Monde Pologne : La vie pour les foetus – la mort pour les femmes

Depuis le 1er juillet, la Pologne assure la présidence de l’Union européenne. Si, dans les médias, le premier ministre polonais Donald Tusk affiche un programme européen ambitieux, sur place, les évêques et politiciens de droite envoient un tout autre message aux femmes d’Europe : leur vie compte moins qu’une vie potentielle, c’est à dire celle d’un foetus, d’un blastocyste (1).

Le 28 juin dernier, le projet de loi sur la protection de la vie dès sa conception, déposé par le comité d’organisation pro-life a été renvoyé pour travaux en commission parlementaire. L’évêque Kazimierz Górny qui préside le Conseil épiscopal pour les affaires familiales a interpellé les députés : « Nous nous adressons une nouvelle fois aux députés et sénateurs de notre Diète (2) avec une demande et un appel afin d’assurer à tout enfant à naître – qu’il soit en bonne santé ou malade – le droit à la vie sans aucune exception et qui ne soit pas menacée par une loi autorisant leur meurtre. »

Le parti social-démocrate l’Alliance de la gauche démocratique a rejeté le projet de loi, mais le parti conservateur Droit et justice et la moitié des députés de la majorité parlementaire Plateforme civique, ont voté pour la poursuite des travaux sur ce projet.

La loi polonaise, une loi restrictive

La loi de la protection de la vie conçue, en vigueur en Pologne depuis 1993, est l’une des plus restrictives d’Europe. Elle n’admet que 3 cas d’avortement légal: grossesse résultant d’un acte criminel, danger pour la vie ou la santé de la mère, malformations graves du fœtus. L’avortement pharmacologique est interdit. Aujourd’hui, les femmes le remplacent par la prise des médicaments ayant comme effet secondaire des contractions de l’utérus. Les examens prénataux permettant de détecter les malformations sont difficiles d’accès. En 2009, sur 538 avortements légaux, 510 ont été pratiqués après des examens prénataux. Mais le nombre d’avortements, dans les cas de malformations du foetus, augmente ce qui traduit un changement de mentalité.

La loi encourage donc les avortements clandestins estimés par la Fédération des femmes et du planning familial à 200 000 par an. Elle a déjà de graves conséquences sur la santé et la vie des femmes en Pologne, surtout pour les femmes aux revenus modestes qui ne peuvent pas se payer un avortement dans un cabinet privé ou en subir un à l’étranger. Le projet actuel mettrait les médecins devant un choix d’un autre siècle : sauver la vie de la femme ou de l’enfant. Le nombre de victimes augmenterait considérablement.

À noter que le problème est d’autant plus grave que la Pologne est un pays où la prévention des grossesses non désirées est quasi-inexistante : l’éducation sexuelle à l’école, déjà peu développée, est menacée par la projet de loi, les contraceptifs sont vendus sur ordonnance médicale mais non remboursés et de nombreux médecins refusent de les prescrire invoquant la clause de conscience.

Pourtant, on estime que si le referendum sur l’avortement était organisé aujourd’hui, 65% des Polonais-e-s seraient en faveur de la libéralisation de la loi anti-avortement en vigueur.

Un happening de protestation

La résistance à l’interdiction totale de l’avortement s’organise dans le pays. L’organisation féministe l’Alliance du 8 mars a appelé à un rassemblement le 12 juillet devant la Diète polonaise pour un happening intitulé « La vie pour les foetus, la mort pour les femmes ».

Durant cette manifestation, les féministes se sont moqué-e-s du projet en lançant des slogans aberrants : « Dulce et decorum est pro embryo mori » (3), « Femmes, mettez au monde plus d’orphelins », « Sois homme – sacrifie la vie de ta femme », « Nos ventres dans les mains des évêques », etc.

En traitant par l’absurde l’idée du projet, les manifestant-e-s ont émis des revendications déraisonnables: arrêter a titre préventif toutes les candidates potentielles à l’avortement (victimes de viol , d’inceste, mineures, femmes dont la grossesse met la santé ou la vie en danger, etc.), instaurer des ghettos pour les femmes enceintes, ou encore accorder la citoyenneté aux blastocystes.

Plusieurs autres initiatives citoyennes sont en cours. L’Alliance de la gauche démocratique a déposé son projet de libéralisation de la loi actuelle. Les organisations pro-choix multiplient les actions de protestation et les pétitions aux député-e-s pour empêcher l’adoption de ce projet de loi inhumain.

Une polonaise, Antonina Pelc, s’est adressée ainsi au parlement: « Je suis infirme. Depuis plus de vingt ans je souffre le martyr. La médecine contemporaine ne peut pas m’aider. Pendant les crises, je hurle de douleur. […] J’aurais aimé ne jamais naître. Mais je suis née. Je suis incapable de me suicider. […] Ceux qui sont en bonne sante n’ont pas le droit de décider du sort des infirmes  » à naitre « ! »

Nina Sankari, collaboratrice Pologne – EGALITE

(1) Le blastocyste est un stade du développement embryonnaire d’environ 4 jours après la fécondation.

(2) La Diète est le nom du parlement polonais.

(3) Cette citation parodie un vers des Odes du poète latin Horace (Ier siècle avec J-C) « Dulce et decorum est pro patria mori » : « Il est doux et glorieux de mourir pour sa patrie ». Ici, la citation signifie : « Il est doux et glorieux de mourir pour son embryon ».

print