Articles récents \ Culture \ Cinéma Mathilde Damoisel : "il a fallu des femmes remarquables, très déterminées, portées par une vision et la conscience de leur condition, pour faire bouger les lignes"

Dans la série documentaire “la grande histoire” donnez-moi les féministes ? Elles n’y étaient pas jusqu’à ce qu’une productrice Amélie Juan prenne contact avec la réalisatrice de documentaires Mathilde Damoisel et lui demande de remédier à ce manque. Mathilde Damoisel en féministe s’est attelée à la tâche et a réalisé deux documentaires qui couvrent la longue histoire oubliée des combats des femmes pour faire reconnaître leurs droits de citoyenne de 1789 à la fin des années 1970.  Le premier chapitre sera présenté sur France 5 dimanche 11 Mars. La réalisatrice raconte l’histoire de son documentaire  « Simone, Louise, Olympe et les autres, La grande histoire des féministes « 

Comment avez-vous construit le documentaire ?
Le but du documentaire est de parler à tou.te.s, parler à celles/ ceux qui ne connaissent rien sur le féminisme, leur donner envie de connaitre cette histoire toujours non transmise. France 5 est une chaîne ouverte et a relevé le défi en finançant le projet. J’ai travaillé seule sous le contrôle de Claire Blandin, historienne, professeure à Paris 13. J’ai passé beaucoup de temps dans les archives de la bibliothèque Marguerite Durand.
L’idée était de rendre cette histoire très accessible, de tendre la main. J’ai donc fait le choix de construire le film comme une galerie de portraits. Montrer le destin de ces femmes permettait de montrer comment à chaque fois, il a fallu des femmes remarquables, très déterminées, portées par une vision et la conscience de leur condition, pour faire bouger les lignes. D’Olympe de Gouges au MLF, c’est la même histoire.
Vous montrez une séquence humoristique qui en dit long : une femme, quatre hommes autour d’une table lisant le journal et un homme tire la lampe qui les éclaire vers eux, la femme doit s’en emparer pour continuer à lire. Cette image en dit long sur la bataille des femmes jamais gagné ! Comment avez-vous sélectionné les femmes de cette grande histoire des féministes ?
Je voulais vraiment montrer que pour faire bouger les choses, pour que la condition des femmes évolue, il faut des femmes hors du commun, qui s’exposent, qui prennent des risques. Parfois, on oublie qu’il y a des femmes, au XIXème siècle, qui ont risqué leur vie, qui ont risqué leur réputation, qui ont risqué leur existence, qui se sont mises au banc pour que la condition des femmes change.
D’où cette construction des deux films autour des grandes figures. Certaines sont tout simplement incontournables. On ne peut pas faire l’histoire du féminisme en France si on ne parle pas d’Olympe de Gouges ou d’Hubertine Auclert, première à se dire féministe intégrale.
Marguerite Durant a créé un journal féministe incroyable le premier du genre  La Fronde. Il y en a eu d’autres que j’ai découvertes en faisant mes recherches. La féministe qui a été oubliée c’est Madeleine Pelletier, féministe radicale qui s’habillait en homme, elle a 50 ans d’avance sur Simone de Beauvoir.
Ce sont des femmes dont l’expérience et la condition personnelle poussent vers l’engagement et la prise de conscience. C’est Flora Tristan, battue par son mari médiocre et violent, qui finalement sauve sa peau en partant et prend conscience par l’écriture de sa condition et s’engage pour les femmes, pour les ouvrières.
Je voulais que ce film ait une dimension un peu épique, presque romanesque dans le bon sens du terme, tout en restant dans la rigueur de l’histoire et en portant avec fougue la voix de ces femmes du passé.
Quelle  féministe vous a le plus marquée ?
Madeleine Pelletier est la femme qui m’a le plus bouleversée, elle est une petite fille pauvre, d’une famille de maraîchers du quartier des Halles, avec une mère très conservatrice, très catholique, très monarchiste sans aucune ouverture. Et je vois cette petite fille qui va étudier envers et contre tout, qui va passer le Bac en candidate libre, faire médecine, étudier l’anthropologie. Avec une campagne menée avec La Fronde, elle parvient à se présenter au concours de l’internat en psychiatrie en 1903. Elle va devenir une féministe radicale, membre de la SFIO, parti socialiste, très proche des milieux anarchistes, également Franc-maçonne. Elle est complètement d’avant-garde.
Elle invente le genre, l’idée que, vraiment, être femme n’est pas naturel, qu’être une femme est une donnée sociale.
Elle a dans ses mémoires manuscrites qui n’ont jamais été publiées, écrit qu’elle a toujours été féministe parce que quand elle était petite, elle ne supportait pas qu’on lui dise que ses rêves de devenir général lui étaient interdits parce qu’elle était une femme. Elle est une féministe avant-gardiste. Elle annonce ce qu’écrira Simone de Beauvoir dans le deuxième sexe, elle annonce la notion de genre.
C’est un personnage magnifique et effectivement, vers la fin de sa vie, n’ayant jamais arrêté les avortements clandestins, elle a été dénoncée et en 1939, elle comparait en justice.
Comme elle est assez âgée, qu’elle a eu une attaque et est très diminuée, on ne l’a met pas en prison mais on l’interne dans un hôpital psychiatrique où elle meurt seule et oubliée.
Je pense que c’est une lumière dans l’histoire du féminisme mais un lumière isolée. C’est ce que l’on aussi voulu montrer dans le film, parce que le féminisme est pluriel.

