Articles récents \ France \ Politique Président Macron : où est l’argent pour les droits des femmes ?

Dans son discours du 25 novembre, le Président de la République a évoqué sa part de honte face à l’omerta sur les violences faites aux femmes. Il a parlé d’éducation à l’égalité dés la crèche, d’une attention particulière à porter aux femmes migrantes, du caractère universel des droits des femmes, etc. Il a énuméré une longue liste de projets pour réduire les violences faites aux femmes et plus largement en faveur de l’égalité femmes/hommes.  Néanmoins, la question récurrente demeure : où est l’argent pour les droits des femmes ? Et comment ses paroles se traduiront-elles en réel changement de paradigme sur le terrain ? La question reste posée lorsque le ministre de l’Éducation Nationale refuse le principe des ABCD de l’égalité, 2 jours après, sur France Inter.

Paroles de féministes recueillies lors de la manifestation du 25 novembre à Paris.

 

 

Sabine Salmon, Présidente de Femmes Solidaires

Nous étions présentes à l’Élysée pour écouter le discours d’Emmanuel Macron sur la grande cause nationale pour l’égalité femmes/hommes et sa première application, les violences faites aux femmes. Le discours parle de prévention, d’éducation non sexiste dès le plus jeune âge avec la formation des personnel.le.s de crèche, de formation continue avec un cycle lutte contre les violences sexistes en direction des professeur.e.s etc. Le président a proposé  que le dépôt de plainte se fasse plus rapidement, que les victimes puissent le faire en ligne, que le 3919 soit élargi aux cyber-sexisme et au cyber-harcèlement. Il y a un certain nombre de mesures annoncées, mais rien n’a été dit sur les moyens financiers mis en œuvre.

Femmes Solidaires a interpellé le Président sur l’universalité des droits des femmes et le relativisme culturel, puisqu’il va y avoir l’année prochaine, de grands rendez-vous internationaux. Emmanuel Macron a réaffirmé que la France avait une vision universaliste des droits des femmes et qu’elle était totalement engagée dans la lutte contre le relativisme culturel. C’est pour nous un message très positif envoyé aussi aux femmes de la planète et aux autres gouvernements.

 

Cécile Piques, porte-parole d’OLF

Le discours d’Emmanuel Macron affiche de grandes ambitions, mais peu de moyens. Il y a eu une annonce de mesures que nous connaissions déjà, comme la création d‘un seuil d’âge en dessous duquel il y aura une présomption systématique de viol pour les victimes mineur.e.s,  il y a l’annonce de la création d’un outrage sexiste. Il n’y a pas eu de nouvelles annonces. Et il y a un gros souci au sujet des moyens alloués. Nous attendions un fond d’urgence avec un vrai plan quinquennal et une vraie mobilisation de moyens.

Le budget du Secrétariat d’État de Marlène Schiappa est de 29 millions d’€, il est stable, et pour nous ridicule. Cet été, le gouvernement a annoncé une baisse de 25% de ce budget. Ce n’est pas du tout à la hauteur des enjeux. Il y a un budget interministériel de 400 millions, stable par rapport à l’année dernière. Ce ne sont que des effets d’annonce sur une augmentation alors qu’il y a un « refléchage » d’un budget déjà existant vers ce budget interministériel.

Nous souhaitons la formation de l’ensemble des professionnel.le.s, en particulier les professionnel.le.s de l’éducation, de la police et de la justice. Ces mesures coûtent des centaines de millions d’€ et ce n’est pas avec un budget interministériel stable et un budget dédié à l’égalité femmes/hommes de 29 millions d’€ qu’on y parviendra. Donc là c’est la grande inconnue, c’est un tour de passe passe du gouvernement, il n’y a pas de moyens mobilisés sur cette question. Le Président de la République aurait pu faire beaucoup plus et notamment parler de la correctionnalisation des viols. Les mesures annoncées sont insuffisantes pour réellement éradiquer les violences sexuelles.

