Articles récents \ France \ Société \ Île de France Femmes sans voile d’Aubervilliers : «Le voile est un des plus anciens outils de la domination masculine» 2/2

Née à Saint-Denis dans une famille originaire d’Algérie, Nadia O a vu son père, ouvrier et communiste, encourager ses 8 enfants, filles et garçons, à faire des solides études pour s’émanciper socialement. Nadia B, née en Algérie, enseigne la technologie au collège. Deux femmes libres qui se sont rencontrées à Aubervilliers où elles ont créé le collectif Femmes sans voile d’Aubervilliers. Partie 2

L’émergence et la progression des thèses islamistes dans de nombreux pays du Moyen-Orient et du Maghreb depuis 30 ans n’auraient-elles pas du inviter les démocrates à la vigilance et à la défense des valeurs humanistes qui font le socle de la déclaration universelle des droits humains?

Jusqu’aux récents événements qui ont commencé à endeuiller aussi l’Europe, les politiques occidentaux ne semblaient pas vouloir se rendre compte des dangers de l’islamisme qui a pourtant fait basculer l’Afghanistan dans le chaos depuis plusieurs décennies, avec un recul terrible pour les droits et la liberté des femmes. Elles y étaient enseignantes ou médecins, s’habillaient comme elles voulaient… Avec les talibans elles en sont à revendiquer le droit d’exister et de ne pas subir les violences et les humiliations quotidiennes des hommes… Pour contrer les visées des Russes sur ce pays, toute une population a été sacrifiée et des minorités ont été armées et soutenues dans leurs actions meurtrières.

Au nom de la « liberté » mais surtout d’intérêts économiques, l’Occident a soutenu des révolutions conservatrices dans plusieurs pays du Moyen-Orient, en Iran par exemple, contre-révolutions qui ont certes destitué des dictateurs (souvent mis en place ou soutenus par l’Occident auparavant comme le Shah par ex.), et installé à leur place de nouvelles dictatures théocratiques rétrogrades qui ont imposé à toutes et tous un nouvel ordre social liberticide.

Quand un pouvoir s’installe, comme en Iran en 1989, en imposant aux femmes de se voiler du jour au lendemain sous le contrôle absolu des hommes (et de certaines femmes) gardiens de « leur moralité », et que personne n’entend leurs cris ni ne les soutient, il y a une trahison des démocraties, et surtout de leurs intellectuels et des forces de gauche, qui ont accepté comme étant « révolutionnaires » des régressions en matière de développement et de libertés individuelles.

Les premières à comprendre la situation et à soutenir les Iraniennes ont été des féministes aujourd’hui accusées de racisme parce qu’elles s’opposent à la domination masculine et patriarcale où qu’elle soit, et sous quelque prétexte que ce soit, religieux ou faisant appel aux « traditions ». Que certaines femmes s’y soumettent n’enlève rien à la violence morale ou physique de cette domination, bien au contraire, c’est aussi ce qui lui permet de perdurer ! 

Le concept de démocratie conserve un contenu moderne et révolutionnaire par rapport aux modes de gouvernements archaïques, tribaux ou religieux, toujours profondément ancrés dans la domination masculine, qui ne reconnaissent pas les droits fondamentaux de la moitié féminine de leur population. L’islamisme sait profiter des valeurs démocratiques pour instaurer des pouvoirs antidémocratiques. Ses stratégies très développées lui permettent de diviser aussi bien les partis politiques, les familles, que les forces démocratiques et même d’en attendre certains soutiens en instrumentalisant le racisme, adroitement réinterprété en « islamophobie ».(1)

 

Quel est le moteur de votre action pour cette journée mondiale sans voile…?

L’action des Femmes sans voile d’Aubervilliers lors de cette journée sera d’interpeller les intellectuel-le-s et responsables politiques qui abandonnent une certaine catégorie de Français-e-s aux intégrismes sous prétexte de lutter contre une islamophobie qui a été théorisée par l’ayatollah Khomeiny, niant par la même toute la richesse et la subtilité d’un islam pluriséculaire qui a produit, sur des territoires aux coutumes très différentes, de nombreux savants, géographes, médecins, exégètes, lettrés, poètes et musiciens avant qu’un voile d’obscurantisme ne le recouvre peu à peu.

