Articles récents \ France \ Société COLONELLE KARINE LEJEUNE, UNE BÂTISSEUSE D’ÉGALITÉ DANS LA GENDARMERIE

Karine Lejeune est colonelle de gendarmerie, elle a acquis une sacrée réputation dans le milieu féministe grâce à son travail sur les violences contre les femmes. Son parcours est emblématique dans la quête d’égalité qui anime les femmes et aussi des hommes qui soutiennent cette quête.

Elle n’est pas arrivée en gendarmerie par hasard. Elle était en Licence de droit et cherchait sa voie. Les métiers de la sécurité publique l’attiraient et puis, révélation, la gendarmerie était faite pour elle ! Pas très surprenant, après tout, puisqu’elle est la quatrième génération de gendarme de la famille. Elle connaît la vie de caserne, son père était gendarme mobile. Elle garde un souvenir ému des retours d’escadron, après 4 mois en opération loin de la caserne. Les enfants attendaient les papas devant la grille, à cette époque il n’y avait que des papas !

Avec fierté elle remarque qu’elle est la première officière de la famille, femmes et hommes confondu.es. Notons que les premières officières de gendarmerie ont intégré l’école en 1987. Sa mère, fille et petite-fille de gendarme, n’avait pu intégrer la gendarmerie puisque les postes opérationnels n’ont été ouverts aux femmes qu’en 1983, elle s’était rabattue sur l’armée de terre où elle est restée pendant quelques années.

C’est ainsi qu’en 2000 Karine Lejeune a passé le concours de l’école d’officier de la gendarmerie et l’a réussi. Mais à l’époque, il fallait faire son service national avant. Selon elle, c’était très lourd pour les femmes «on vous expliquait que vous ne pouviez pas, que vous n’aviez pas la bonne taille. Forcement ! La taille des hommes était la référence

Sur sa promotion de 250 officiers, il n’y avait que 6 femmes. Effectivement, elle s’est sentie un peu seule, mais comme elle le remarque, malgré tout bien intégrée. Elle avait de bons camarades. «Je n’avais pas les mêmes relations que pouvaient avoir les garçons entre eux, pour autant je n’étais pas mise à l’écart, comme j’étais la seule fille au milieu de tout cela, quand on partait en camp militaire cela les faisait rire et c’était plutôt bon enfant. » En fait, elle n’a pas été confrontée au sexisme pendant sa formation à l’école, probablement en raison de l’absence de compétition. « En revanche, le sexisme apparaît quand on commence à marcher sur les plates-bandes des hommes » avoue-t-elle.

 La seule officière sur toute l’Ile de France

Dans sa famille, le sexisme et la détermination genrée des choix professionnels n’existaient pas. C’est elle qui est devenue gendarme alors que son frère plus jeune n’ayant pas du tout la même sensibilité a suivi un autre chemin. Face aux remarques et réticences sexistes elle affirme, « Je suis toujours partie du principe que de toute façon, ils feraient avec moi, que cela leur plaise ou pas. J’étais là, j’avais passé le même concours que les hommes, je m’étais battue pour être là, pour suivre la carrière que j’avais choisie et j’y avais toute ma place, pas plus mais certainement pas moins
Pour son premier poste d’officière de gendarmerie elle est affectée dans l’Essonne, elle est la troisième dans la chaîne de commandement de la compagnie départementale de Palaiseau, une unité de 222 gendarmes. Elle est la seule officière sur toute l’Ile de France.

L’officier général qui la reçoit lui réserve une réception qu’elle qualifiera de « surréaliste. » Aujourd’hui, elle se sent libre d’en parler puisqu’il est parti en retraite. Elle se souvient clairement de ses mots «les femmes sont incongrues en gendarmerie. J’ai du mal à voir une femme au bord d’une route, ce n’est pas sa place, et ça me fait mal de signer un congé maternité !» Cela avait le mérite d’être clair dit-elle, mais elle n’a pu s’empêcher de répondre au moins sur le dernier point, rappelant à son supérieur qu’il n’avait pas eu de problème jusqu’à présent pour signer des détachements en opérations extérieures laissant un poste vacant, ou des congés de longue durée pour maladie.

