Contributions La femme, le travail et le handicap par Maudy Piot, présidente de Femmes pour le dire, femmes pour agir.

Si de nombreuses études ont été publiées sur le travail des femmes, les connaissances sur le vécu au travail des femmes handicapées sont peu nombreuses. Il y a là un manque à combler. Femmes pour le dire, femmes pour agir  a apporté sa modeste contribution à ce chantier lors d’un colloque organisé en 2009. Il reste beaucoup à faire.
Tous les indicateurs le confirment, le taux de chômage des personnes handicapées est deux fois plus élevé que celui des personnes valides. Mais qu’en est-il pour les femmes en situation de handicap ? Ne vivent-elles pas une double discrimination du fait d’être femmes et handicapées ? Pourquoi travaillent-elles ? Ou veulent-elles travailler ? Ou encore ne veulent-elles pas, pour certaines d’entre elles, travailler ? Comment s’effectue leur recherche d’emploi ? Leur recrutement ? Comment se déroule leur carrière ?

On le sait, le handicape dérange parce qu’il renvoie à l’inquiétude, à la peur, à l’angoisse. Dès l’instant où nous ne sommes pas dans la norme, nous faisons peur. C’est cette peur qu’il faut que nous tentions de faire disparaître en partageant des expériences, en échangeant avec les autres, en disant haut et fort que nous sommes des citoyennes à part entière, y compris bien évidemment dans les milieux de travail, les bureaux, les ateliers, les commerces, ou encore dans les entreprises que nous créons.

Les femmes handicapées et le travail

Écoutons ce témoignage d’un employeur : « J’ai fait l’expérience d’embaucher une femme qui était handicapée moteur et handicapée intellectuellement. Cela a été difficile de motiver l’équipe à accepter cette personne. Lorsqu’on l’a vue arriver en fauteuil roulant, on a dit qu’on allait l’aider. En tant qu’employeur, je voulais l’aider dans sa réinsertion. Mais paradoxalement, elle me disait qu’elle voulait qu’on la traite comme les autres, comme tout le monde. L’équipe n’a pas réussi à entrer dans ce raisonnement. Quand on est employeur, on peut se donner bonne conscience. Mais si on ne sait pas comment gérer la différence, on se plante. On n’est pas à l’aise ! »

Ce témoignage souligne toute la complexité du rapport au handicap ; il faudrait même dire du rapport à la normalité, à la norme tout simplement. Car les demandes des différents acteurs divergent, de la compassion – peut-être transitoire – de l’entourage professionnel, à la revendication de la personne embauchée d’être traitée comme n’importe quelle autre employée, ce qui reste ambigu, aux problèmes éthiques et à la culpabilité du chef d’entreprise qui ne sait trop comment gérer cette singularité.

Nous sommes façonnés, comme le dit très bien Pascale Molinié : « Il faut renverser le modèle de l’homme performant […] Il faut penser le modèle de l’être humain au travail, à partir du handicap et non à partir du modèle abstrait d’un être humain toujours performant ».

Le handicap est sans doute une singularité, il n’est pas pour autant une exception. Si l’on considère le déroulement d’une vie humaine, de la naissance à la mort, nous vivons de multiples aléas, de multiples dépendances. Le handicap, dit encore Pascale Molinié, « peut jouer le rôle d’une loupe grossissante qui permet de voir la normalité comme elle est, et non comme on nous fait croire qu’elle devrait être ».
Il n’y a pas d’un côté le handicap dans lequel serait « installée » la personne, et de l’autre l’inébranlable normalité de l’homme (décliné au masculin, cela va sans dire !) surdoué et surpuissant, adaptable, autonome, infatigable, etc. La normalité est toujours précaire, susceptible d’être mise à mal, vulnérable. Nous parlons ici de l’emploi des personnes handicapées, mais il faut également réfléchir aux personnes handicapées par l’emploi, temporairement, ou parfois définitivement.