Grégoire Théry, chargé de plaidoyer au Mouvement du Nid

Nous avions vraiment insisté pour qu’à l’occasion de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, il y ait une référence à la prostitution,  la prostitution qui a récemment été reconnue comme une forme de violence faite aux femmes. L’achat d’un acte sexuel est reconnu comme un abus sexuel depuis 2011. Malheureusement cela a manqué dans le discours d’Emmanuel Macron. Il n’y a pas eu une seule référence à la prostitution, même si il y a eu une référence intéressante à la pornographie. Et puis, nous n’avons pas du tout été rassuré.e.s sur la question du budget. Il n’y aura pas de grande cause nationale efficace sans des moyens supplémentaires pour renforcer l’action des associations.

 

Suzy Rojtman, porte-parole du Collectif  National pour les Droits des Femmes

Emmanuel Macron a prononcé un discours empreint de solennité et d’empathie par rapport aux violences faites aux femmes le 25 novembre. Un discours fondateur nous dit-on.

Oui mais les mesures adoptées ne sont pas à la hauteur du ton employé.

Certaines mesures sont nouvelles et positives, comme l’allongement des délais de prescription ou l’ouverture, à titre pilote, de dix unités de psycho-traumatologie, spécialement consacrées aux violences faites aux femmes on espère, mais d’autres ne sont que des reprises et des mises en œuvre de mesures décidées par les gouvernements précédents : la formation qui est inscrite dans la loi depuis 2014, ou l’arrêt des bus à la demande qui fait partie du « Plan national de lutte contre le harcèlement sexiste et les violences sexuelles » dans les transports qui date de juillet 2015, ou encore le fait d’accorder le droit d’asile aux filles menacées d’excision qui est possible maintenant car la jurisprudence a évolué. On notera qu’il n’y a rien sur le travail alors que les syndicats et les association ont fait des propositions. Pas de transcription non plus dans le droit français des mesures de la Convention d’Istanbul telles que l’interdiction totale de la médiation pénale ou familiale, ou l’élargissement possible des bénéficiaires de l’ordonnance de protection. Alors que c’est obligatoire…

Non, le compte n’y est pas. Avec un tel mouvement, il faudrait un plan beaucoup plus ambitieux.

 

Caroline de Haas, militante féministe 

C’est la première fois qu’un Président de la République prend la parole aussi longtemps sur la question des violences. C’est positif. Le problème est qu’il y a 0 € supplémentaire pour mettre en œuvre cette grande cause nationale. Je ne sais pas comment on fait changer les mentalités et les comportements de 66 millions de personnes sans avoir 1 € supplémentaire sur la table.

Nous avons tout de même eu 460 000 personnes qui ont témoigné de violences sexuelles. Encore heureux que le Président de la République ait commencé à prendre conscience de l’ampleur du problème. Mais il reste un risque non négligeable que toutes les annonces d’Emmanuel Macron restent lettre morte.

Il y a un décalage entre l’ampleur des violences dans notre pays et le discours d’Emmanuel Macron. Quand il parle trois fois de délation, il envoie un message aux femmes en leur disant qu’elles ne seront pas crues ! C’est exactement ce que veulent les agresseurs. Ce n’est pas opportun d’utiliser le terme de délation quand on fait un discours sur les violences contre les femmes. C’est historique parce que pour la première fois un Président de la République fait un discours long sur cette question, avec un certain nombre de propositions. Mais ma crainte est que toutes ces propositions restent lettre morte parce qu’aujourd’hui, il n’y a aucun budget prévu pour les mettre en œuvre.

 

Monique Dental, Réseau Féministe « Ruptures »

L’ampleur des dénonciations des violences faites aux femmes, a conduit le Président de la République à prendre l’initiative d’annoncer un certain nombre de mesures. Pour nous, elles ne sont pas nouvelles, ce sont celles que les associations féministes qui travaillent sur les violences formulent depuis plusieurs années.  Emmanuel Macron est un homme assez subtil pour sentir ce qu’il faut faire face à une situation politique. Il faut le prendre au mot et ne plus lâcher : « Qu’avez-vous fait ? », « Que ferez-vous des mesures annoncées ? », « Quand seront-elles mise en place ? », « Quels financements pour leur mise en œuvre et pour leur accompagnement ? ». Pour l’instant le compte n’y est pas.

