Articles récents \ Culture \ Livres Libérées : le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale

Parce qu’il n’y pas de petits combats féministes, ou peut-être parce que simplement tout se joue là, devant ce fameux panier de linge sale qu’une fois de plus vous allez finir par mettre à laver vous-même, Titiou Lecoq revient avec humour dans Libérées : le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale sur la répartition des tâches ménagères dans l’espace domestique et ses implications dans notre société. Des conséquences économiques aux répercussions écologiques, la journaliste nous démontre avec humour comment les chaussettes qui traînent contribuent au réchauffement climatique, dans ce que l’on pourrait appeler «la théorie de la chaussette.» 
Non vous n’êtes pas une super woman, et tant mieux !
Aimez-vous ranger, trier, organiser votre intérieur pour qu’il ressemble à autre chose qu’un amoncellement de linge, de poussière et de vaisselle ? Ou bien, à défaut d’aimer cela, vous sentez-vous condamné.e.s à le faire parce que personne d’autre que vous n’y pensera sinon ? Si vous avez répondu oui à l’une de ces deux questions, c’est que vous êtes sans doute une femme.
Comme le rappelle l’auteure, les femmes consacrent encore 2 h quotidiennes de plus que les hommes au fonctionnement de la maisonnée. Une fatalité ? A cela, Titiou Lecoq nous répond avec humour que non « nous ne sommes pas habitées par une puissance occulte qui prend possession de nous » à chaque fois que nous faisons le ménage. Simplement, nous avons été éduquées ainsi, et l’on se défait difficilement d’années de conditionnement.
A cela s’ajoute que depuis quelques années fleurit sur la toile quantité de blogs et de youtubeuses qui nous expliquent comment fabriquer nous-mêmes tous les produits de toilette et d’entretien de la maison, comment réaliser des repas sains et équilibrés pour toute la famille, comment s’occuper de nos enfants en utilisant les méthodes éducatives et pédagogiques les plus en pointe, tout en jonglant avec une vie professionnelle bien remplie. Le tout, sur fond d’appartements témoin, impeccablement rangés et décorés avec soin. Ces « Ma sorcière bien aimée » modernes comme les appelle Titiou Lecoq contribuent à nous culpabiliser. Parce qu’évidemment, personne ne peut faire ça dans la réalité sans finir par faire un burn out total. La journaliste nous expose avec humour ses propres batailles quotidiennes à travers un cas d’étude assez universel : la fameuse chaussette qui traîne.
De la chaussette au désastre écologique
Si Titiou Lecoq revient dans ce livre sur l’organisation des tâches ménagères, c’est parce qu’elle y voit l’une des causes des inégalités femme-homme. Comment parvenir à se faire respecter au travail et dans la société si dans l’espace le plus intime, le cadre familial, entourée des gens que l’on aime, il est déjà difficile d’y parvenir.
L’arrivée des enfants et l’augmentation de la charge de travail que cela comporte enferment ensuite les femmes dans un cercle vicieux. Comme elles ont l’habitude de s’occuper de la maison, des courses, du rendez-vous chez le médecin du petit dernier, ce sont elles qui vont se mettre à temps partiel ou prendre des jours de congé pour s’occuper davantage de la maison. Selon les études, cela s’aggrave avec les maternités : à chaque nouvelle naissance nous explique la journaliste, le temps consacré aux enfants et à la maison augmente beaucoup plus pour les femmes que pour les hommes. Ce faisant, elles peuvent moins s’investir au travail que leur conjoint, vont progresser moins vite dans leur carrière, et justifier ainsi le fait que ce soit elles qui restent à la maison, puisqu’elles ont, de fait, un moins bon salaire. La boucle est bouclée ! Aux femmes, l’espace domestique, aux hommes le monde extérieur !
Cependant, Titiou Lecoq nous apporte également un éclairage nouveau sur cette question, en liant les questions du féminisme et de l’écologie. Pour pouvoir tout concilier, les femmes n’ont que des journées de 24 heures, et comme ces messieurs, en trente ans de combats féministes, ne passent pas beaucoup plus de temps à passer la serpillière, il a bien fallu trouver des solutions. Plutôt que de se partager le travail, nous nous sommes donc tournées vers des solutions pour gagner du temps. On passe aujourd’hui 35 minutes de moins en cuisine qu’en 1985. Certes, les plats surgelés ont libéré du temps aux femmes, et Titiou Lecoq, loin des blogueuses aux airs de parfaites ménagères, ne compte pas nous ramener aux fourneaux, en nous culpabilisant sur nos modes de consommation. Mais elle ouvre le débat. Comment gérer une alimentation responsable et écologique, produire moins de déchets, quand tout repose sur des femmes déjà tellement sollicitées. L’espace domestique est encore malheureusement celui des femmes, et les petits gestes écologiques du quotidien, cuisiner des produits frais et locaux, utiliser des couches lavables, éviter les lingettes sont encore des contraintes imposées… aux femmes ! Loin de s’opposer au combat écologique, la journaliste montre que celui-ci ne doit pas et ne peut pas reposer sur nos simples épaules. L’écologie doit être pensée comme un défi quotidien partagé et non comme une charge supplémentaire pour les femmes.
Un livre pour vous prouver, si vous n’étiez pas encore convaincu.e.s, que féminisme et écologie peuvent faire bon ménage à condition que les tâches soient réalisées à égalité.

Marion Tilly 50-50 magazine

Titou Lecoq : Libérées – le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale. Ed. Fayard 2018

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