Que veulent les femmes handicapées ?

Que représente la valeur travail pour elles ? Elles répondent :

– Le travail permet de se projeter dans la vie, dans « la vraie vie », dans « la vie normale ». Le travail aide à construire son identité personnelle, amplifie la confiance en soi et en ses capacités et donne le sentiment de pouvoir dépasser ses limites. On peut montrer de quoi on est capable.

– Travailler consolide et structure l’insertion sociale par l’affirmation de sa place au sein de la société ; en développant un réseau social et professionnel, on refuse de se recroqueviller sur soi-même.

–    Être femme et handicapée cumule une « double invalidité » que seul le travail est capable d’effacer ou du moins d’atténuer : atteindre des objectifs en fin de mois comme tout autre salarié de l’entreprise gomme le sentiment d’infériorité physique et sexuelle.

–    L’activité professionnelle permet de participer au développement économique, d’être utile et de ne plus être perçue comme un fardeau pour la société.

–    Faire évoluer les mentalités, corriger les pratiques professionnelles et les techniques pour les adapter aux autres personnes en situation de handicap, se fera plus efficacement de l’intérieur ; il est donc indispensable d’être intégrée à une entreprise pour pouvoir agir et être utile aux autres.

–  Pour certaines, le handicap physique n’est pas forcément le plus difficile à gérer : le handicap de l’âge est parfois incontournable ; pour d’autres, le véritable handicap est leur déracinement.

Quant au rapport à l’entreprise, au recrutement, aux difficultés d’accès et d’intégration, à l’évolution de carrière, à la fatigabilité, les femmes handicapées préconisent les attitudes suivantes :

– Une entreprise qui recrute une personne handicapée doit adapter ses critères de sélection et ses pratiques. Elle doit lutter contre la tentation

– bien française – de recruter des « clones » de ses salariés en poste (diplômes identiques, expériences professionnelles comparables, mentalité dans le moule, etc.). Il est difficile de s’ouvrir à la différence et de prêter attention à un CV qui présente des périodes d’inactivité ou des trajectoires pas très rectilignes.

–    L’intégration se réussit à deux : l’entreprise et le salarié, parce qu’elle n’est jamais acquise d’emblée. De part et d’autre, il faut accepter les tâtonnements, les ajustements, sensibiliser la hiérarchie, communiquer pour faire tomber les barrières.

–    Reprendre son activité dans la même entreprise après une maladie qui provoque un handicap ne va pas de soi. Bien souvent il faut faire le forcing, provoquer les choses, suggérer soi-même les solutions, obtenir des formations complémentaires. De son côté, l’entreprise doit s’adapter à l’avant et l’après ; elle doit comprendre qu’elle a affaire à la même personne, mais différente et que ses critères d’appréciation doivent évoluer. D’où la nécessité d’un relais, soit auprès du service des ressources humaines, ou de la médecine du Travail.

–    La fatigabilité est un paramètre à prendre en compte et à gérer avec l’entreprise. Gérer sa vie de famille, sa vie professionnelle et éventuellement le temps passé en soins ou en rééducation peut paraître insurmontable. Accepter de se faire aider pour trouver des solutions. Un aménagement d’horaire peut être envisagé, du matériel adapté peut être prescrit par la médecine du Travail pour un meilleur confort et une meilleure efficacité. Pour pallier les problèmes de mémoire et de concentration, penser à tout noter, tout planifier, avoir une organisation différente !

–    Pour avoir une évolution de carrière comme les autres, obligation de se battre et de montrer tout le temps sa motivation, prouver ses compétences. Par ailleurs, être handicapée, avec un horaire aménagé peut être un frein pour la carrière : accès plus difficile aux offres d’emploi, de mutation, à la formation.

Maudy Piot, présidente de Femmes pour le Dire Femmes pour Agir

FDFA : www.femmespourledire.asso.fr

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