Monde Une soirée au LGBT Center de Pékin

Affiche du film « Cures That Kill » (Ces traitements qui tuent

Vendredi soir. Vous vous rendez au LBGT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) Center de Pékin, dans l’est de la ville. A la sortie du métro, bien sûr, personne ne connait le lieu. L’adresse vous renvoie vers une barre d’immeuble : au milieu des appartements, au vingt-et-unième étage, l’un d’eux affiche modestement sur sa porte un autocollant multicolore qui vous fait penser que oui, c’est bien là.

Dans cet appartement aménagé en bureau, une trentaine de personnes – des Chinois pour la plupart – attendent la projection du film annoncé pour ce soir. Car l’association Queer Comrades (les homosexuel-le-s, bisexuel-le-s et transexuel-le-s s’appellent « camarades » depuis la fin des années 1980 afin de promouvoir une image de solidarité) joue aussi le rôle de petite maison de production et finance la réalisation de documentaires présentés régulièrement dans leurs locaux. En attendant le début du film, on feuillette les prospectus proposés sur place – Journée de lutte contre l’homophobie et la transphobie, l’association lesbienne Tongyulala… – et Gay Spot, un magazine gay en chinois.

Aujourd’hui, on projette Cures that Kill, réalisé par Wei Xiaogang, fondateur de l’association. Ces « traitements qui tuent » n’ont rien à voir avec le Mediator et compagnie : ils désignent ces nouveaux programmes de « guérison de l’homosexualité » que développent en Chine un nombre croissant de centres médicaux.

Dix ans après l’éradication de l’homosexualité de la liste des maladies mentales en Chine, il s’agit ici pour nos camarades de revenir sur un bilan mitigé en dressant le portrait de deux victimes de ces conversions forcées.

A l’origine, le film devait se concentrer sur le portrait d’un homme : Américain d’origine chinoise et fervent chrétien, celui-ci raconte la découverte de désirs nouveaux, incompatibles avec la morale véhiculée par son église (« homosexuality is a sin », « l’homosexualité est un péché »). De stages de guérison en thérapies collectives, en passant par les confessions, il décrit le panel de techniques enseignées pour apprendre à réprimer ses désirs : détourner le regard lorsque l’on aperçoit un bel homme, jeûner plusieurs jours si la pensée d’un autre homme vous assaille, prier sans cesse…

Le récit touchant de cet homme poussé au bord du suicide a donc amené le réalisateur à examiner les services similaires que la Chine pouvait proposer et dresse le portrait d’Ah Wen, Chinois d’une trentaine d’années : ses désirs naissants, effrayants au premier abord, l’absence totale de dialogue avec ses parents, ces pensées qu’il sait réprouvées par la morale collective, puis l’alcoolisme, l’inquiétude des parents face à sa violence naissante, son envoi en hôpital psychiatrique et son lot de médicaments qui vous bousillent la cervelle.

Des services téléphoniques pour changer d’orientation sexuelle « à 100 % »

Dans le documentaire, psychologues et médecins témoignent de l’affluence d’homosexuel-le-s demandant à « être changé-e-s ». Des services de « guérison » sont ainsi proposés par des hôpitaux et médecins escrocs, tout à fait au courant de la demande existante (comment, sinon, fonder une famille et répondre ainsi aux attentes de ses parents ?). Certains internes d’hôpitaux peuvent ainsi proposer ce genre de service pour arrondir leur fin de mois, à environ 500 yuan (50 euros) de l’heure, et pouvant aller jusqu’à plus de 1 000 yuans par heure pour les médecins les plus réputés.

Des services téléphoniques se présentent comme purement « psychologiques » et affirment que l’orientation sexuelle est « 100% changeable », des techniques de détection de l’homosexualité sont encore pratiquées dans certains hôpitaux psychiatriques : mesure de l’afflux de sang dans le pénis lorsque l’on projette du porno gay, puis assimilation de médicaments répulsifs – on se croirait dans Orange mécanique.
Si les gens venaient d’eux-mêmes dans ces centres de guérisons il y a quelques années, c’est aujourd’hui la famille, le mari ou la femme qui poussent à y aller.

L’Américain témoignant dans le documentaire est présent au débat qui suit la projections. Un jeune Chinois d’une vingtaine d’années lève la main. C’est la première fois qu’il se rend au Centre, et, bien que non croyant, raconte une situation similaire à celle qu’a vécue l’Américain : l’intériorisation permanente de ses désirs et la douleur qui en découle.

Wei Xiaogang raconte la venue en 2007 d’un organisme chrétien, invité à Pékin pour une conférence sur la guérison de l’homosexualité : toute la communauté gay était prête à y bondir pour protester, mais la conférence a été annulée à la dernière minute. Une femme, elle aussi nouvelle venue, intervient pour signaler que seuls les Chinois-e-s qui se sont rendu-e-s à l’étranger peuvent comprendre ce combat, que les autres ne peuvent concevoir.
On soupire, on débat sur la manière de faire perdre à l’homosexualité sa réputation d’« importation étrangère », on conclut sur la nécessité de projeter ces films dans des organismes sans rapports directs avec le monde des camarades. Un dernier intervient : il ne croit pas au rôle des politiques venant du « haut ». Ce sont eux, ceux du bas, les pièces motrices de l’évolution des mentalités collectives.

Justine Rochot – collaboratrice Chine EGALITE

print