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La vie politique états-unienne a été marquée récemment par deux événements majeurs qui auront des conséquences importantes sur la vie des citoyens et plus particulièrement des citoyennes. Le premier est la confirmation de Brett Kavanaugh comme juge à vie de la Cour Suprême. Le deuxième est l’élection de mi-mandat qui vient de se tenir et qui a vu un nombre record de femmes candidates et élues localement et nationalement. Pour elles ce sera pour 2 ans jusqu’à 6 ans selon les postes. Un déséquilibre de représentation ?

Une nomination à la Cour Suprême contre les droits des femmes.

 Le choix de Brett Kavanaugh pour devenir juge à vie de la Cour Suprême des États Unis était une provocation supplémentaire pour beaucoup d’états-uniens et surtout pour les états-uniennes. L’homme, un juge qui a travaillé avec l’administration Bush et à la maison Blanche de Donald Trump a un passé extrêmement troublant concernant des décisions légales sur : la pratique de la torture depuis le 11 septembre, le respect des lois et conventions internationales, y compris la convention de Genève, les droits des femmes et particulièrement les droits sexuels et reproductifs, l’espionnage des citoyen.nes, et le droit du président des États-Unis à utiliser la force militaire sans l’autorisation du Congrès. Les manifestations contre sa nomination furent nombreuses y compris dans la salle du Sénat dédiée aux auditions. Lors des auditions, il n’a jamais démenti qu’il pourrait voter pour abroger la décision Roe v Wade qui a permis la légalisation de l’avortement. Il s’est contenté de qualifier cette décision d’importante. Il n’a en fait rien démenti et n’a promis aucun changement sur ses positions une fois confirmé comme juge de la Cour Suprême.

Puis vinrent les accusations d’agression sexuelle. Le témoignage de Blasey Ford, docteure en psychologie, qui a été agressée sexuellement par Brett Kavanaugh lorsqu’elle avait 15 ans, bien que parfaitement articulé ne l’a pas ébranlé. La scène avait été retransmise sur les chaînes de télévision, la mobilisation était complète dans l’espoir d’empêcher la confirmation. Si la raison et l’éthique ne l’avaient pas emporté pourquoi ne pas essayer le scandale ? Ce sont les femmes qui ont été en première ligne contre cette nomination depuis le début du processus, et ce sont deux manifestantes poursuivant un sénateur républicain qui ont obtenu l’ouverture d’une enquête du  FBI sur ces allégations. Rien n’y a fait, après une enquête FBI tronquée et un processus de confirmation faussé, comme l’a reconnu la juge de la Cour Suprême Ruth Bader Ginsberg (RBG), le juge Kavanaugh est devenu juge de la Cour suprême.

Tous les juges de la Cour suprême étaient présent.es pour la cérémonie d’investiture du juge Kavanaugh. RBG (85 ans) avait un air abattu et des gants épais gris qui contrastaient avec la cérémonie pompeuse, où Donald Trump, sans scrupules, s’est même excusé au nom du peuple américain pour les difficultés endurées par ce pauvre homme.

Ruth Bader Ginsberg est une figure emblématique de la lutte des femmes pour l’égalité. Récemment, la louange d’un hebdomadaire français « la statue de la liberté, c’est elle » s’inscrivait à la fin de la bande annonce française du documentaire, « RBG, Héroïne, Icone, Dissidente. » En effet, son parcours et son engagement sont exemplaires. Elle s’est battue pour devenir avocate dans le but de changer les lois discriminatoires locales et fédérales à une époque où seulement 2% des aspirant.es avocat.es étaient des femmes. C’est aussi une voix indéfectible de la défense des droits sexuels et reproductifs aux États Unis.

Les élections de mi-mandat 2018 : aller voter et faire compter son vote n’est pas permis à toutes et tous.

Les élections se sont tenues le 6 Novembre 2018 et le dépouillement s’est terminé récemment. Parce qu’il n’y a pas d’administration fédérale qui supervise impartialement le vote, les élections aux États-Unis ne sont pas ouvertes de manière égale à toutes et tous.

D’abord, les découpages électoraux sont historiquement très en faveur des républicains : les années Bush ont laissé des traces.

Depuis 2005, les États conservateurs ont fait passer des lois imposant des cartes d’identification pour aller voter. Leur obtention est semée d’embûches pour les minorités et les plus précaires et donc restreignent le droit de vote. La National Association for the Advancement of Colored People, NAACP, rapporte que dans les États du Sud comme en Alabama une centaine de milliers de citoyen.nes afro-américain.es n’ont pu obtenir les documents nécessaires pour avoir leur carte d’électrices/électeurs. Les Amérindien.nes vivant en réserve rencontrent d’énormes difficultés, elles/eux aussi, à remplir les conditions d’obtention de cette identification, ce qui peut les priver de voter. Pour mémoire, les Amérindien.nes n’ont eu le droit de vote qu’en 1948.

