Articles récents \ Île de France \ Société Agnès Lecordier :« La personne la plus âgée que nous ayons relogée avait 90 ans et la plus jeune, 18 ans »

Selon l’enquête de l’INSEE de 2012, les femmes sans abri étaient en France 30 000 dont 7000 à Paris. Elles ont des profils variés mais toutes ont en commun de se rendre invisibles par crainte de violences. La Fondation Lecordier aide ses femmes à se loger, se soigner, se réinsérer… Les actions de la Fondation sont présentées par Agnès Lecordier, sa fondatrice et présidente.

 

Comment est née votre projet de fondation ?

En 2008, avec mes deux sœurs, nous avons décidé d’agir pour les femmes SDF. Nous voulions financer des associations travaillant sur cette question, mais nous n’en avons pas trouvé, puisqu’il n’en existait pas. Nous n’avons pas voulu en créer nous-mêmes, car ce n’était pas notre métier. Nous avons donc cherché des partenaires et nous avons rencontré et financé les petits frères des Pauvres avec lesquels nous étions tout à fait en harmonie. En 2010, ils nous ont demandé d’officialiser notre partenariat en créant une fondation pour les femmes de la rue. Nous avons alors construit, avec eux, avenue de Parmentier à Paris, un centre de soins pour les femmes et un centre d’accueil de jour dédié aux femmes SDF de plus de 50 ans. Nous avons loué à l’année deux étages d’un hôtel que nous avons rénové pour pouvoir accueillir en urgence des femmes sans qu’elles soient obligées de passer par le 115.

Nous avons ensuite commencé à financer des associations en dehors des petits frères des Pauvres comme Femmes SDF de Grenoble qui est un accueil de jour unique en son genre. En 2015, la proportion des femmes SDF n’a fait que croître et nous avons absolument voulu agir pour les plus jeunes.

 

Quel est l’objectif de votre fondation?

Nos missions c’est financement, plaidoyer, éducation, formation.

Nous pensons que tous les jeunes qui sortent de l’aide sociale à l’enfance que ce soit des filles ou des garçons, sont les enfants de notre République, de la Nation. A 18 ans, on est encore un enfant. Ce sont nos enfants et on ne peut pas mettre nos enfants dehors.

Nous avons fait passer ce plaidoyer par le Think Tank Terra nova l’été dernier. Le sujet des jeunes qui sortent de l’aide sociale à l’enfance a été confié par Edouard Philippe au Conseil Economique et Social. Avons nous pesé sur cette 

Dans certains départements, les jeunes ont le droit à des contrats jeune majeur, mais ces contrats ne sont pas donnés systématiquement. Dans certains départements, ils y ont accès s’ils suivent une formation, dans d’autres, il va y avoir un numerus clausus. Il n’y a pas d’égalité d’attribution sur le territoire et parfois des enfants se retrouvent strictement sans rien. Lorsque nous le disons aux représentant.e.s de l’État, elles/ils nous répondent qu’elles/ils ont droit aux allocations de logement, à des aides à la formation de la région. Ce n’est pas suffisant et d’autant plus que ces enfants sont seuls. Ils ont besoin d’avoir un encadrement, d’avoir quelqu’un. Une jeune fille me disait : « quand ça ne va pas je n’ai personne à qui parler, et quand ça va, je n’ai également personne à appeler ».

Nous réclamons une allocation unique et systématique pour tous les jeunes qui sortent de l’aide sociale et un accompagnement social jusqu’à l’âge de 21 ans minimum. Il s’agirait d’un accompagnement pour gérer l’argent, pour suivre les études, pour tout. Nous voudrions instaurer des marrainages avec des personnes qui soient en dehors du système social, qui puissent les aider à trouver un stage, chez qui ils puissent aller déjeuner le dimanche.

 

Combien de femmes vivent dans la rue et qui sont elles ?

La proportion des femmes de plus de cinquante ans dans la rue c’est 30 %. Les femmes qui sont dans la rue sont généralement très jeunes, 45 % d’entre elles sortent de l’aide sociale à l’enfance. Les jeunes femmes entre 19 et 30 ans représentent 48%. Ce sont des jeunes filles qui, le jour de leur 18 ans, sont mises dehors sans aucune solution.

Les cas de figure de ces femmes sont vraiment très variés. La personne la plus âgée que nous ayons relogé avait 90 ans et la plus jeune, 18 ans. Les histoires sont très diverses.

Nous avons accueilli un dame africaine qui était sage-femme en Afrique et qui est venue s’installer en France auprès de son fils. Mais celui-ci a rencontré une femme, ils ont eu un bébé et de ce fait, il ne voulait plus de sa mère chez lui. Elle est donc partie et s’est retrouvée à dormir dehors à 73 ans et atteinte d’un cancer, au pied de l’hôpital St Joseph. Nous avons pu l’héberger. Elle est décédée, mais dans des conditions moins sordides.

Nous recevons beaucoup de femmes âgées, compagnes d’artisans qui font partie de cette génération de femmes qui n’avaient pas de statut de conjointes travailleuses donc pas de retraite, juste une pension de réversion qui est insuffisante pour vivre. C’est la même chose pour toutes les femmes qui ont été embauchées au noir toute leur vie : pas de retraite.

Beaucoup de femmes SDF sont victimes de violences. Nous avons accompagné une femme qui n’avait jamais travaillé de sa vie. Son mari a pris tous ses papiers et en a fait un feu de joie, elle n’avait plus aucune trace de son identité. Elle a eu le bon réflexe de venir chez les petits frères des Pauvres. Elle a pu être hébergée et retrouver une vie après.

