Publications jeunesse : une égalité à bâtir Presse pour adolescent-e-s : courtisanes et guerriers

Illustration © Talents hauts

Une analyse des contenus et des discours, pratiquée en été 2005 sur un corpus de cinq magazines pour adolescentes (16 ans, Girls, Laura, Lolie, Miss), montre les traits communs de ces magazines, et les effets qu’ils tendent à avoir sur les filles. Les mêmes constats peuvent se faire sur la plupart des magazines, dont certains apparus depuis.

Dès la couverture, ces magazines pour filles tissent un lien de complicité très fort entre journalistes et lectrices, par l’utilisation du « tu » adressé aux filles, voire du « nous » qui inclut dans une même entité la journaliste et l’adolescente.

Ce lien est renforcé par des cadeaux « tendance » insérés dans les magazines : pendentif, mèches de couleur à rajouter aux cheveux, ceinture, bandeau… Ces cadeaux très bon marché ont pourtant une valeur symbolique importante. Comme la verroterie offerte aux Indiens, ils visent à se concilier les bonnes grâces des adolescentes, tout en les « aidant » à « se faire belles » selon des critères dictés par la mode, dont le magazine est le garant.

Les grands thèmes traités par les magazines sont récurrents, et se retrouvent d’un magazine à l’autre. Ces questions sont, par ordre d’importance en volume de pagination :
– l’amour, ou plus précisément le sexe : « Est-ce le moment de passer à l’acte ? » (dans 16 ans… magazine destiné aux 12-14 ans) ;
– les « mecs » et ce qu’ils « veulent des filles » : « 5846 mecs disent enfin ce qu’ils pensent des filles » (Girls) ;
– les tests de personnalité : « Où en est ton sex appeal ? » (Miss) ; « Quelle histoire d’amour es-tu prête à vivre ? » (Lolie) ; « Plage, drague, sexe, forme… vite, un check-up pour être au top » (Laura) ;
– l’astrologie : « Découvre ton signe égyptien » (Miss) ; « Astrolove : Cupidon sous le soleil » (Laura).

Finalement, quel que soit l’angle, ces rubriques traitent des relations des filles avec les garçons.

Sexualisation précoce et avenir à lire dans les astres

Les lectrices visées sont de très jeunes filles, souvent pré-pubères, voire des petites filles –Lolie offre des poupées à gagner. Les courriers des lectrices sont signés de prénoms féminins assortis d’un âge : à 11,5 ans, l’une s’inquiète parce qu’elle n’est pas encore réglée ; une autre, à 15 ans, parce ce qu’elle n’a pas encore fait l’amour (alors que l’âge moyen du premier rapport sexuel en France est d’environ 17 ans). Mais ces fillettes sont poussées par les magazines dans une course en avant : il faut « devenir une femme » le plus tôt possible.

Les magazines se placent comme conseillers des filles et leur fixent un but : séduire grâce aux conseils prodigués. Au fil des pages modes, partout présentes, les filles sont invitées à suivre la mode, notamment « baby doll » en 2005, qui consiste à se transformer en poupées… En objets ? Sexuels ?

Tous les magazines proposent une métamorphose. En une ou plusieurs pages « avant/après », est présentée la transformation d’une ou plusieurs petites filles en femme-s très sexy, à l’aide de vêtements, d’accessoires, de coupes de cheveux et surtout de cosmétiques – dans Miss, une fillette de 12 ans a « besoin » de 12 produits différents pour sa métamorphose, du gloss à l’eye-liner en passant par différentes crèmes, fonds de teint, rouges à lèvres, poudres, etc.

L’avenir professionnel des filles n’est envisagé qu’à portion congrue. Seuls deux magazines sur cinq proposent des pages « job » : une seule page dans 16 ans présente le métier mythique (et très sexualisé) d’hôtesse de l’air ; un dossier de cinq pages dans Lolie présente les métiers suivants : aiguilleur du ciel, caféologue, nez, décorateur ou développeur d’enseigne. Des métiers rares, et nommés au masculin !

