Articles récents \ France \ Société Claire Guiraud: «nous proposons que l’obtention de l’argent public soit conditionné par des efforts en faveur de l’égalité f/h»

Les femmes sont des citoyennes, des actrices à part entière de la vie sociale et politique de notre pays, il faut le rappeler et l’encourager, c’est ce que les Archives Nationales ont décidé de faire en appelant: Aux Archives Citoyennes ! La table ronde « politiques publiques et luttes contre les discriminations de genre » a réuni des femmes élues locales et une représentante du Haut Conseil à l’Egalité f/h. Claire Guiraud, Secrétaire générale du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, présente les objectifs et travaux récents de cette instance qui agit en faveur de la visibilité et de l’égalité des femmes.
En février dernier, le Haut Conseil à l’Egalité a remis un rapport sur les inégalités entre les femmes et les hommes dans les arts et la culture à la ministre de la Culture Françoise Nissen. Nous y avons mis en avant l’exposition Présumées coupables (1), exemplaire dans la manière dont on peut intégrer la question du genre et des inégalités entre les femmes et les hommes dans toute action publique.
L’égalité femmes/hommes, un sujet transversal
Le Haut Conseil à l’Égalité est une instance nationale qui a été créée en 2013 par un décret du Président de la République. Il résulte de la fusion des instances préexistantes, spécialisées sur certains sujets de l’égalité entre les femmes et les hommes: l’observatoire de la parité (parité politique), la commission qui s’occupait de l’image des femmes dans les médias, et celle sur les violences sexuelles et sexistes. Danielle Bousquet est l’actuelle présidente du Haut Conseil.
L’objectif du HCE est de porter le sujet de l’égalité femmes/hommes de manière transversale, car il y a des enjeux d’égalité dans tous les sujets. C’est pour cela qu’il a été placé auprès du premier ministre et qu’il est composé de profils divers. Ses 72 membres, de trois types différents: des représentantes d’associations féministes, des chercheur.e.s et des élu.e.s vont partager leurs approches de l’égalité F/H et faire des propositions de politiques publiques justes et opérationnelles.
Les missions du HCE sont d’évaluer les politiques publiques existantes et faire des recommandations adressées au gouvernement et au parlement pour faire progresser l’action publique vers l’égalité femmes/hommes.
Les cinq commissions thématiques sont la lutte contre les stéréotypes, la lutte contre les violences faites aux femmes, la parité, la santé et les droits sexuels et reproductifs.
Il faut bien se rendre compte que ce sont des enjeux européens et internationaux. On observe en ce moment des mouvements traditionnels très forts contre les droits des femmes. Lors de la dernière réunion annuelle de l’ONU sur les droits des femmes, nous faisions partie de la commission sur le statut des femmes, nous avons encore observé comment certains Etats africains et arabes les plus réactionnaires font des alliances avec le Vatican et les Russes contre les droits des femmes pour faire reculer les textes le plus possible.
Récemment, nous avons travaillé sur le sujet de la culture. Nous avons abordé la façon dont l’argent public y est dépensé et qui va en profiter. Le secteur de la culture a un budget de 20 milliards d’euros (pour l’Etat et les collectivités), mais ces euros échappent en grande partie aux femmes artistes, et parfois ils aident même à produire des images et des représentations de femmes qui ne sont pas celles que l’on souhaiterait voir.
Les femmes s’évaporent au cours de leur carrière
Quelques chiffres sont très parlants: dans les établissements d’enseignement supérieur des arts et de la culture, on trouve 60% de jeunes filles et 40% de jeunes hommes. Mais au fur et à mesure de leur carrière, les artistes femmes s’évaporent, et disparaissent petit à petit de tous les dispositifs de politiques publiques existants.
La part des femmes qui accèdent aux aides à la création passe à 40%. Si l’on regarde la programmation dans les théâtres, cinémas, musées, on est entre 30 et 40% de femmes, avec des écarts importants selon les secteurs: la musique (classique et contemporaine) est très en retard. Sur les huit principaux festivals de musique actuelle entre 2014 et 2016, 97% des groupes programmés étaient composés en totalité ou en grande majorité d’hommes!
D’autre part, quand on regarde les sélections en vue d’un prix et leur attribution, seuls 2/10e des prix reviennent à des femmes. On se souvient qu’à Cannes, une seule femme a obtenu la Palme d’or, en 1993, et qu’elle avait dû la partager avec un homme.
Le talent est pourtant également réparti entre les femmes et les hommes, alors que se passe t-il pour que l’argent public échappe à ce point aux femmes ? Nous pensons qu’il y a un certain nombre de biais sexistes, stéréotypes,  stratégies qui vont conduire à écarter les femmes et qui vont faire qu’elles s’évaporent.
Mettre en place l’égaconditionnalité
Dans le rapport du Haut Conseil, nous proposons d’en finir avec cette répartition inégalitaire de l’argent public et avons développé une démarche appelée l’égaconditionnalité: l’idée est que l’argent public ne doit pas aller à des projets inégalitaires.
Nous avons donc proposé que l’obtention de l’argent public, sous la forme d’une subvention ou d’un budget pour un établissement public, soit conditionné par des efforts en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous proposons aussi de fixer des objectifs de progression à tout projet qui demande des subventions ou des financements publics, et la mise en place de malus financiers si les progrès attendus n’ont pas été faits.
La ministre a annoncé, en février dernier, qu’elle allait commencer à mettre en place cette démarche. C’est révolutionnaire d’une manière générale et dans la culture en particulier. Des actrices/acteurs des secteurs du cinéma ou de la musique ont d’ailleurs exprimé leur soutien, ainsi que des organisations à travers des tribunes et des communiqués de presse.
Concernant la visibilité des femmes, le deuxième sujet sur lequel nous avons travaillé est celui de la communication publique sans stéréotypes. Le Haut Conseil a édité un guide sur ce sujet, qui propose dix recommandations très concrètes sur la démarche à adopter en tant qu’organisation publique.
Dans nos discours, images, affiches, journal de la collectivité, dans les campagnes de recrutement des enseignant.e.s, nous devons montrer qu’on s’adresse aux femmes et aux hommes en veillant au même nombre de femmes que d’hommes dans les images, et à ce que dans les discours et dans les écrits on rende visible le féminin.
En français, on nous explique que le masculin serait le neutre, alors que seuls le masculin et le féminin existent. On essaye de faire passer le fait que le masculin l’emporte;  cette phrase qu’on énonce devant tou.te.s les écolier.e.s est une décision de grammairiens progressistes du XVIIè siècle, le mâle était plus noble que la femelle, donc le masculin devait l’emporter sur le féminin!
Le projet politique que nous avons envie de porter aujourd’hui est celui dans lequel les femmes et les hommes existent, sont visibles, sont concernés par l’action et la communication publique. C’est ce type de recommandations qui est formulé dans ce guide. Enfin, lors des tribunes ou des tables rondes où des personnes sont invitées à s’exprimer, on peut remarquer que la parole de l’expert est souvent confiée aux hommes quand la parole de la témoin revient aux femmes.
Enfin, notre guide est associé à une convention d’engagements qui est proposée à la signature d’organisations. Une cinquantaine l’ont déjà signé: collectivités, établissements publics, universités, ministères. Peut-être que les Archives nationales pourraient aussi avoir envie de s’engager…
 
Claire Guiraud, Secrétaire générale du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes
50-50 magazine est partenaire de « Aux Archives Citoyennes! »

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