Articles récents \ Culture \ Arts Qui a (encore) peur des femmes photographes?

Il y a trois ans, Marie Robert, conservatrice au musée d’Orsay nous posait cette question. Pour y répondre elle nous invitait à découvrir une formidable exposition qui nous montrait que les femmes se sont saisies du médium photographique dès son invention. Certaines avaient été aussi inventives et talentueuses que « leurs homologues masculins », sauf qu’une femme ne peut toujours pas être réellement l’homologue d’un homme. Toujours vue d’abord en tant que femme, son travail, d’artiste, de scientifique, d’autrice, de musicienne ou de brasseuse de bière est d’emblée minorée à cause de son sexe. Ainsi le musée d’Orsay ne compte dans sa collection que 0,1% de photographies ayant été faites par des femmes, soit une centaine sur 30 000 clichés répertoriés. Comment les choses ont-elles évolué depuis 2015 ?
Si l’époque contemporaine est moins dure pour l’œuvre des femmes que le premier siècle de la photographie, il n’en reste pas moins que les femmes sont aujourd’hui majoritaires dans les écoles d’art et de photographie, elles restent peu nombreuses dans les grandes expositions qui lui sont consacrées. C’est forte de ce constat que Marie Docher, photographe et féministe, a commencé en 2014 à dénombrer systématiquement les femmes présentes dans les manifestations de renommée internationale, comme le Mois de la photo à Paris ou les Rencontres d’Arles. Elles publie alors ses décomptes et réflexions sur le blog Atlantes et Cariatides. Aussi rébarbative soit-elle, une approche par les chiffres permet de mettre en évidence des espaces sociaux dans lesquels les différences de traitement entre les femmes et les hommes n’ont pas encore été pensées ni mises en lumière.

Depuis son ouverture en 1996, environ 15% des expositions de La Maison européenne de la photographie (MEP) ont présenté le travail d’autrices. Pendant très longtemps le pré carré des sujets dignes d’intérêt a été borné par des hommes. S’ils aimaient représenter des corps féminins, souvent réifiés, ce qui touchait aux ressentis et à l’intimité des femmes ou de la famille ne les intéressait guère. Et de fait cela restait souvent pour eux (et pour le grand public) une terra incognita. C’est ce territoire qu’explore Diane Ducruet, dont le travail sera victime d’un acte de censure lors du Mois de la photographie 2014. Cela suscitera de nombreuses réactions et conduira Marie Docher à organiser à la MEP, début 2015, un premier débat sur la liberté d’expression.

Ni vues, ni connues
Interpellé sur la place des femmes dans la photographie, Jean-Luc Monterosso, directeur de la MEP lui demandera alors d’organiser un débat sur le sujet. Marie Docher réalisera à cette occasion un premier film documentaire dans lequel elle interroge des femmes sur leur métier de photographe. Elle le présentera le 28 octobre 2015 lors de la soirée « Ni Vues Ni Connues ? Comment les femmes font carrière (ou pas) en photographie.»
Depuis, Marie Docher a poursuivi inlassablement son travail pour promouvoir la visibilité des femmes photographes, mais également pour déconstruire les préjugés sexistes allégrement colportés par les images qui s’épanouissent en permanence et partout sous nos yeux, sur les écrans d’abord, mais aussi sur les panneaux d’affichage et les supports papier.
La photographie, et l’image animée qui en découle (le cinéma), sont des vecteurs très importants à la fois de normativité mais également de transgression. Dans les deux cas, la représentation du corps des femmes est centrale. L’évolution du rapport au corps dans le monde occidental depuis un siècle a été largement promue par les images qui véhiculent un nouveau regard sur la nudité des corps et les libertés sexuelles qu’ils peuvent s’autoriser ou pas, mais elles reflètent le plus souvent un point de vue masculin.
Le cinéma a inventé le phénomène des stars et la photographie celui de la pin-up (que l’on pouvait épingler sur son mur). Ils ont contribué à ouvrir de nouveaux espaces de liberté et de réflexion mais aussi fait la promotion des modèles de femmes séductrices et disponibles aux désirs des hommes, renforçant des schémas normatifs dominants et hétéro-normés. Ces modèles étant fabriqués par les hommes et pour les hommes, les femmes étaient donc des modèles de choix mais rarement des créatrices. Pourtant, la photographie étant un dispositif plus léger et moins onéreux que le cinéma, les femmes ont pu s’en emparer plus facilement, et proposer parfois des regards singuliers sur le monde dont elles n’occupent pas les espaces de la même façon que les hommes.
Au XIXe siècle elles se sont souvent tournées vers l’espace domestique qui n’intéressait pas les hommes et qu’ils représentaient donc rarement. Leur expression de l’intimité est aussi très différente, ce qui explique peut-être la censure de la photo de Diane Ducruet qui représentait un moment d’intimité maternelle incarnée, et non une nudité réifiée (en haut et à gauche dans la photo de Une)
Mais dès les débuts de la photographie, on trouvera aussi des femmes voyageuses et/ ou exploratrices qui feront images de leurs découvertes, ainsi que des reporters de guerre dès 14/18, et plus nombreuses encore en 39/45. Leurs archives ont été moins souvent valorisées ou préservées, ce que les opérations s’attachant au Matrimoine commencent à encourager.
MYX un manifeste pour des images plus respectueuses de la diversité du monde
Investie dans la lutte contre les différentes formes de discriminations sexistes, Marie Docher s’est ensuite lancée dans la création de MYX, un manifeste pour des images diversifiées, non stéréotypées et non excluantes. Les agences photographiques et les iconographes sont invité-e-s à s ‘en emparer afin de proposer à leurs client.e.s des images plus respectueuses de la diversité du monde. Lancée à la MEP le 9 janvier 2018, la charte peut être signée par toutes celles et ceux qui conçoivent ou diffusent des images et souhaitent prendre leurs responsabilités dans la promotion de modèles plus variés et moins discriminants.
Dans le même temps, Marie Docher a poursuivi ses entretiens filmés et lancé avec l’aide d’Archives of Women Artists, Research and Exhibitions, (Aware) et du Ministère de la Culture, le projet «Visuelles.art: ce que le genre fait à l’art.» Afin de décrypter ce que le genre fait aux artistes, elle nous faire entendre des témoignages de personnes œuvrant dans le secteur culturel. (comme Marie Buscatto, professeure de sociologie à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et chercheuse à l’IDHES). Il s’agit d’identifier les freins, les obstacles et les biais plus ou moins conscients rencontrés par les femmes au cours de leurs carrières mais aussi d’imaginer des stratégies pour les lever et changer nos regards.
Pour que nos sociétés abandonnent moins d’être humains sur le bord du chemin et soient plus inclusives, il faudrait transformer notre regard sur autrui, en commençant par le décentrer. C’est ce que nous proposent de nombreuses photographes !
 
Marie-Hélène Le Ny 50-50 magazine
 
Les femmes s’exposent, du 8 juin au 16 juillet à Houlgate

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