La publicité apprend aux filles à devenir de parfaites consommatrices. Le relevé systématique de tous les annonceurs et des produits proposés (sonneries pour portable, jeux pour gagner de l’argent sur un mobile, maquillage, protections périodiques…) enseigne sur le financement des magazines. Certains stéréotypes sont très présents : pour des chaussures, une femme très pulpeuse est photographiée le buste allongé sur le capot d’une voiture américaine, dans une pose offerte avec fesses tendues en arrière et jambes légèrement écartées (Girls) ; pour des chaussures toujours, une infirmière en porte-jarretelles avec une mini-jupe, des seins qui sortent du décolleté et des bottes blanches à hauts talons.

Ce qui est construit au fil des pages, c’est la dépendance au regard d’autrui, comme si c’était le regard de l’autre (le garçon) qui construisait l’identité. Nul autre projet d’avenir réaliste n’est proposé. L’avenir est écrit dans les astres. Il n’est donc pas nécessaire d’investir la scolarité, qui est d’ailleurs presque totalement absente des magazines populaires (Miss, 16 ans, Girls, Laura) ou moyenne gamme (Lolie). Dans tous les magazines pour petites et jeunes filles, le paraître – il faut être mince et belle – est survalorisé, au détriment de l’intellectuel qui est tourné en dérision. Il ne faut pas être « trop intelligente » pour plaire aux garçons (Girls).

Pour obtenir l’approbation des pairs et éviter l’exclusion, les filles doivent miser sur l’image, se sexualiser précocement (au risque de devenir des enfants-proies ?). Alors que la mode invite les femmes à se transformer en « bimbo », les petites filles doivent devenir des femmes « sexy ». On peut se demander si cette confusion des genres ne représente pas un danger potentiel : les fillettes, comme des femmes, sont invitées à susciter le désir masculin, tandis que les femmes jouent à être des petites filles qui n’opposent pas de résistance, ne sont pas des adultes à part entière, des partenaires de même rang.

Que les meilleurs gagnent

Alors que les garçons sont au cœur de la presse pour filles, les filles sont presque totalement absentes de la presse pour garçons, moins pléthorique d’ailleurs. Les pages « people » y présentent des héros mâles et musclés, musiciens, acteurs ou sportifs.

Cette presse transforme les jeunes lecteurs en soldats, via les jeux vidéos qui sont abondamment décrits et commentés dans les colonnes… Quel que soit l’univers du jeu, il s’agit souvent de tuer des soldats d’hier, d’aujourd’hui ou de demain, des robots, des policiers, des voleurs, des monstres… Ou de conduire le plus rapidement possible des voitures, des avions, des motos, des bateaux, des hydravions, des drones… Le but, c’est d’être le plus fort, le plus rapide.

Dans certains jeux présentés, apparaissent quelques filles ou femmes virtuelles dans des rôles très stéréotypés : princesses à délivrer, bombes sexuelles à séduire, voire prostituées à mettre sur le trottoir… Certains de ces jeux, comme Grand Theft Auto (Grand vol d’auto), incitent en effet les joueurs à dominer une ville (Vice City, par exemple) en jouant au casino, en vendant des armes, de la cocaïne, en devenant proxénètes.

Dans cette presse pour garçons, l’avenir, la scolarité, les métiers n’apparaissent pas. En revanche, sont montrés et valorisés des objets « tendance », gadgets ou matériels numériques, accessoires à la mode. Il ne s’agit pas d’être mais d’avoir, de posséder.

Pour les filles comme pour les garçons, la presse populaire pour adolescent-e-s ne pose pas de questions de société, n’invite pas les jeunes à réfléchir à leur avenir, mais renforce au contraire des stéréotypes en proposant des images d’un autre âge, où les filles sont des courtisanes qui séduisent et les garçons des guerriers qui possèdent.

Sylvie Debras – ÉGALITÉ

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