Articles récents \ France \ Économie Manifestation du 12 septembre: les « fainéantes » étaient dans la rue!

Un an après la dernière mobilisation contre la loi travail, le 12 septembre, la CGT, la FSU, Solidaires et l’UNEF appelaient à protester contre les ordonnances de la loi travail. Les femmes de toutes générations étaient en grand nombre dans la rue. Paroles recueillies de membres d’organisations féministes, syndicales, de partis politiques qui toutes s’accordent à dire que ces ordonnances vont accroître fortement la précarité des travailleuses.

Céline Verzelleti, référente égalité femmes/hommes au bureau confédéral de la CGT

« Indirectement, la population la plus impactée par les effets négatifs de ces ordonnances ce sont les salarié.e.s des petites entreprises, or les femmes sont sur représentées dans les petites entreprises. Cela va aggraver la précarité et on le sait, il y a beaucoup plus de femmes précaires que d’hommes. Prenons l’exemple du CDD, la durée, le nombre de renouvellement étaient jusqu’à présent régis par la loi. Maintenant on pourra déroger à ces principes par des accords de branche. Cela permettra aux employeurs de multiplier les recours aux CDD. En France, la règle était le CDI et le CDD était l’exception. Maintenant ce n’est plus le cas. Ces mesures aggraveront la précarité, les femmes seront les plus touchées. 

Il y a aussi les mesures qui touchent les femmes directement, notamment ce que nous avions réussi à obtenir à l’issue de nombreuses batailles.  Les employeurs étaient obligé.e.s d’élaborer des plans d’actions, de négocier sur l’égalité, de mettre en place des indicateurs, de diffuser les données aux syndicats et aux salarié.e.s. On avait ainsi des indications sur la provenance des inégalités et on savait donc mieux les combattre. Si on n’a pas les données, c’est difficile de négocier. Ces obligations là pourront être optionnelles. Les négociations pourront avoir lieu que tous les 4 ans alors qu’avant elles avaient lieu tous les ans. Il y avait des sanctions lorsqu’il n’y avait pas ces plans d’actions, et même si elles n’étaient pas bien appliquées et même si il y avait encore beaucoup de choses à faire évoluer, elles existaient. Il y a aujourd’hui un recul terrible sur l’égalité !
Ensuite il y a la question des congés familiaux qui principalement concernent les femmes, et qui étaient négociés par des accords de branche; avec les ordonnances, ils pourront être modifiés par accords d’entreprise. Les mesures qui impactent le plus les femmes sont l’inversion de la hiérarchie des normes sur les congés et la durée du travail. Ce sont les femmes qui ont à charge, le plus souvent, l’éducation des enfants et les tâches domestiques. Donc sur les négociations de l’égalité femmes/hommes dans les entreprises et les questions des congés familiaux, on a véritablement reculé. 

Nous pensons que dans les entreprises, pour arriver à réduire les inégalités professionnelles et salariales, il faut que l’on puisse avoir dans chaque entreprise des organisations syndicales qui évaluent, mesurent les inégalités et mettent en place des négociation, des accords, des plans d’actions qui permettent de les réduire. Les textes avaient évolués même s’ils étaient peu appliqués. Ces mesures sont un grand bond en arrière sur les questions d’égalité. Aujourd’hui on est toujours à 26% d’écart salarial, les chiffres n’ont pas bougé et la situation est toujours aussi déplorable. »

 

Suzy Rojtman : porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes

« Comme nous l’avons écrit dans la tribune publiée par Médiapartles mesures qui amoindrissent les droits de tou.te.s, ont encore plus d’impact sur les plus vulnérables. Le plus marquant dans cette série d’ordonnances, c’est l’inversion de la hiérarchie des normes qui avait été largement entamée dans la loi El Komhri. Les femmes sont majoritaires dans les très petites entreprises. C’est là que  les accords d’entreprises vont primer sur les accords de branches. Elles risquent de perdre des acquis qui figuraient dans les conventions collectives qui étaient négociées dans les branches. C’est le cas des droits familiaux. Le code du travail autorise 3 jours non rémunérés de congés enfant malade. Ces congés sont pris par les femmes en majorité. Les conventions collectives étendaient très souvent le nombre de jours de congés enfant malade et les rémunéraient. Cela risque de disparaître. Autre exemple, les conventions collectives pouvaient allonger les congés maternité et permettaient la rémunération à 100% ce qui était une amélioration de ce que permettait le code du travail. Cela risque de disparaître également. Dans les petites entreprises, il n’y a pas de section syndical ce qui fait que la négociation est très difficile. 

Avec les ordonnances, le gouvernement va affaiblir les outils de l’égalité professionnelle. Il y avait une négociation annuelle égalité professionnelle/qualité de vie au travail qui obligeait l’entreprise à fournir des données aux salarié.e.s sur l’égalité professionnelle. Même si on n’avait plus les rapports de situation comparée, même si c‘était dans une base de données économique et sociale, on obligeait l’entreprise à fournir des données aux salarié·es. Les entreprises qui ne fournissaient pas ces données pouvaient être sanctionnées, c’était rare mais cela existait. Maintenant, les ordonnances permettront à l’entreprise de choisir les données à transmettre et de passer d’une négociation annuelle à une négociation quadriennale, voire de ne pas négocier du tout. Cela va beaucoup affaiblir les outils de l’égalité.