Ensuite, il y a les machines à vote. Elles ont été installées après le désastre de l’élection présidentielle de 2000 en Floride. Elles n’ont pas de trace papier et sont pour la plupart en fin de course, de plus elles sont faciles à pirater. Dans plusieurs États, des phénomènes de substitution de vote ont été observés, les électrices et électeurs ayant sélectionné un.e candidat.e démocrate voyaient le nom du candidat républicain s’inscrire. Pour d’autres machines, les boutons sur lesquels les électrices/électeurs devaient appuyer, disparaissaient littéralement sous leurs doigts. Et enfin, des machines installées dans des quartiers déshérités, n’avaient pas de branchement électrique.

Et puis il y a la suppression, parfaitement abusive, des électrices/électeurs des listes électorales.

L’État de Géorgie, qui compte plus de 10 millions d’habitant.es, est un bon exemple, probablement parce que le candidat républicain au poste de gouverneur, Brian Kemp, était aussi le Secrétaire d’État de l’État en charge de l’organisation des élections. Il était opposé à Stacey Abrams, la première femme noire en capacité de remporter les élections pour être gouverneuse de l’État, qui, doit-on le rappeler, est un État du sud. Un million de personnes n’ont pas pu voter et Stacey Abrams a perdu pour quelques milliers de votes. Parmi les votes refusés, une femme de 92 ans ancienne activiste des droits civiques des années 60, qui, depuis son premier vote autorisé en 1964, n’a jamais manqué de voter. Et puis environ 300 bureaux de vote sont tout simplement restés fermés, sans compter ceux qui n’avaient pas l’équipement nécessaire. Il fut très difficile de voter pour certain.es.

Stacey Abrams n’a pas reconnu officiellement sa défaite, comme à l’accoutumée, au contraire elle a dénoncé l’érosion de la démocratie en Georgie et a immédiatement annoncé qu’elle allait créer un comité d’action « Fair Fight Georgia » pour engager des procédures de justice contre l’État.

Les élections mid-terms sous le signe des femmes qui prennent la parole

Les femmes blanches et les femmes issues des minorités se sont emparées de ces élections de mi-mandat appelées mid-terms. Ces élections de mi-mandat concernaient nombre de fonctions publiques, qu’elles soient au niveau local avec le renouvellement des chambres des États et l’élection de nombreux administratrices/administrateurs locaux, ou au niveau fédéral avec le renouvellement du Congrès, c’est-à-dire les 435 sièges de la Chambre des Représentants et 35 sièges des 100 sièges du Sénat. Après les primaires, il y avait 233 femmes candidates à la Chambre et 23 femmes au Senat.

Non seulement plus de femmes que jamais auparavant ont été élues à la chambre des représentant.es avec 102 femmes, 89 démocrates et 13 républicaines, mais aussi 43 femmes de couleur, 42 démocrates et 1 républicaine, y compris les délégué.es des territoires Puerto Rico, Samoa, District of Columbia, et Guam.

Quelques exemples marquants

Toujours en Georgie, une élection pleine de symboles : Lucy Mc Bath, femme de couleur, est démocrate, son fils Jordan Davis avait été tué par un homme blanc qui trouvait que la musique était trop forte dans sa voiture. Il mettra 10 balles dans le corps de Jordan, 17 ans, pour lui faire entendre raison. Lucy Mc Bath a décidé de changer la politique des armes aux États-Unis, elle est maintenant la représentante du 6 éme district de Georgie.

Et puis il y a les jeunes femmes comme Alexandria Ocasio Cortez, 29 ans, élue dans l’état de New York avec 78% des voix. Elle a refusé tous les financements des lobbies habituels et s’est affichée résolument socialiste, un gros mot jusqu’à présent aux États Unis. Elle était aussi une importante activiste de la campagne de Bernie Sanders pour les présidentielles.

Deux jeunes femmes musulmanes ont été élues: Ilhan Omar issue de l’immigration somalienne dans le Minnesota et Rashida Tlaib dans le Michigan. Deux femmes amérindiennes siégeront au Congrès : Sharice Davis du Kansas, ouvertement lesbienne et Deb Halland du Nouveau Mexique du pueblo Laguna, élue avec 59,1% des voix. Une autre première : Ayanna Pressley sera la première représentante noire du Massachussetts au Congrès.

Et la liste est longue, même si en fait les femmes ne composeront que 23% du Congrès une augmentation de près de 4% par rapport au Congrès précédent.

Il est sûr que quelque chose a profondément changé. La prise de parole des femmes s’accompagne aussi d’engagement, comme ce micro-trottoir à la sortie d’un bureau de vote dans le comté de Baltimore, Maryland, en témoigne.

Lynn portait une pancarte pour une candidate locale et Marsha distribuait des tracts pour défendre les candidatures de femmes. Lynn :  Je veux quelqu’un dans ce scrutin, qui écoute les électrices et les électeurs, et je ne pense pas que c’est ce qui arrive avec les mâles. Je n’ai jamais fait de politique, et me voilà sous la pluie avec une pancarte pour une candidate !» Marsha :«Il y beaucoup de femmes qui voudraient voir plus de femmes candidates aux élections pour avoir une perspective plus équilibrée sur les sujets de société. L’enjeu pour les femmes pour cette élection est leur représentation !»

 

Brigitte Marti 50-50 magazine

Dessin Pierre Colin Thibert 50-50 magazine

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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