Articles récents \ France \ Société L’enfer des enfants co-victimes de violences conjugales

En septembre dernier, l’Observatoire Régional des Violences faites aux Femmes (ORVF) a présenté ses préconisations concrètes de réformes juridiques et institutionnelles pour permettre d’améliorer la protection et l’accompagnement de des enfants co-victimes. Ces préconisations sont issues du rapport préparé par un groupe de travail pluri-professionnel réuni au Centre Hubertine Auclert.

En France, on estime que 223 000 femmes sont victimes de violences pas leur ancien ou actuel partenaire. 143 000 enfants vivent dans un foyer où les femmes sont victimes de violences conjugales physiques et sexuelles. 80% d’entre eux sont témoins auditifs ou oculaires des violences conjugales, 40% sont directement victimes de violences physiques, et, 60% subissent des troubles post-traumatiques, comme les victimes d’un attentat ou d’un viol.

83% des Franciliennes ayant appelé le 3919 (Violences Femmes Info) ont des enfants et en 2015, 36 enfants ont été tués dans le cadre des violences au sein du couple. Le 5ème Plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes 2017-2019 devrait comprendre une nouvelle étude spécifiquement dédiée à l’impact des violences conjugales sur les enfants.

La convention d’Istanbul, ratifiée par la France le 4 juillet 2014 et entrée en vigueur le premier novembre 2014, stipule : « Reconnaissant que les enfants sont des victimes de la violence domestique, y compris en tant que témoins de violence au sein de la famille […] les parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires pour que, dans l’offre des services de protection et de soutien aux victimes, les droits et les besoins des enfants témoins de toutes les formes de violence couvertes par le champ d’application de la présente Convention soient dûment pris en compte » (Article 26).

 

Les conséquences des violences conjugales sur les enfants

Lorsque les enfants sont confrontés à des violences conjugales entre leurs parents, ils ont différentes façons de réagir. En se croyant responsables des violences, ils peuvent adopter un comportement exemplaire à la maison afin que le parent-auteur ne recommence pas mais, devant un constat d’échec, les enfants vont se sentir impuissants et développer un sentiment de culpabilité. Certains enfants ont, en revanche, un mécanisme de défense inverse. Ils vont s’identifier à l’auteur des violences, en l’observant régulièrement avoir recours à la force ou aux menaces pour maintenir son contrôle et ainsi vont reproduire le schéma et se montrer agressives/agressifs envers leur entourage.

Le retentissement des violences intra-familiales sur les enfants témoins ou eux-mêmes victimes peut être immédiat mais aussi refoulé par le subconscient. Les résurgences impactent principalement la santé et le comportement social de l’enfant. Il peut souffrir de troubles somatiques, émotionnels, psychologiques comme des angoisses, une dépression, des troubles du sommeil et de l’alimentation ou encore un syndrome de stress post-traumatique. Par ailleurs, des troubles du comportement sont fréquemment détectés : agressivité, violence, baisse des performances scolaires, désintérêt ou surinvestissement scolaire, fugues, délinquance, idées suicidaires, usage de drogues… Ces enfants souffrent souvent de problèmes cognitifs qui se traduisent par une faible estime de soi et une image négative et rendent difficiles leurs futures relations notamment à l’âge adulte.

 

Les recommandations

Devant ces constats alarmants qui nuisent à la santé physique et psychologique de ces 143 000 enfants, l’Observatoire Régional des Violences faites aux Femmes a rédigé huit recommandations pour favoriser leur prise en charge. Il s’agirait dans un premier temps d’intégrer la thématique des enfants co-victimes dans les campagnes contre  les violences et d’éduquer les enfants dès le plus jeune âge à la problématique de l’égalité femmes/hommes et filles/garçons.

L’ORVF préconise d’améliorer l’accès des femmes victimes de violences conjugales et de leurs enfants aux dispositifs de mise en sécurité comme les hébergements d’urgence, le Téléphone Grave Danger et l’accès au logement pérenne. Dans un processus de reconstruction, les associations spécialisées devraient développer des dispositifs spécialisés d’accompagnement des enfants et leur accès aux soins psycho-traumatiques devrait être amélioré notamment en généralisant le dispositif « Féminicide » expérimenté en Seine-Saint-Denis.

Le repérage des enfants co-victimes doit être amélioré avec la systématisation du questionnement sur les violences dans le cadre de la formation des professionnel·le·s De plus, l’enfant doit être reconnu en tant que victime dans le droit pénal pour qu’il puisse accéder aux droits des victimes et que la condamnation de l’agresseur soit renforcée.

Pour ce qui est de l’autorité parentale, l’intérêt de l’enfant doit primer dans les décisions de justice, c’est-à-dire qu’il faut prendre en compte le danger de la continuité des violences après séparation et qu’il faut appliquer la loi qui dispose que lorsque la sécurité de l’enfant l’exige, le retrait de l’autorité parentale au parent-auteur de violences soit automatique.

Enfin, l’ORVF conseille de renforcer la coopération interinstitutionnelle sur la problématique afin de faciliter la transmission et le partage de l’information notamment entre les acteur·trice·s de la justice pénale, civile et de la protection de l’enfance.

 

Manon Choaler, 50-50 Magazine

 

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