Si ces propositions faites par Emmanuel Macron sonnent bien à nos oreilles et ne se veulent pas être de veines paroles, même si elles sont intéressantes sur le fond, il n’y a pas de quoi se réjouir : le budget ne suit pas puisqu’il reste à l’identique, les subventions aux associations féminines et féministes n’ont pas bougé, rien de précis n’est dit sur celles qui ont été annulées ; ce qui conduit actuellement à des fermetures d’accueil de femmes et des licenciements de personnes liés au non renouvellement des emplois aidés. Nous savons, par expérience, que la loi est toujours détournée. La modifier n’est pas suffisant non plus. Nous dénonçons par exemple la dérive persistante constatée une fois de plus : le viol, reconnu comme crime depuis la loi de 1980, est traité surtout en correctionnelle et l’argument selon lequel les procès coûtent cher n’est pas recevable.

« Les femmes, grande cause nationale » n’est pas une idée nouvelle. Dans un passé récent, un autre Président de la République l’avait annoncée avec un train de mesures importantes y compris sur les violences. Elle figurait au programme de campagne du candidat Macron, cela ne l’a pas empêché de ponctionner fortement le budget pour les droits des femmes. Cette grande cause est revenue sur le devant de la scène parce qu’un tournant s’était produit et qu’il fallait y répondre politiquement. En cela, le président de la République a l’art de sentir les choses. Mais il est symptomatique de retenir que son discours ne dit rien sur la revendication essentielle à laquelle nous tenons : la promulgation d’une loi-cadre englobant l’ensemble des violences.

Laurence Cohen, sénatrice PC du Val-de-Marne

Les annonces du Président de la République rejoignent celles que demande le Parti Communiste français, par exemple la prise en charge à 100% des victimes de violences est une excellente proposition, parler d’unité spécialisée dans chaque hôpital ou groupement d’hôpitaux, je signe des deux mains. Le problème c’est que la Sénat, la semaine dernière, a décidé, lors de l’examen du budget de la sécurité sociale, de réduire le budget des hôpitaux.

Les restrictions budgétaires ne permettront donc pas de mettre en œuvre les annonces d’Emmanuel Macron. Agnès Buzyn a annoncé qu’il y avait des dépenses inutiles à restreindre et que le budget qui vient d’être voté au Sénat est un budget vraiment austéritaire. Le programme 137 qui va passer au Sénat, en très légère augmentation mais infinitésimal, prévoit de diminuer de 25% la ligne budgétaire consacrée à l’accompagnement de la sortie de la prostitution. Mais il n’y a aucun moyen mis en œuvre. Ce sont des mesures concrètes qui montre que la volonté politique est dans les paroles mais pas dans les actes.

 

Hélène Bidard, adjointe à la Maire de Paris chargée de l’égalité femmes/hommes, la lutte contre les discriminations et les droits humains 

Les annonces d’Emmanuel Macron reprennent les propositions portées par les associations tels que la création d’un âge au dessous duquel le consentement au rapport sexuel est présumé absent. Le problème est qu’on peut toujours accumuler les lois, et il y a déjà de très bonnes lois sur les violences et sur l’égalité professionnelle, il n’y a aucun budget qui permette à la police et à la justice d’agir correctement.

Une grande cause nationale est un dispositif spécifique sur décret du Premier Ministre qui donne un certain nombre de moyens, et notamment de grande campagne. On nous a parlé de grande cause nationale, mais dans son discours Emmanuel Macron a mentionné un grand plan quinquennal. Juridiquement un plan quinquennal et une grande cause nationale ce n’est pas la même chose, ce n’est pas le même budget, ce ne sont pas les mêmes moyens, donc il y a un flou autour de ce qui va être mis en œuvre, et autour du budget alloué.

 

Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine

Photos Jean-Robert Suesser

Article actualisé le 29 novembre

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