Articles récents \ Monde Changer de regard sur le travail domestique 3/3

Béatrice Ouin a été la rapporteure de plusieurs avis au Comité économique et social européen (CESE) sur le travail domestique et les emplois de la famille. Le CESE a beaucoup travaillé sur les emplois de service, leur développement, leur professionnalisation. Elle aborde ici non pas l’aspect économique et social, mais plutôt le regard que la société porte, ou qu’elle ne porte pas, sur ce travail.
Emplois atypiques
Les différences entre les emplois classiques et ces emplois, sont éloignés très des emplois classiques, dans une administration ou une entreprise
Comme les autres, ce secteur est en pleine mutation, percuté par Internet : des plates-formes se sont mises en place comme pour Uber ou Airbnb où les femmes qui cherchent du travail se proposent et ceux qui en ont besoin achètent leurs services. Cette mise en relation directe ne favorise pas la structuration du secteur. Autre évolution : le statut d’auto entrepreneur. A côté du particulier employeur, qui verse des charges sociales, apportant une faible protection sociale, se développe le statut d’auto entrepreneur, transformant l’employeur en client et réduisant les droits sociaux.
Le travail domestique en chiffres
Dans le monde, selon l’OIT, le travail domestique représente 5 % de l’emploi global. Il y aurait 67 millions de travailleurs domestiques, dont 11 millions de migrants et 17 millions d’enfants, dont la majorité en travail forcé. Il s’agit d’évaluations car le travail informel est la règle.
90 % des travailleurs domestiques n’ont aucune protection sociale, pas de protection maladie, pas d’indemnités de chômage, pas de retraite
Le travail domestique représente environ 7,5% du travail féminin dans le monde et 1% du travail masculin. Autrement dit, une femme sur 13 est une femme de ménage et 1 homme sur 100 est un homme de ménage.
En Italie, 60% des travailleurs domestiques ne sont pas déclarés et ne cotisent pas à la sécurité sociale. En Espagne et en France, le taux de non-cotisation est d’après l’OIT de 30%.
En France, il y a plus d’un million de salariés de particuliers employeurs et près de 500 000 dans des organismes prestataires. Ces organismes sont des associations, des entreprises, des établissements publics et de plus en plus des auto entrepreneurs. 36 000 organismes sont recensés
Les travailleurs domestiques font partie des salariés les plus mal payés au monde. Selon les estimations de l’OIT, ils gagnent en moyenne moitié moins que le salarié moyen du pays où ils travaillent, comme c’est le cas en France notamment.
Agir pour changer
Sortir du cercle vicieux : « travail mal considéré parce que peu payé, travail peu payé parce que mal considéré » 
La première chose, c’est de reconnaître la valeur de ce travail. La société ne peut pas fonctionner s’il n’est pas fait. Pourquoi est-ce que ce serait plus dégradant de faire le ménage que de vendre des légumes sur le marché ou de couper les cheveux ? Admettre que le faire dans le domicile de quelqu’un d’autre, ça n’est pas la même chose que de le faire chez soi, et reconnaitre les compétences qu’on demande à une personne qu’on laisse entrer chez soi.
Pour se convaincre de sa valeur, il faut analyser les tâches en les comparant à celles d’autres métiers, dans d’autres secteurs. Les caissiers qui manient de l’argent, les secrétaires de direction à qui on demande discrétion et polyvalence, le commercial à qui on demande d’organiser lui-même son travail, la puéricultrice quand l’employée de maison à la charge de bébés…
Il faut construire des parcours professionnels avec des formations, des diplômes et un déroulement de carrière. C’est la seule façon d’en faire un métier comme les autres. Quand on fait appel à plombier, à un coiffeur, à un garagiste, on sait qu’il a un diplôme. N’est-il pas étrange qu’on ait davantage d’exigences pour ses robinets, ses cheveux, sa voiture que pour sa maison, ses enfants, ses aînés ?
Il faut que ces travailleuses puisse avoir des droits et protections équivalents à ceux des salariés qui travaillent dans des bureaux ou des ateliers: un salaire décent incluant le temps de transport entre deux domiciles, la définition du temps de travail hebdomadaire, des congés payés effectifs, le respect des règles d’hygiène et de sécurité, une retraite décente, la protection de la maternité , des congés pour maladie rémunérés, des indemnités en cas d’invalidité, des règles en cas de licenciement ou de rupture du contrat de travail, des voies de recours en cas d’abus, un accès réel à la formation professionnelle et à un déroulement de carrière, comme pour les autres professions