Les voix féministes semblent avoir souvent trouvé expression par la plume ?
Bien sûr ! Olympe de Gouges apprend seule à lire et à écrire. C’est l’écriture qui fait d’elle un personnage, c’est son accès au savoir. Mais c’est vrai que la plume et le savoir font beaucoup. Comme je le disais pour Flora Tristan, c’est vraiment l’écriture qui l’a fait passer de femme victime à femme actrice de son destin. Son premier livre s’appelle Pérégrinations d’une paria et c’est là que tout commence pour elle. Écrire c’est à la fois transgressif et salvateur pour toutes.
On se souvient de Louise Michel comme une icône de la commune mais avant la commune, elle était institutrice à Montmartre. Elle est très engagée dans des groupes pour les droits de femmes, que l’on n’appelait pas féministe à cette époque. Ce mot n’existait pas. C’est l’éducation des filles qui est son cheval de bataille ! Elle est obsédée par l’éducation des filles, pour que les filles aient la même éducation que les garçons. Pour qu’elles puissent apprendre, lire etc.
Il y a aussi quelque chose de singulier chez les féministes, beaucoup d’entre elles sont des enfants illégitimes. Olympe de Gouges, Laura Tristan, Louise Michel, sont des filles illégitimes, et aussi George Sand qui, elle, a un rôle particulier. Il y a ce côté, ‘  je suis à la fois fille illégitime, élevée par une mère assez forte ‘, et c’est quelque chose qui leur donne déjà l’impression d’être dans la marge, dans une forme de vulnérabilité. C’est ce qui leur donne certainement ce supplément de combativité qui fait qu’elles vont s’engager.
En parlant d’écriture, le grand acte féministe de Marguerite Durand,c’est La Fronde. Premier quotidien féministe entièrement fabriqué par des femmes. Elle disait que s’il y avait un seul homme qui participait un tant soit peu à la fabrication de ce journal, on dirait que c’est un journal d’hommes.

Pour vous les voix féministes sont multiples ?
Oui, il y a des féminismes. C’est ce qu’on a voulu transmettre de façon assez ouverte. Dans le film il y a des femmes qui sont hyper radicales, il y en d’autres qui sont de grandes réformistes, il y a de très grandes bourgeoises qui vont se battre pour le droit de vote, il y a des femmes très révolutionnaires qui viennent de la classe ouvrière. Tout cela c’est le féminisme. C’est un bouquet, ce sont des nuances infinies, c’est sa force ! C’est un mouvement qui n’est surtout pas figé.
Il faut arriver à avancer ensemble.

 
Brigitte Marti 50-50 magazine
Le deuxième chapitre de ce documentaire sera présenté dimanche 18 mars sur France 5
En 2009, Mathilde Damoisel avait, déjà signé un film sur une histoire oubliée des femmes Le ventre des femmes sur les stérilisations forcées au Pérou sous le gouvernement d’Alberto Fujimori.
 
 
 
 
 
 

 
 
 
 
 

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