Articles récents \ Île de France \ Société \ Société Du Pain & Des Roses: un avenir pour les femmes demandeuses d’asile

Marie Reverchon anime des ateliers d’art floral pour les femmes en attente de demande d’asile dans les locaux de France Terre d’Asile en région parisienne. En sept semaines, son association Du Pain & Des Roses suscite des vocations, révèle des compétences, et redonne un lien social à ces femmes venues de tous les continents.
Elles sont six à s’installer autour de la grande table à Asnières-sur Seine. “Moi, j’aimerais continuer à faire des bouquets et les vendre, en faire mon métier”, affirme fièrement Liliane. Cette ancienne commerçante ivoirienne, très élégante, participe aux ateliers d’art floral de Marie Reverchon depuis plusieurs semaines et a trouvé sa voie: “Je suis trop vieille pour être embauchée dans un bureau et j’aime beaucoup faire ça!”, ajoute-t-elle.

D’autres participantes viennent pour la première fois et sont plus timides. Marie annonce la création du jour, un éventail de fleurs. Très pédagogue et souriante, la jeune femme explique avec douceur, en français et en anglais, la méthode pour fabriquer le support floral en forme d’éventail. Chacune consolide les tiges de fer, les doigts collent, la voisine aide, les langues se délient; le résultat est super.
Il reste à y placer les pois de senteur, aspargus, chardons et épis de blé qui sont sur la table. Les femmes hument les fleurs, commentent, demandent comment cela s’écrit et Marie Reverchon note tout sur le tableau blanc, avant de demander à chacune de prendre le bon nombre de fleurs. Très vite, l’éventail prend forme; Marie-Rose, congolaise, chante, et la fierté se lit sur les visages. On se prend en photo avec sa composition devant le petit garçon d’Alina, médusé. 
Marie Reverchon, 25 ans, a créé il y a un an, avec Margaux Caussil, le projet Du Pain & Des Roses. L’idée lui est venue de l’entreprise britannique Bread & Roses, pour laquelle elle a travaillé en tant que bénévole pendant son année d’étude à Londres. Enchantée par le concept, Marie décide de l’importer en France et sera conseillée à ses débuts par l’entreprise britannique.
Rendre les femmes actrices de leur futur
Du Pain & des Roses a pu voir le jour grâce à l’association Singa, spécialisée dans l’entrepreneuriat social des réfugié.e.s, qui a été séduite par son projet et l’a retenu pour prendre forme dans son incubateur, Finkela, pendant une période de six mois. “Cette période a été particulièrement enrichissante, j’ai fait partie de cette communauté où j’ai rencontré des réfugié.e.s, qui sont passé.e.s par cette période de la demande d’asile et m’ont renseignée”, explique la fondatrice.

Elle apprécie le fait que Singa n’assiste pas des personnes dans le besoin mais les fait se rencontrer pour qu’elles soient actrices de leur futur. “C’est vraiment ce que j’ai voulu retranscrire dans le projet Du Pain & Des Roses: il n’y a pas d’aidantes-aidées, chacune apprend à faire son bouquet. Il faut sortir de ce carcan de l’assistanat dans lequel les gens ne savent plus se gérer eux-même”, précise la jeune femme.
“Nous faisons des formations d’art floral pour des femmes en demande d’asile”, explique elle. “Nous répondons au problème majeur qui se pose à elles en arrivant en France: en attendant la réponse de l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides), elles n’ont pas le droit de travailler. Cette période de six mois à un an en théorie, peut durer jusqu’à cinq ans”.
Restées longtemps inactives, elles auront du mal à justifier auprès d’un futur employeur de ce qu’elles ont fait pendant cette longue période, après l’obtention de leurs papiers. Cela s’ajoute aux épreuves difficiles qu’elles ont déjà traversées pour venir en France. Elles vivent souvent très mal cette longue période forcée d’assistanat pour être logées et nourries.
Du Pain & Des Roses travaille en partenariat avec France Terre d’Asile, association qui gère les centres d’accueil et d’hébergement et fait du conseil juridique auprès des demandeurs d’asile pour toutes leurs démarches auprès de l’OPFRA. Elle met à leur disposition une salle dans les Cada (centre d’accueil pour demandeur d’asile) de Châtillon, Asnières et Créteil, où sont dispensées ces formations d’art floral pendant sept semaines, à raison d’un atelier de trois heures par semaine.
“J’apprends à ces femmes des techniques de fleuristes. Cela leur permet de développer leur créativité; pouvoir faire quelque chose de manuel est assez agréable et confortable quand on remet un pied dans l’emploi”, explique Marie Reverchon. “Cela permet aussi à ces personnes d’être impliquées dans un projet professionnalisant qu’elles pourront mettre en valeur dans leur future recherche d’emploi.”
Acquérir des nouvelles compétences en marge des ateliers
A côté des ateliers, Marie les implique dans la logistique et la communication autour du projet. Cela concerne la distribution des bouquets et aussi des évènements organisés en dehors des ateliers. Ces femmes peuvent ainsi utiliser ou développer d’autres compétences pendant cette période d’inactivité, qui leur seront utiles dans le futur.
A l’atelier d’Asnières, elles apprennent aussi les gestes techniques pour composer des petits bouquets: couper les tiges en biseau, enlever les feuilles jusqu’aux ⅔ de la tige, vriller les tiges. Aronias, oeillets et frésias sont désormais placés à la perfection et liés d’un brin de raphia.  Ceux-ci seront placés dans des petits vases-bocaux, prêts à être livrés dans les restaurants.