Nous attendons de la loi qu’elle protège les jeunes esprits en formation et les personnes les plus fragiles de toute forme de pression intégriste. Nous espérons aussi des responsables religieux démocrates qu’ils pensent enfin (avec les femmes) un islam moderne sans voile tourné vers l’avenir, qui intègre la laïcité à ses valeurs et la pense comme un outil permettant de vivre en paix malgré des visions différentes du monde et de la société.

Les forces démocratiques de la communauté internationale doivent s’emparer du débat, favoriser la mixité sociale, promouvoir les échanges autour de ce qui fait conflit (cf le beau travail de Miguel Benasayag autour du conflit vu comme le ferment de toutes les sociétés humaines et non pas comme un frein ou un obstacle) et faire en sorte qu’une solide éducation rationnelle et humaniste, visant d’abord l’émancipation de chacun-e, permette à tou-te-s d’interroger ses croyances et convictions par le biais du débat, et de vivre en bonne intelligence avec ceux/celles qui ne les partagent pas.

Chacun-e doit pouvoir ne pas croire – ou croire – sans être pris à parti par les athées ou les croyant-e-s des autres religions.
Faire société, c’est partager des espaces communs, et non vivre dans des espaces juxtaposés et rendus étanches par l’incompréhension voire la haine prônée par les extrémistes, politiques ou religieux. Faire société, c’est reconnaître la validité d’un même droit pour tou-te-s, permettre la paix sociale et tendre vers une justice humaine et sociale qui ne s’en remet pas à une supposée (future) justice divine. Faire société, c’est aussi mettre d’abord la bienveillance et l’intelligence au cœur de toute relation humaine, même conflictuelle.

 

C’est bien parce que l’on peine à faire progresser la justice humaine et sociale dans un monde gangrené par les puissances financières que certain-e-s sont tenté-e-s par les extrémismes politiques ou religieux ?

Le voile est l’un des outils les plus efficaces de propagation de l’intégrisme religieux créant un malaise grandissant dans les populations des pays modernes qui voient cet archaïsme ségrégationniste non comme une liberté pour les femmes mais bien comme une colonisation sectaire et prosélyte de l’espace public, d’autant plus qu’il s’accompagne de plus en plus souvent d’injonctions les obligeant à couvrir de la tête aux pieds un corps jugé provocant et impur qui ne doit pas souiller l’espace public masculin ni détourner les hommes de dieu, en rendant implicitement indignes celles qui ne le portent pas. Ce voile entrave les femmes dans leurs mouvements et leur interdire l’accès à la jouissance de nombreuses activités émancipatrices de la vie moderne et même à nombre de professions ou pratiques sportives qui requièrent un costume spécifique. Ce vêtement n’est pas d’abord une question de mode ou de liberté individuelle mais que c’est un outil qui vient tout droit de pays dans lesquels la soumission des femmes à un ordre masculin tyrannique est la règle.

Les intégristes instrumentalisent la religion dans des pays et auprès de populations immigrées où elle a encore une valeur symbolique profonde pour en faire un outil politique, ce qui est très dangereux car dans de nombreuses sociétés, les croyant-e-s sont plus nombreux-ses que les non-croyant-e-s et que titiller la fibre religieuse permet d’obtenir des réactions de masse… Par exemple un coca islamique a été créé et promu auprès de tous les musulman-ne-s et largement adopté, l’intérêt économique de certain-ne-s convergeant avec une idéologie politique qui divise.

Le voile est un des plus anciens outils de la domination masculine, Saint-Paul le préconisait déjà dans la Bible. Comme le dit très justement le rabbin Naam Kalman, l’interprétation de ces textes anciens, par des hommes qui s’autoproclament « infaillibles », souffre « d’excès de textostérone ». Et aux ultra-ortodoxes qui voudraient vider l’espace public israëlien de ses femmes, le journal Haaretz donna en août 2012, ce conseil aux mâles dominants : «Si les hommes ultra-religieux ne peuvent voir la moitié de l’humanité ou interagir avec elle, c’est un problème. Mais c’est leur problème. Qu’ils le gèrent. Qu’ils trouvent des solutions qui limitent leur propre confort, leur propre mobilité et leur capacité à agir librement dans le monde, sans exiger des femmes qu’elles renoncent à tout cela. » (2)

 

Propos recueillis par Marie Lévêque, 50-50 Magazine

1 : Ce qu’Elisabeth Badinter a très bien analysé en reprochant sa lâcheté à la gauche française.

2 : Cité par Delphine Horvilleur dans « En tenue d’Éve – féminin, pudeur et judaïsme » aux éditions Grasset

Article publié le 7 juillet 2015

print