DOSSIERS \ Mai 68 : sous les pavés les femmes… Militantes en 1968, militantes en 2018

En mai 68, de nombreuses femmes ont pris part aux manifestations. Cinquante ans plus tard, elles sont encore plus nombreuses. Pourtant les militantes d’aujourd’hui rencontrent toujours des difficultés notamment par le biais des nouvelles technologies.
Le cinquantenaire du mouvement social de mai 68 tombe au même moment que les manifestations contre la sélection à l’université et la réforme de la SNCF. « Une pure coïncidence » pour Jaspal De Oliveira, présidente de l’UNEF à l’Université de Tolbiac (Paris 1). « Ce qui est assez impressionnant, c’est qu’en 68 on se battait pour des acquis sociaux, pour gagner des droits alors qu’aujourd’hui on se bat pour empêcher que ces droits soient remis en question », affirme la militante.
Pendant plusieurs mois les étudiant.e.s ont manifesté et occupé les locaux universitaires.
Des mouvements virilistes
Une des différences majeure avec mai 68, est la présence de nombreuses femmes dans le mouvement qui ne sont plus spectatrices mais actrices. « Ce qui est intéressant c’est que les grandes figures de ce mouvement à Tolbiac sont des femmes. On a une brochette de femmes qui ont été un peu meneuses dans la mise en place de cette occupation et de cette mobilisation », assure Jaspal De Oliveira.  La présidente de l’UNEF (Paris 1) explique que des mesures ont été prises par le syndicat étudiant pour parvenir à l’égalité notamment au sein de ce mouvement. « On a des listes paritaires alternées dans les assemblées générales. Donc toujours un homme et une femme. Dès qu’il y a une femme dont la parole est coupée ou qui est huée, il y a des rappels à l’ordre qui sont faits à la tribune qui est aussi paritaire ». Leila, militante à Tolbiac, raconte que lors d’une des plus importantes assemblée générale, qui s’est tenue à l’université de Tolbiac, elle s’est s’exprimée à la tribune. « Lors de la fin de ma tribune, je suis sortie et des militants d’extrême-droite m’ont envoyé quelques pics parce que j’étais venue en jupe et qu’on approchait du ramadan donc comme je m’appelle Leila pour eux je suis forcément musulmane », raconte la militante.
« Être une femme militante est extrêmement dur. On se prend un mépris de la part de nos militants. Dans nos réunions internes, la politique reste un combat de coqs. Moi cela me fait péter des câbles. Je suis censée gérer une équipe militante et on ne m’écoute pas forcément, on remet en question mes jugements, mes positions. Ce n’est pas facile. Il y a énormément de choses qui ont été faites mais par contre c’est toujours dur », affirme Jaspal De Oliveira.
Les « safe-zones »
Pendant plusieurs semaines, les étudiant.e.s de plusieurs universités ont littéralement vécu dans l’enceinte de la faculté. Pour éviter tout problème, les étudiant.e.s grévistes ont mis en place des « safe-zones ». « Il y avait une zone dans l’amphi N qui était non-mixte. Il y avait aussi des réunions non mixtes pour faire le point sur les oppressions parce qu’il y a toujours des oppresseurs. Notre souhaitions virer les oppresseurs de l’occupation parce qu’ils n’ont pas leur place là », affirme la présidente de l’UNEF de Tolbiac. Mais comme toujours, Jaspal De Oliveira affirme qu’il y a eu des « dérapages » lors de l’occupation du site de Tolbiac. « Il y a eu des agressions verbales. Je ne sais pas s’il y a eu des agressions physiques », explique la militante. Leila, elle aussi présente lors de la commune de Tolbiac ajoute « ce sont à chaque fois 15-20 femmes qui ont discuté et demandé aux ‘agresseurs’ de partir. Il y a eu un travail énorme de dialogue et de déconstruction ».
Le harcèlement sur les réseaux sociaux
