Mixité professionnelle : une utopie ? Allez les filles, toutes dans le bâtiment !

Maryvonne, chef d'entreprise de maçonnerie photographiée par François Vachet © François Vachet

Le BTP courtise les femmes, et pas pour leurs beaux yeux. D’après la Fédération française du bâtiment (FFB), dans les années à venir le secteur devra recruter entre 80 000 et 100 000 personnes pour faire face au renouvellement des effectifs et à l’accroissement des marchés relatifs au développement durable… Dans les 15 prochaines années, 40 % des entreprises du secteur devront être reprises.
Alors pas question de se priver de 50 % des compétences de la société française.

En 2009, 11 % de femmes travaillent dans le bâtiment (9 % en 2004). De 2004 à 2009, les effectifs de femmes occupant des postes de techniciennes et administratifs sont passées de 40 à 47 %, les cadres de 7,5 à 15 % et seulement de 1,4 à 1,6 % pour les ouvrières. Des progrès en 5 ans, mais les préjugés ont la vie longue. Beaucoup d’a priori chez les hommes, et des femmes qui pensent que les métiers du BTP ne sont pas faits pour elles…

Pour pallier le manque de main-d’œuvre et redorer l’image de marque du bâtiment en matière de mixité, la Fédération française du bâtiment (FFB) entreprend depuis plus de 10 ans des actions en vue d’ouvrir les métiers du secteur au sexe féminin. Communication, médiatisation d’expériences d’entreprises qui ont recruté des femmes, partenariats avec les délégations des droits des femmes, concours pour primer les entreprises qui ont choisi la mixité, création de vêtements spécifiques…

Michel Droin est gérant d’une entreprise de carrelage et revêtement de sol d’une quarantaine de personnes à Châtellerault (86), au sein de la FFB il est président de l’Union des carreleurs et s’occupe de l’intégration des femmes dans le bâtiment. Pour lui, « dans les écoles d’ingénieurs et les écoles d’encadrement et de conduite de travaux les effectifs de femmes atteignent 40 %. On est encore sur des taux extrêmement faibles dans les CFA, les brevets professionnels… La difficulté réside dans le maintien des préjugés, en particulier sur la pénibilité du travail. »

Les femmes du BTP aussi se mobilisent

Pour Leila Ouadah, travailler dans le bâtiment n’est pas plus difficile que dans d’autres secteurs comme la restauration, l’aide à la personne, l’usine, le ménage… Elle est « née dans une bétonnière » et pas question pour elle de faire autre chose qu’un métier manuel dans ce secteur qu’elle connaît par cœur pour avoir été très proche de son père maçon.
Elle est peintre, présidente de l’association Dames et gérante de la SARL du même nom (1). Une structure qui attend les agréments pour devenir entreprise d’insertion. « Nous nous adressons à un public de femmes éloignées de l’emploi, sans qualifications. Nous voulons promouvoir l’entrée des femmes dans le bâtiment, leur faire connaître le travail manuel. Les évolutions professionnelles et de pouvoir d’achat existent dans le secteur. Le BTP est un bassin gigantesque d’emplois, une personne qui choisit un métier du bâtiment ne souffrira jamais du chômage. »

Marie-France Souloumiac est peintre décoratrice, après une reconversion dictée par la rénovation de sa maison. Elle a créé avec d’autres femmes artisans l’association Les femmes du bâtiment font parler d’elles, active dans le sud de la France. Même si les hommes sont surpris de la voir arriver sur un chantier, les choses se passent très bien : « Ce n’est pas un environnement aussi macho qu’on le pense. J’ai aujourd’hui de meilleures relations professionnelles avec les hommes que dans mon précédent métier de commerciale en informatique. Dans les métiers manuels, on voit tout de suite si quelqu’un travaille bien ou non. Lorsque les compétences sont là, le respect s’installe rapidement. »

Réseau d’entre-aide, l’association est née de la création d’un calendrier pour faire parler d’elles. Elle n’en cherche pas moins à promouvoir la féminisation des métiers du bâtiment par le biais de l’exposition des 12 photos du calendrier au format affiche de cinéma (2). « Les métiers du bâtiment sont boudés. Avant, on orientait dans ces métiers les jeunes garçons en échec scolaire. Les femmes représentent une vraie alternative. En plus elles sont vraiment passionnées par ce qu’elles font. »


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Des bénéfices pour les entreprises

Pour qui aurait encore besoin d’être convaincu, embaucher des femmes représente d’énormes atouts pour les entreprises surtout dans celles du BTP.