Elle souligne «je ne laisse pas passer, j’y mets toujours les formes et je suis toujours respectueuse, mais on sait ce que je pense. Parfois il m’est arrivé de passer pour chienne de garde mais je l’assume, il y a certaines choses qu’il faut dire

Certes, au début, certains gendarmes se demandaient comment cela allait se passer sur le terrain et la regardaient d’un air curieux, mais une fois les premières étapes passées, elle n’a pas eu trop de problèmes excepté avec un ou deux. Elle sert trois ans comme numéro trois de l’unité et puis devient numéro deux . Un matin de 2005, un an avant la fin de son service en Essonne, elle est contactée et félicitée pour sa nouvelle affectation au ministère de l’Intérieur dans une structure d’aide aux victimes qui va être créée.

Pour elle, cette affectation venait de son implication dans la commission départementale de lutte contre les violences faites aux femmes qui existait déjà à son arrivée dans l’Essonne. Elle avait eu cette responsabilité parce qu’elle était une femme. En effet, quand elle avait demandé pourquoi elle avait été désignée d’office pour aller aux réunions à la préfecture, son commandant lui rétorqua «parce que vous êtes une femme et c’est bon une femme qui s’occupe des violences faites aux femmes
Puis, elle a suivi une carrière qui a lié recherche, sécurité publique et assistance aux femmes victimes de violences.

Vivre avec le sexisme et la violence du public

D’abord elle reconnait qu’en tant que gendarme elle n’a jamais été confronté à la violence à proprement parler, mais des prérogatives pouvaient lui être refusées sous le prétexte qu’elle était une femme. Souvent il fallait s’imposer et les gendarmes devait rappeler que c’était elle la cheffe. « Et puis, il y a des gens qui refusent de vous parler parce que vous êtes une femme » dit-elle. Elle explique que s’il y a une femme dans une patrouille, certains pensent que c’est le maillon faible donc les gens vont vers elle, ainsi quand il y a violences elles vont s’exercer souvent vers le personnel féminin.

Les femmes gendarmes font aussi face à ce que Karine Lejeune appelle « le machisme ordinaire, » elle énonce un florilège de propos obscènes et sexistes, comme « je ne dirais pas non à une fouille au corps » « madame la gendarme vous ne voulez pas me mettre les menottes ? » et pire encore. La plupart du personnel féminin en gendarmerie travaille au niveau départemental ou les gendarmes femmes et hommes sont plus exposé.es et pourtant, il n’y a pas de surreprésentation des femmes gendarmes dans les agressions.

Après une affectation dans le nord, Karine Lejeune a poussé sa carrière plus loin en préparant et réussissant le concours difficile de l’école de guerre, seul moyen pour accéder aux grades les plus élevés. Une fois de plus, elle était seule, seule femme gendarme de sa promotion de 30 et de son amphithéâtre de 300, elle remarque «c’est terrible je n’y fais même plus attention.» Toutes armes confondues elles étaient une dizaine de femmes.

Le 29 février 2016, elle a été choisie pour être la porte-parole de la gendarmerie par le directeur général de la gendarmerie qui avait créé ce poste.
Elle vient de prendre la tête du groupement départemental de l’Essonne en tant que colonelle, un retour dans le département de ses débuts, que de chemin parcouru depuis l’accueil glacial d’un commandant misogyne. Elle sera à la tête de 745 gendarmes. Ironiquement, jusqu’en aout 2018, c’était une cheffe d’escadron qui commandait la compagnie de Palaiseau, compagnie où elle avait fait ses débuts.
Un détail important qui a contribué à ce que globalement 19,5% des personnels de la gendarmerie soient des femmes avec 18% de femmes militaires, est l’élimination en 1998 du quota de 7% de femmes dans les armées. Les femmes sont, maintenant, présentes dans tous les corps de la gendarmerie. Aujourd’hui, il y a 8% d’officières dans la gendarmerie, 8 colonelles et 2 générales.

Depuis les années de solitude que Karine Lejeune a connues à ses débuts, les femmes entrent de plus en plus nombreuses dans la gendarmerie. Elle dit modestement qu’elle n’est pas responsable de l’ouverture de l’institution aux femmes mais assume sa position de « rôle modèle » comme la 1ére générale de gendarmerie Guion de Méritensn, l’avait été pour elle.
Son travail, au sein de cette institution, a certainement influé le fait que de plus en plus de recru.es viennent des universités comme elle, que le service national n’est plus imposé ce qui aussi favorise le recrutement des femmes. Auparavant, les recru.es venaient essentiellement des grandes écoles militaires imposant un carcan plus rigide. Elle remarque que cela lui arrive d’avoir des jeunes femmes qui viennent la voir pour lui demander conseil. Nul doute que ses conseils servent la cause de l’égalité femmes/hommes.

Brigitte Marti  50-50 Magazine

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