Nous avons suivi une femme médecin qui avait perdu un enfant, qui a fait une dépression gravissime et a tout perdu. Elle était incapable, sans accompagnement de se reconstruire.

Nous avons eu beaucoup de jeunes filles victimes d’inceste ou d’agressions de la part d’un membre de leur famille et qui partent de chez elles. Ce que je trouve terrible c’est de voir qu’un des moyens les plus simples pour les jeunes filles qui sont à la rue, de retrouver un statut c’est d’être enceintes. A partir du moment où elles sont enceintes et donc futures mères, elles sont prises en charge, elles ont le droit à des allocations, un logement. Mais généralement ce qui se passe c’est qu’au bout de trois ans, on leur prend leur enfant et ceux-ci sont alors eux-mêmes placés.

Il y a également des femmes qui ont perdu leur emploi. Je pense à une femme professeure d’université non titulaire qui ayant perdu son emploi principal, a aussi perdu ses heures à la fac. Elle avait 62 ans et s’est retrouvée sans rien du jour au lendemain. Pour elle, nous avons pu aller très vite car elle est venue chez les petits frères des Pauvres assez rapidement.

Il y a aussi les femmes migrantes. Nous finançons l’association Ikambere qui accueille des femmes migrantes à St Denis. Toutes viennent de l’Afrique subsaharienne. 100% de ces femmes ont été violées au cours de leur voyage et toutes sont atteintes du VIH. Nous finançons des appartements de relais pour ces femmes où elles sont soignées et prises en charge.

 

Concrètement que souhaitez vous construire pour aider ces femmes ?

Nous avons très peu d’argent. Nous sommes une très petite fondation, mais nous avons un gros réseau. Nous avons réuni plusieurs fondations et nous commençons à mettre en place les maisons d’accueil. Il s’agit de louer des maisons dans différentes petites villes de France pour héberger cinq à six jeunes filles avec une accompagnatrice sociale pour qu’elles puissent avoir un toit sur la tête et poursuivre un cycle d’études au moins jusqu’à 21 ans. Nous espérons créer la première en 2018 en Ile de France avec une association locale.

Nous essayons aussi de monter des centres d’accueil de nuit dans Paris.

D’une femme à l’autre, les besoins ne sont pas les mêmes, mais il faut toujours un accompagnement social. Vous n’accompagnez pas de la même façon une jeune fille de 18 ans, une psychotique de 50 ans ou une dame âgée de 75 ans. Il faut des petites structures. Mon rêve serait une petite structure par arrondissement avec un petit nombre de places de façon à pouvoir vraiment travailler. Le logement seul ne suffit pas, il faut un accompagnement qui se fasse par étapes, du centre d’hébergement d’urgence, au centre d’hébergement, puis à la pension de famille et enfin au studio indépendant. L’accompagnement prend du temps mais il est essentiel.

Ce qui est paradoxal, c’est qu’un SDF dehors coûte plus cher qu’un SDF dedans et donc héberger les SDF reviendrait moins cher à l’État. Nous nous sommes rendu·e·s compte qu’elles/ils développaient beaucoup moins de pathologies, que l’on devait beaucoup moins faire appel aux pompiers, appeler les pompiers cela coûte très cher. Quand on a des gens qui font des crises d’angoisse ou de démence et qui sont emmenés dans des hôpitaux psychiatriques cela coûte très cher. Si on cumule en un mois une nuit en hôpital psychiatrique, deux ou trois nuits dans un centre d’hébergement d’urgence, on a très largement dépassé le seuil du RSA et le seuil des allocations logements. Donc une fois qu’on a logé les gens et qu’on a l’accompagnement qui va avec, les résultats sont assez étonnants.

Les choses sont en train de changer. Il y a plusieurs centres d’hébergement qui vont être ouverts en France, mais ce n’est pas suffisant. Il faut faire en sorte que les gens n’arrivent pas dans la rue.

Commençons par nous occuper des enfants qui sortent de l’aide sociale et faisons en sorte aussi que les villes aient des HLM pour les plus précaires.

 

Combien y a t-il de centres d’hébergement pour les femmes en Ile de France?

Le Secours catholique est en train d’ouvrir un centre d’hébergement d’urgence à Limeil-Brévannes. Ce sera le deuxième en région parisienne car, pour le moment, il n’y en a qu’un seul uniquement dédié aux femmes, à Montrouge.

Il y a 35 studios qui les accueilleront rue de Reuilly à Paris dans une structure montée par l’association ARFOG-Lafayette. Et enfin un centre d’hébergement est en construction au Bois de Boulogne. Il y a un autre accueil de jour qui devrait ouvrir en face du Bon Marché, donc ce serait le deuxième accueil de jour dans Paris, le premier étant la Halte femmes à gare de Lyon.

Toutes ces structures doivent ouvrir en 2018. C’est nouveau et exceptionnel.

 

Vos actions sont -elles médiatisées ?

Beaucoup de journalistes m’appellent, de France 2, Canal + etc, mais tout ce qui les intéressent, ce sont les viols. Elles/ils veulent tou.te.s que je leur en parle, c’est sordide, je refuse les interviews.

Je préfère que l’on soit dans les solutions et surtout dans un état des lieux avec de potentielles solutions.

 

Propos recuellis par Caroline Flepp 50-50 magazine

Photo de Une copyright C. Lebreton

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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