Pour Michel Droin, « les postes de travail sont beaucoup plus mécanisés qu’il y a 20 ou 30 ans, et le recrutement de femmes pousse à mécaniser encore plus les tâches. C’est une occasion de faire bénéficier à tous des progrès en ergonomie. Aujourd’hui, 90 % des postes sont accessibles aux femmes et les hommes aussi bien sûr profitent de ces aménagements. »

Il explique aussi que le comportement des hommes s’améliore nettement sur les chantiers en présence de femmes. « Les hommes sont plus policés, le ton change, et la présence de femmes crée aussi des solidarités qui avaient un peu disparu des chantiers. Dans un équipe comportant une ou deux femmes, les hommes ont tendance à les protéger de certaines rudesses du travail et les aident pour certaines tâches ingrates. C’est extrêmement positif pour tout le monde. »

Leila Ouadah, elle, pense aussi en termes de compétitivité : « Il y a un vrai challenge qui se met en place. Un homme ne veut pas être désavoué par la présence d’une femme, il va chercher à s’améliorer. »

Les faux prétextes

« Il faut faire preuve de pédagogie, de conviction et parfois de fermeté pour faire accepter les femmes sur les chantiers. Les choses ne bougent que grâce à la motivation de certaines personnes » Pour Michel Droin, les coûts sont les principaux arguments utilisés par les entrepreneurs. Or les vestiaires et les toilettes séparés, principaux investissements nécessaires à l’embauche d’une femme ne représentent pas une charge très élevée sur la totalité des coûts d’un chantier et peuvent être subventionnés, en fonction de la taille de l’entreprise, par des aides de l’Etat. « Ce sont souvent de faux prétextes qui sont évoqués. On ne veut pas changer les habitudes »

Aline Mériau est présidente des groupes femmes de la FFB (3) elle est co-gérante d’une entreprise d’électricité de 27 personnes. Elle aussi estime que les préjugés ont la peau dure : « Le premier frein est le chef d’entreprise qui pense qu’une femme va semer la zizanie parmi les hommes ». Et les femmes, ça tombe enceinte : « Les congés maternité sont prévus, on peut s’organiser. Contrairement aux absences du lundi parce que deux ouvriers se sont blessés en jouant au foot le dimanche ! »

Pour Leila Ouadah, de Dames « il va falloir attendre encore des années. Malgré les initiatives en faveur de l’insertion des femmes, il ne se passe pas grand chose sur le terrain. C’est un secteur assez viril qu’il faut s’acharner à faire évoluer. Malgré mes 20 ans d’expérience professionnelle, on me teste encore… »

Et si la solution venait des femmes elles-mêmes. D’après Aline Mériau, « il y a 25 % de femmes qui se forment pour créer ou reprendre une entreprise du bâtiment à l’ESJDB, école créée par la FFB en 1994 ». S’il y a plus de femmes à la tête des entreprises est-ce que les clichés mourront de leur belle mort ? Embaucheront-elles plus de femmes ? Quoiqu’il en soit, « satisfaire les besoins de main-d’œuvre du BTP ne pourra se faire sans les femmes ».

En attendant, et c’est Leila Ouadah qui le dit, « les entreprises qui refusent de recruter des femmes se tirent chaque jour une balle dans le pied ».

Catherine Capdeville – EGALITE

(1) L’association Dames (Dynamiques, Actives, Mobilisation, Economique, Sociale) informe sur les métiers du bâtiment et forme des femmes en insertion professionnelle. L’entreprise Dames va servir de structure tremplin pour acquérir une expérience professionnelle à faire valoir dans les entreprises. Site internet « en chantier ». Contact par mail.

(2) Prochaines expositions de l’association Les femmes dans le bâtiment font parler d’elles :

Du 2 au 11 mai
gare de Coustellet (84), journée animation-ateliers jeunesse le mercredi 11 mai.
Le 8 mai
Salon de la femme, à Maubec (84)
Du 9 au 17 Juin
CFA BTP Florentin Mouret, à Avignon (84)
Du 23 Juin au 7 Juillet
Centre Courrier à Annecy (74) en partenariat avec la Maison de l’architecture de Haute-Savoie

(3) Les groupes femmes de la FFB ont été créés il y a 30 ans pour mutualiser les compétences. Les femmes chefs d’entreprises, les conjointes d’entrepreneurs et les salariées proches de la direction échangent des bonnes pratiques, travaillent en réseau… Pour faire connaître les métiers du BTP, les groupes femmes participent activement à l’information des collégiens, des jeunes des missions locales, des inscrits à Pôle emploi, des CFA…

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