Une des différences majeures entre le mouvement de mai 68 et celui de 2018 est l’utilisation des réseaux sociaux alors inexistants, cinquante ans plus tôt. « Les réseaux sociaux nous permettent de communiquer et surtout on est face à un système et notamment un gouvernement qui utilise énormément les réseaux sociaux aussi pour communiquer donc nous devons être en capacité de pouvoir y répondre, ce qui n’est pas toujours facile », explique la présidente de l’UNEF Paris 1. Les réseaux sociaux sont donc devenus des alliés des militant.e.s mais aussi leurs pires ennemis.
Maryam, Juliette ou encore Leila. Ces trois jeunes femmes ont subi un harcèlement violent à la suite de leurs apparitions dans des médias lors du mouvement étudiant.
La première est apparue à la télévision lors d’un reportage sur M6. Ce n’est pas ses propos qui lui ont valu des menaces mais le fait d’être une femme voilée. La seconde, a eu le « tort » de tenir tête à Robert Menard sur la chaine LCI. Pour Leila ce sera un article de Libération qui déclenchera une déferlante de haine que la militante n’aura jamais connue. « Je trouve cela complètement scandaleux et malheureusement ce n’est pas la première fois. C’est aussi pour cela, par exemple ,que nous avons eu beaucoup de mal et que nous n’avons pas accepté les médias image pendant l’occupation parce qu’il y a des militantes qui se sont fait harceler sur les réseaux sociaux parce qu’il y avait leurs images, leurs noms, leurs prénoms. C’est quelque chose de systématique », explique Jaspal De Oliveira.
« La militante féministe à attraper »
 Leila, c’est cette militante apparu dans une vidéo dans laquelle elle rapporte les témoignages d’étudiants qui auraient vu une personne frappée par la police lors de l’évacuation du site de Tolbiac. À la suite de cette vidéo et à de nombreux démentis de la part de la police et l’AP-HP, le journal Libération souhaite écrire un article sur le sujet. Une journaliste va contacter la militante pour lui poser quelques questions. Leila refuse. L’article paraît et mentionne que la jeune femme affirme avoir menti. « À partir de la, c’était l’horreur, la descente aux enfers. Je n’ai jamais connu cela« , affirme Leila.
Par la suite, elle reçoit des attaques et des menaces sur les réseaux sociaux. « Les attaques portaient sur le physique, ils étaient racistes et sexistes », explique-t-elle avant d’ajouter « ils disaient qu’en réalité c’était dommage parce que j’étais mignonne et que  j’aurais pu faire les choses dans mon style de femme. Des insultes par rapport au fait que je suis une jeune femme maghrébine ».
Plus précisement, la militante reçoit des menaces de viols et de mort. « Il y avait aussi des messages, sondages, pour savoir qui de Juliette ou de moi était la plus baisable », affirme Leila. Elle décide de quitter son domicile parce que « j’étais la militante féministe à attraper ». Leila a décidé de ne pas porter plainte.
Malgré ces situations de harcèlements et les difficultés en interne, aucune de ces militantes ne souhaite arrêter le militantisme. « Si c’était à refaire, je referais les choses différemment, c’est a dire de façon plus forte. Pendant un mois, j’ai eu peur qu’on mette en pratique les menaces. Ce n’est plus le cas maintenant », affirme Leila.
« Il y a quand même beaucoup de choses qui sont faites pour faire du mouvement social un lieu pour se battre toutes et tous. Même si c’est un milieu dur, il y a énormément de femmes en interne qui se battent pour que ca aille mieux et que la lutte se fasse ensemble. Il ne faut pas que cela dégoute les femmes de nous rejoindre », ajoute Jaspal De Oliveira.
Le harcèlement sur les réseaux sociaux est puni par la loi. De nombreuses associations existent pour venir en aide aux victimes.
 
Chloé Buron, 50-50 Magazine
 
 

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