Articles récents \ DÉBATS \ Contributions LES FEMMES ENTRAÎNEURES DE HAUT NIVEAU: SUR LE BANC DE TOUCHE, MAIS PAS SUR LA TOUCHE

Sur les 56 équipes de sports collectifs présentes en demi-finales à Rio, seulement 4 avaient une femme pour entraîneure. Et sur les 4, aucune équipe masculine. Le constat est implacable. Et le cas des Jeux Olympiques est assez représentatif de la situation que connaît le sport français.
Lorsqu’il s’agit de s’intéresser à la place des femmes dans l’univers sportif, on retrouve, sous une forme amplifiée, les mêmes phénomènes que dans le reste de la société. En effet, faut-il rappeler que le sport a été fait pour et par les hommes et qu’il reste, encore aujourd’hui, un des lieux les plus exposés aux inégalités sexuelles?
D’autant plus que celui qui a rénové les Jeux Olympiques, Pierre De Coubertin, était résolument hostile à la participation des femmes aux Jeux Olympiques. Selon lui, «les olympiades femelles [sont] inintéressantes, inesthétiques et incorrectes. Les Jeux olympiques devraient être réservés aux hommes, le rôle des femmes devrait être surtout, comme aux anciens tournois, de couronner les vainqueurs.»  Ainsi, le sport a été construit autour d’une forme de sexisme, institutionnalisé et toléré.
Alors que penserait-il d’une femme pouvant entraîner des sportives et des sportifs professionnel.le.s? 
En effet, nous nous intéressons ici non pas aux sportives, mais à celles que l’on doit encore chercher si l’on veut les trouver: les entraîneures femmes de haut niveau. Des préjugés tenaces sont encore bien figés et leur situation évolue lentement. Entraîner est indéniablement une profession à dominante masculine, qui plus est dans le monde du sport de haut niveau et/ou professionnel.
Plus on se hisse vers le haut niveau, plus il y a d’enjeux sportifs et financiers, et moins on trouve de femmes.
En 2013, la représentation statistique est criante puisque les femmes représentent 26% des conseiller.e.s techniques sportives/sportifs, 11 % des postes d’entraîneur.e.s au niveau national et 11 % des postes de directrice/directeur technique au  plan national. S’il y a une progression évidente des femmes depuis le début des années 2000, l’occupation du terrain sportif au sein des fédérations reste incontestablement réservée à la gente masculine.
Et, quand par miracle, on trouve des femmes entraîneures sur la scène nationale, voire internationale, elles coachent (presque) toutes des femmes ou des équipes féminines.
C’était sans compter sur le talent de «notre» pionnière Corinne Diacre, qui à force d’abnégation est devenue la deuxième femme à la tête d’une équipe de football professionnelle masculine à l’échelle mondiale (après Caroline Morace en Italie, qui a dû démissionner au bout de trois mois malgré des résultats honorables). Tout comme Amélie Mauresmo, qui, en 2014, est devenue officiellement l’entraîneure d’Andy Murray jusqu’en mai 2016.
Certes, cela nécessite plus de travail de la part de ces femmes puisque comme l’évoque la sociologue Caroline Chimot, « à compétence égale, les femmes doivent apporter plus de valeur à leur travail que les hommes. » Lorsque, nombreux sont les hommes qui accèdent à ces postes sans avoir toutes les compétences requises, les femmes, elles, se doivent d’avoir toutes les qualifications, et parfois mêmes plus que celles demandées, pour se lancer.
Mais si l’on veut avoir une vision optimiste du paysage sportif actuel, retenons qu’aujourd’hui il y a des avancées. Nous assistons à une « multiplication des «premières fois» » selon Béatrice Barbusse, sociologue.
Les rares exemples cités prouvent qu’il n’y a pas d’évolution quantitative significative. Néanmoins, il est impératif de s’intéresser aux histoires de ces pionnières pour que d’autres femmes osent. Quelles stratégies ont-elles mises en place pour briser le plafond de verre?
Que dirait-on d’une étude sociologique venant bousculer un clivage ancré dans le sport de façon ancestrale? Et si dévoiler la neutralité des instances, c’était aussi mettre en exergue comment de nombreuses normes et règles institutionnelles qui se définissent comme «neutres» sont, en fait, historiquement calquées sur des «modèles masculins.»