Le Comité d’hygiène et de sécurité des conditions de travail va être fusionnée avec le Comité d’entreprise. Or c’était la seul entité qui faisait de la prévention des violences sexuelles au travail. Sa disparition va faire qu’il n’y aura plus de prévention sur le harcèlement sexuel au travail. 

Sur la mobilisation des féministes, il y a eu cette tribune de toutes les féministes, celles qui sont dans les associations féministes, celles qui sont dans les syndicats et celles qui sont dans les partis politiques, pour dénoncer ces ordonnances. Cette publication a eu un grand impact. Il y a un cortège féministe dans cette manifestation. »

 

Monique Dental, animatrice du réseau Ruptures

 » Je suis dans cette manifestation parce que évidemment les ordonnances Macron sont intolérables d’un point de vue général par rapport aux avancées que représentait le code du travail, même si l’on sait que la loi El Khomri l’avait justement entamé. Toutes ces avancées étaient déjà un peu remises en question. Le moment est très grave car la génération d’aujourd’hui ne peut pas réellement saisir à quel point c’est une nouvelle situation qui est tout à fait favorable au néolibéralisme. On s’appuie maintenant sur des licenciements possibles sans condition de contrôle etc.

Ce qui me semble important, c’est d’arriver à se rendre compte que les droits des femmes étaient déjà très dégradées avec une mise en cause réelle d’un certain nombre d’acquis pour lesquelles les féministes comme moi des années 1970, du MLF, nous nous sommes beaucoup battu.e.s.

Mais en quoi est-c’est une étape supplémentaire ? Déjà avec toutes les mesures de rétorsion, les femmes étaient les premières concernées et cela touche encore plus toutes les femmes précarisées.

Toutes les mesures qui pouvaient être favorables aux droits des femmes comme l’analyse de situation comparée tous les trois ans, sont considérées comme supplétives c’est-à-dire qu’il n’y a plus d’obligation. Il n’y avait déjà pas beaucoup de pénalités financières et on travaillait sur les moyens de les rendre obligatoires comme c’est le cas dans un certain nombre de pays du Nord.

Maintenant le travail ce n’est plus de faire en sorte qu’on ne régresse plus, nous sommes aujourd’hui pratiquement dans une logique d’assistées.

Je pense qu’aujourd’hui nous sommes vraiment dans un cadre qui nous met dans une logique différente, nouvelle, et qu’il n’y a qu’une solution pour y faire face: c’est la convergence des luttes. En ne perdant pas de vue que ce qui conditionne maintenant le changement c’est de le faire à partir des plus dominé.e.s, des plus exploité.e.s,des plus opprimé.e.s du système patriarcal.

Nous sommes là pour ça:  toujours vigilantes et toujours féministes tant qu’il le faudra.  »

 

Éléonore Stévenin, membre du CA d’Osez le féminisme !

«Les ordonnances risquent de précariser beaucoup plus les femmes puisqu’elles vont précariser tous les salarié.e.s. Si on touche, par exemple au temps de travail, ce sont les femmes qui sont les plus touchées, car ce sont les femmes qui travaillent le plus à temps partiel. Si on s’attaque aux petites et moyennes entreprises ce sont également les femmes qui sont en première ligne puisqu’elles travaillent en majorité dans ce type d’entreprise. Nous pensons que ces ordonnances sont sexistes

 

Danièlle Simonnet, co-coordinatrice du Parti de Gauche

« À chaque fois qu’il y a précarité, ce sont les femmes qui la subissent le plus durement. Les femmes sont toujours celles sur qui on fait peser la précarité. Regardez d’ores et déjà  les temps partiels imposés, ce sont les femmes qui les récupèrent. Vous avez aussi beaucoup de femmes dans les secteurs les plus touchés par la précarité. Dans le dumping social, la logique néolibérale a toujours utilisé la domination  patriarcale pour pouvoir justifier les exploitation des autres, en exploitant d’autant plus les femmes. »

 

Laurence Cohen, sénatrice du Parti Communiste 

«  Les ordonnances impactent l’ensemble des salarié.e.s mais particulièrement les femmes parce les ordonnances ne prennent pas en compte le lien de subordination entre la salariée et l’employeur. Les négociations sont ramenées au niveau de l’entreprise et cela va avoir des conséquences sur les femmes.  Il n’y a plus de rapports de force. Toutes les lois que nous avons réussi à arracher depuis 1980 sont remises en cause.  Malgré les engagements de Macron qui voulait faire de l’égalité femmes/hommes une Grande Cause Nationale, il va y avoir une remise en cause de toutes les protections, y compris de celles qui protègent les femmes en congé maternité. Les femmes qui travaillent dans le commerce vont devoir accepter de mauvaises conditions de travail car elles n’auront pas le rapport de force au niveau de la branche où elles n’auront pas la protection de la loi. Quand on ramène à l’entreprise, on sait pertinemment que c’est l’employeur qui a finalement toute la latitude pour imposer des conditions de travail qui ne vont pas dans l’intérêt des salarié.e.s. Donc les femmes vont être particulièrement impactées par cette série d’ordonnances et c’est pour cela que c’est très important d’être dans la rue. »

 

Propos recueillis par Caroline Flepp, Salome et Manon Choaler 50-50 Magazine 

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