“Nous avons mis en place un système de dépôt-don dans six restaurants partenaires et un kiosque. Chaque semaine, après les ateliers, nous allons y déposer les bouquets créés; une étiquette et un petit panneau expliquent le projet aux clients de ces restaurants ou aux personnes qui passent devant le kiosque, qui peuvent faire un don à l’association contre un bouquet. Cela nous permet d’acheter les fleurs de l’atelier suivant”, explique la jeune femme. “Nous souhaitons aussi faire changer cette image des demandeuses/demandeurs d’asile qui ne font rien, montrer que tout le monde peut faire quelque chose de joli et d’enchanteur”.
Un partenariat a été établi avec des kiosques Lulu dans ma rue à Paris: en marge des dépôts-dons, Du pain & Des Roses organise des ateliers en plein air. Les femmes demandeuses d’asile peuvent alors enseigner au public comment fabriquer un bouquet. “Cela leur donne des responsabilités et change aussi le regard des passant.e.s sur ces personnes. C’est un rôle nouveau, c’est très valorisant pour ces femmes”, précise la formatrice. Pour clore la séance à l’atelier d’Anières, elle propose d’ailleurs des jeux de rôle à ses élèves pour apprendre les techniques de vente.
Du Pain & Des Roses fait également de l’événementiel, comme la décoration de mariages. Marie Reverchon montre à ses élèves de l’atelier d’Asnières, les photos des superbes bouquets qu’elles ont confectionnés, placés sur les tables du dernier mariage. Celles qui le souhaitent peuvent l’accompagner pour livrer les bouquets. Pour le mariage, elles étaient venues les installer avec elle, et voir où allaient être exposées leurs créations.
L’association se fournit en fleurs bio et de saison chez Fleur de Cocagne en Essonne, horticulteur qui emploie des personnes en insertion, ou encore en fleurs locales à Rungis, où les femmes sont également invitées à venir participer aux achats.
Un réseau qui leur sera utile
A plein temps sur le projet, Marie Reverchon reconnait ne pas pouvoir animer davantage d’ateliers. C’est pourquoi elle aimerait, dès septembre, embaucher d’anciennes bénéficiaires du projet, comme fleuristes animatrices pour des ateliers supplémentaires. “Malheureusement, il faut attendre qu’elles obtiennent leurs papiers pour pouvoir les embaucher”, ajoute-t-elle.
Un autre atout de ces ateliers est que cela leur permet de rencontrer d’autres personnes et de se faire un petit réseau d’entraide. Ces femmes sont souvent isolées. La plupart d’entre elles ont des enfants et il est très difficile pour elles d’avoir une vie sociale; elles viennent donc quand les enfants sont à l’école. Certaines femmes étaient commerçantes, couturières, infirmières, étudiantes ou institutrices. Elle étaient très actives dans leur pays et cette inactivité forcée est souvent difficile à vivre.
Le poème Bread & Roses de James Oppenheim a inspiré le nom de l’association, il avait été repris par des mouvements féministes aux Etats-Unis et en Angleterre: “il signifie que dans la vie, on a besoin de pain pour se nourrir, mais aussi de roses, de beauté, de créativité, de se sentir également bien dans sa tête. Nous essayons de réunir un peu les deux, c’est à la fois professionnalisant, créatif et agréable”, conclut la fondatrice de l’association.
 
Anne-Christine Frèrejacque  50-50 magazine
*Les prénoms ont été modifiés

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