Société Lutte contre les violences envers les femmes : l’Europe avance de deux pas

Le Conseil de l'Europe © Conseil de l'Europe

Le Conseil de l’Europe n’est pas une institution de l’Union européenne mais une organisation intergouvernementale créée en 1949, qui œuvre pour la construction européenne. En plus des 27 Etats membres de l’Union européenne, elle accueille 20 autres pays dont la Turquie, l’Islande, la Suisse, l’Albanie, la Moldavie et la Serbie.

Annoncée le 7 avril dernier et ouverte à la signature à partir du 11 mai, la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l’égard des femmes et les violences domestiques est tout simplement le premier instrument au monde juridiquement contraignant, créant un cadre juridique complet pour protéger les femmes contre toutes les formes de violence et prévenir, poursuivre et éliminer les violences à l’égard des femmes et les violences domestiques.

La Convention se montre particulièrement ambitieuse sur plusieurs points. Tout d’abord, elle rappelle des fondamentaux pour certains pays, qui sont encore loin d’être acquis pour d’autres, comme l’obligation d’inscription dans les constitutions nationales du principe de l’égalité entre les femmes et les hommes et l’interdiction de la discrimination envers les femmes.

Une définition plus précise des violences

Elle définit également les violences à l’égard des femmes comme « une violation des droits de l’homme et une forme de discrimination à l’égard des femmes, et désigne tous les actes de violence fondés sur le genre qui entraînent, ou sont susceptibles d’entraîner pour les femmes, des dommages ou souffrances de nature physique, sexuelle, psychologique ou économique, y compris la menace de se livrer à de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou privée ». Nouveauté par rapport à la définition de l’ONU habituellement reprise par tous les textes internationaux : la définition est étendue à la notion de dommages économiques, particulièrement importante en ces temps de crise financière.

Elle insiste également sur un point qui fait cruellement défaut actuellement en Europe : les données sur les violences. Sans données fiables et harmonisées ente les différents Etats membres, aucune action concrète ne peut voir le jour.

L’innovation de cette convention se trouve dans sa volonté d’exhaustivité : de la prévention à la coopération internationale, en passant par la protection et le soutien, le droit matériel applicable, le droit procédural, la migration et l’asile.

La difficulté d’harmoniser les lois nationales

Ce que le Convention impose aux futurs Etats membres signataires est loin d’être d’être facile à mettre en place : les nouveaux principes imposent une modification du droit interne des Etats. Par exemple, elle pénalise enfin tous les types de viol – défini comme « la pénétration vaginale, anale, orale non consentie, à caractère sexuel, du corps d’autrui avec toute partie du corps ou avec un objet » –, ce qui est actuellement loin d’être le cas dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.

En Slovaquie, seule la pénétration vaginale non-consentie est reconnue en tant que viol. Le viol d’un mari sur sa femme est absent de la législation lettone. En Slovénie, il n’y a viol que s’il y a eu violences physiques ou verbales, ce qui veut dire que les victimes handicapées ou droguées ne sont pas reconnues en tant que telles. A Malte, il n’y a viol que si le violeur et la victime ne sont pas du même sexe.

La Convention impose également la pénalisation du mariage forcé, des mutilations génitales féminines et du harcèlement sexuel. En plus de la pénalisation, la Convention impose que les sanctions soient effectives, proportionnées et dissuasives.

Enfin, les Etats parties doivent reconnaître à terme les demandes d’asile fondées sur le genre, notamment pour que les violences envers les femmes puissent être reconnues comme une forme de persécution.

La Commission traîne, le Parlement agit

Un petit bémol cependant : cette Convention est soumise à la ratification volontaire des Etats membres. Elle ne pourra réellement s’appliquer que lorsqu’une masse critique sera atteinte. Les Etats seront-ils enfin ambitieux au regard de la lutte contre ce fléau qui concernerait 62 millions d’Européennes ?

La résolution du Parlement européen, adoptée le 5 avril dernier, n’est pas moins ambitieuse, mais le contexte est différent. Dans ce cas, le Parlement doit attendre que la Commission présente enfin sa « Stratégie visant à combattre la violence envers les femmes, la violence domestique et les mutilations génitales féminines », prévue initialement en janvier 2011, puis pour mai, et que personne ne voit encore arriver. Depuis la signature du Traité de Lisbonne, l’Union européenne a enfin le pouvoir de légiférer en la matière, mais n’a pas encore saisi cette occasion.

L’impatience du Parlement se traduit par une résolution sur les priorités et la définition d’un nouveau cadre politique de l’Union en matière de lutte contre les violences à l’égard des femmes, qui rejoint, sans être aussi exhaustive, les points principaux de la Convention du Conseil de l’Europe : formation des professionnels susceptibles d’être confrontés à des cas de violences, collecte de données, pénalisation de tous les types de viol…

Aborder le coût des violences pour faire signer les Etats membres ?

La résolution jette également un pavé dans la mare en prenant l’angle du coût économique des violences envers les femmes. La logique est simple et pragmatique : vous ne voulez pas vous attaquer à ce problème pour des raisons humaines et éthiques ? Bien, alors appuyons sur le nerf de la guerre, l’argent.

Selon l’étude d’un projet financé par Daphne (*) en 2007, les violences contre les femmes coûteraient 16 milliards d’euros par an à l’Union européenne. Le Conseil de l’Europe estimait quant à lui en 2006 qu’elle coûtait annuellement près de 33 milliards d’euros par an à l’ensemble de ses membres. L’idée de lier la violence à un coût financier est choquante, parce qu’inhabituelle et tabou. Mais pour mobiliser les Etats récalcitrants qui considèrent les violences, au mieux comme une affaire privée, au pire comme une tradition culturelle, cet argument pourrait jouer.

L’utilité de ces deux démarches réside dans leur complémentarité : la Convention du Conseil de l’Europe appelle les Etats à prendre des mesures, à harmoniser les lois par la voie intergouvernementale. En complément, le Parlement attend de la Commission qu’elle prenne des mesures législatives harmonisant par le haut. Afin qu’à terme, la lutte contre les violences envers les femmes soit enfin efficace au niveau européen.

Marie Ramot – collaboratrice UE EGALITE

(*) Daphne est un programme de la Commission européenne qui finance des associations œuvrant pour la lutte contre les violences envers les femmes.

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