Il faut supprimer le gré à gré, le rapport direct, sans intermédiaire, entre la personne qui travaille et celle qui a besoin de ce travail. Introduire un intermédiaire, c’est l’intérêt de l’usager qui aura un recours en cas de problème, c’est aussi l’intérêt de la travailleuse domestique parce qu’elle pourra être remplacée pour partir en congés ou en formation, parce qu’elle pourra être payée pour les temps de déplacements entre deux clients. Elle n’aura qu’un employeur, une seule fiche de paie, une meilleure protection sociale. Elle sera libérée de la recherche de nouveaux clients/employeurs. Elle saura combien d’heures elle travaille chaque mois. Ces structures, entreprises privées, coopératives ou associations, sont l’un des moyens de faire de ce travail un emploi comme les autres. Mais ces structures ont un coût, de même que la reconnaissance des qualifications.
Pour sortir des bas salaires, il faut des financements car si ces travaux sont mal payés, c’est aussi parce que la majorité des particuliers ne peuvent pas payer davantage, soit qu’ils n’en ont pas les moyens, soit qu’ils considèrent que ce travail ne vaut pas cher.
Les financements ne peuvent pas venir uniquement de la poche des particuliers : on ne sortira de l’image de la domesticité que lorsque ces services ne seront plus réservés aux familles aisées qui peuvent se les offrir, alors que tout le monde en a besoin. Aussi, pour ceux qui n’en ont pas les moyens aujourd’hui faut-il des aides sociales, fiscales, mais aussi, comme le prévoient certains plans d’égalité professionnelle, des aides des entreprises, des comités d’entreprises, des CCAS (Centres communaux d’action sociale).
Combattre les stéréotypes
Changer l’image de ces emplois est l’intérêt de toutes les femmes parce que la mauvaise image de ces emplois, de ce travail pèse sur toutes les femmes, sur l’image de la femme dans la société.
Les femmes qui occupent ces emplois ne peuvent pas seules changer l’image de leurs emplois, obtenir de meilleurs salaires et de meilleures garanties ; elles ont besoin des usagers, des utilisateurs et de l’opinion publique. C’est pour moi l’intérêt de conférences comme celle d’aujourd’hui de sensibiliser les relais d’opinion que vous êtes afin de participer à l’amélioration des conditions d’emploi dans le travail domestique ce qui contribuera aller vers davantage d’égalité.
La non mixité, ça conduit à penser que ce sont des travaux de femmes… on peut toujours mettre un balai dans les mains de son garçon, si la télé, le ciné, la vie lui renvoie l’image d’un « travail de femme» dès qu’il aura une femme, il se débarrassera du balai entre ses mains
Changer l’image c’est valoriser ce qu’il y a de positif dans ces emplois : pas de chef sur le dos, une grande autonomie, moins répétitif que le travail à la chaine dans l’industrie agroalimentaire, par exemple. En le comparant à beaucoup d’emplois, on perçoit qu’il y a des aspects valorisants dans ces travaux, un très fort sentiment d’utilité sociale
Quand ce travail sera un métier comme les autres, correctement rémunéré, il n’y aura plus aucune raison qu’il ne devienne pas mixte. Les quelques hommes qui travaillent dans l’aide à domicile auprès de personnes âgées savent très bien dire ce que ce travail peut avoir de gratifiant. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas un « sale boulot ».
Pour conclure, parce que ce n’est pas ma première conférence sur ce sujet, je sais que mes propos vont heurter certains d’entre vous qui ne vont pas se reconnaître dans le tableau que je viens de dresser ; Respectant la personne qui vient chez eux, ayant même parfois des sentiments à son égard, ils considèrent qu’ils la paient correctement par rapport au marché, qu’elle est satisfaite du travail qu’elle fait chez eux et par conséquent que j’exagère. Et ils auront raison parce que, oui chacun respecte la personne qui vient chez elle et ce n’est pas cela qui est en cause. Mais ce que je souhaite avec cet exposé c’est que vous fassiez abstraction de votre situation personnelle, ainsi que des progrès indéniables qui ont été accomplis dans ce domaine depuis 30 ans. Oui, le chèque emploi service ou et les conventions collectives, oui les formations pour les aides-soignantes et les aides à domicile existent et ont amélioré la situation. Mais le chemin est encore long sur le plan symbolique, du point de vue de l’image de ce travail et c’est de cela que je veux vous parler et c’est à cela que je vous demande de réfléchir
Demandez-vous pourquoi il est si difficile de trouver des personnes pour faire ce travail ? pourquoi ce sont essentiellement des migrantes ? et pourquoi personne aujourd’hui ne souhaite que son enfant devienne femme de ménage ? C’est à cette question que nous devons trouver une réponse. C’est volontairement que j’ai peu parlé de la question des statuts, des conventions collectives, des droits, que je ne me suis pas située sur le plan des améliorations récentes, c’est volontairement que j’ai voulu dresser un tableau qui ne nous englue pas dans les questions légales ou administratives. Je souhaite faire réfléchir à la question des représentations parce que c’est là que se situent les stéréotypes et c’est cela qu’il faut faire changer.
 
Béatrice Ouin ex-rapporteure au Comité économique et social européen

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