétiquement et corporellement à la « fabrication » de l’enfant. La maternité en France, comme dans de nombreux autres pays, passe par une performance du corps reproducteur, l’adoption faisant ici figure d’exception. Or les femmes qui traversent les frontières pour concevoir un enfant ont parfois plus de 40 ans, elles sont parfois seules ou en couple avec une autre femme. Par ailleurs, elles ne participent pas toutes à la fabrication de l’enfant. Elles contreviennent à cette norme qu’elles ont pourtant intériorisée, ce qui fait qu’elles ont parfois du mal à se créer des espaces de légitimité. Certaines femmes qui recourent au don d’ovocytes craignent de ne pas être considérées par leur entourage et par le futur enfant comme la « véritable mère » car elles ne participent que partiellement à sa conception.

Cependant, l’important pour les femmes rencontrées restait de devenir mères et moins les moyens déployés pour y accéder : contrevenir à la norme n’est donc jamais apparu comme un obstacle à la réalisation du projet reproductif et parental. Les stratégies reproductives que ces femmes déploient contribuent à maintenir voire renforcer les normes de genre (injonction à l’engendrement, performance du corps reproducteur, etc.) mais en même temps, elles contribuent à les transformer, et à élargir notamment la norme procréative en participant à de nouveaux modèles reproductifs et parentaux, à de nouvelles façons de décider et de mobiliser leur corps reproducteur.

Les évolutions de la PMA dans l’avenir

L’accès et les modalités de la PMA sont amenés à être discutés et à changer dans le contexte social actuel. En effet, ces questions sont davantage médiatisées et de moins en moins taboues et on observe une mobilisation croissante de la société civile, associations et collectifs, qui tente de faire pression sur les pouvoirs publics. L’avenir de la PMA va se jouer sur trois points : la GPA (même si les changements à ce sujet s’annoncent lents et incertains) et à plus court terme, l’accès à toutes les femmes et l’auto conservation ovocytaire pour raisons sociales.

La question de l’accès à la PMA pour les femmes seules et les couples de femmes fait partie aujourd’hui de l’espace public et politique. La loi sur le mariage pour tous a certainement contribué à la rendre plus visible. De nombreux pays autorisent la PMA pour toutes les femmes ; l’accès restrictif français apparaît donc comme incohérent dans l’espace européen. De plus, il y a aujourd’hui des positions très claires d’organisations médicales internationales reconnues, comme la Société européenne de la reproduction humaine et d’embryologie (ESHRE) ou l’Association américaine de la médecine de la reproduction (ASRM), qui, à travers leur comité éthique respectif, ne voit aucun argument éthique et fondé justifiant le refus de prise en charge des femmes et des hommes non mariés ou en couple de même sexe.

En France, par ailleurs, 130 médecins ont signé en mars 2016 un manifeste (qui faisait écho au manifeste de 1973 sur l’avortement) dans lequel ils reconnaissaient avoir bravé les interdits en aidant des femmes seules ou des couples de même sexe à concevoir un enfant et dans lequel ils demandent, entre autre, l’ouverture de la PMA. D’après les médias, l’opinion publique y serait majoritairement favorable, position qu’a partagée également le Président de la République, Emmanuel Macron, lors de la campagne électorale. On tend donc vers de possibles changements, vers un accès plus égalitaire et moins discriminatoire, d’autant plus aujourd’hui avec l’avis favorable du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) rendu public le 27 juin 2017, un avis que le nouveau Président de la République s’était tenu de respecter.

En revanche, ce même comité vient d’émettre un avis défavorable concernant l’auto conservation ovocytaire pour toutes les femmes. Il existe en effet désormais la possibilité pour les femmes de conserver leurs ovocytes et de les utiliser ultérieurement. Cette technique est possible dans de nombreux pays mais en France, elle l’est uniquement pour les femmes qui subissent un traitement altérant leur fertilité comme la chimiothérapie ; elle est également accessible aux donneuses – à la condition qu’il leur soit prélevé d’ovocytes pour le don. Cette technique est loin de faire l’unanimité chez les médecins, mais de plus en plus de collectifs se mobilisent pour demander la possibilité pour toutes les femmes de conserver leurs ovocytes. Le manifeste des 130 médecins demande l’autorisation de l’auto conservation ovocytaire pour raisons sociales, tout en revendiquant également un « plan contre l’infertilité » avec des campagnes d’information sur la baisse de fertilité avec l’âge. Des pétitions voient également le jour : celle notamment lancée par le Magazine Elle en mars 2016. Le 19 juin 2017, l’Académie de médecine a également émis un avis favorable. Les propos de Jacques Milliez, rapporteur du groupe de travail, résume les motivations de cet avis : « Le principe d’autonomie des femmes devrait être respecté, sans paternalisme médical ni jugement moral, pour pallier les conséquences de l’infertilité liée à l’âge, pour les femmes qui à 35 ans n’ont toujours pas de partenaire stable, ou qui optent temporairement pour des choix de vie sans maternité immédiate » (extrait du Monde, 19 juin 2017).

Ces avis et prises de positions annoncent des évolutions autour des questions de PMA qui devront être pris en compte lors de la prochaine révision de la loi de bioéthique qui aura lieu en 2018. Ces changements évoqués font néanmoins face à une forte opposition, de personnalité médicales et politiques importantes et de groupes conservateurs actifs, pour qui, entre autres, la médecine ne doit pas répondre à une demande sociale (signalons ici cependant que la médecine répond déjà à une demande sociale dans le cas de la chirurgie esthétique).

Affaire à suivre….

 Virginie Rozée, sociologue à l’Institut national d’études démographiques

 

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