Modèles masculins d’investissement professionnel, de performance, de disponibilité et de mobilité qui peuvent par conséquent jouer au détriment des femmes et contribuer ainsi à construire et à entretenir la rareté des femmes à des postes à responsabilité dans le sport. En effet, les rapports de genre et la division du travail selon le sexe gagnent à être analysés dans leurs manifestations concrètes, qui varient selon les contextes conjugaux, notamment la profession du conjoint.
Pour comprendre l’inégalité de genre, il faut envisager les « différences dans la différence »  expliquent les sociologues Passeron et Singly. Etudier la situation d’un groupe particulier tel que les entraîneures femmes révèle une organisation spécifique de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Certains ajustements sont inévitables, aussi le père se voit assumer un rôle ressemblant davantage au rôle que l’on attribue historiquement à la mère (stéréotype du rôle de la mère-épouse). Bientôt, les employeuses/employeurs n’auront pas d’autres choix que de s’ajuster, car la réalité de demain ne sera pas celle d’aujourd’hui. Les femmes ne seront plus les seules à profiter du congé parental, les hommes l’utiliseront, peut-être, aussi (c’était la mesure phare du projet de loi sur l’égalité femmes-hommes impulsée par la ministre des Droits des Femmes, Najat Vallaud-Belkacem en 2014 ; les pères représentent encore moins d’un bénéficiaire du congé parental sur cinq.
D’autres idées sont également proposées pour permettre l’accès des femmes à ces postes: «Il faudrait aussi un soutien de la part de la Fédé, des Ligues et des clubs. Par exemple, à Montpellier, il me semble que le Conseil régional propose une garderie aux sportifs et aux coachs de haut niveau. Quand tu finis tes entraînements à 21 heures, c’est très dur de trouver une nounou. Là, on propose une garderie nocturne qui facilite la tâche de tout le monde. Ces initiatives représentent de belles alternatives, mais on n’est pas assez nombreuses aujourd’hui pour réclamer l’ouverture de ce genre de structures» propose Sarah M’Barek, entraîneure de l’équipe féminine de Guingamp en Division 1 Féminine..
Elucider les raisons des différences entre les genres, repérer les déterminants sociaux influençant les femmes à s’investir dans le sport, évaluer et analyser l’évolution des femmes dans le sport de haut niveau devient une priorité au service de la société. Cette étude permettrait d’appuyer la vision stratégique du Ministère quant au développement des plans de féminisation au sein de chaque fédération. Quelles sont les positions prises par chacune des fédérations? Par les clubs? Leur intérêt est-il honnête? Il est clair que le «coup médiatique» est parfois de mise. L’équipe des Diables de Montpellier, par exemple, sortait tout juste d’un dépôt de bilan avant de nommer Audrey Zitter à la tête de l’équipe. N’y a-t-il pas une vraie démarche de communication derrière ces nominations de femmes? Ces dernières ne sont-elles pas victimes de la «marchandisation» du sport? en reprenant l’expression du sociologue Gilles Vieille-Marchiset?
Pour changer les mentalités, le chemin est encore long, et surtout de nombreuses campagnes 5de communication, de sensibilisation) et d’études sociologiques sont nécessaires. N’ayons pas peur de nous engager dans ce combat contre le sexisme et les stéréotypes de genre! Il est nécessaire que chacun.e acquière une conscience de genre, une conscience des mécanismes qui contribuent à donner un sens et une destinée particulière au fait d’être né.e garçon ou fille, afin de la combattre. C’est, en effet, tout le paradoxe de reconnaissance d’une discrimination consistant à pointer du doigt cette dernière afin de mettre en place les politiques permettant son abrogation.
Cette lutte n’est pas «contre» les hommes, mais avec eux. Et pour que la route vers une mixité équitable soit moins longue, ils peuvent sans conteste soutenir la féminisation du sport.
 
Daphné Lemercier, étudiante en sociologie
Photo de Une: Corinne Diacre

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