Chroniques Le blog de Patric Jean : Oslo Montréal : bagatelle pour deux massacres

Quelques jours après le massacre d’Oslo, il est étonnant de ne pas lire partout la comparaison entre Anders Behring Breivik et Marc Lépine.

On sait ce qu’a fait le premier et on connaît mal en Europe le massacre perpétré, il y a vingt ans, par le second. Lépine, le 6 décembre 1989, est entré à l’Ecole polytechnique de Montréal où il a assassiné quatorze filles, épargnant volontairement les garçons. Il s’est ensuite suicidé en laissant une lettre justifiant politiquement son acte : la haine des femmes qui prennent la place des hommes.

Les deux cas sont assez comparables : un homme jeune, narcissique, en manque de reconnaissance, va trouver dans un groupe social la cause du mal qui ronge sa vie. Les femmes pour l’un, les Musulmans pour l’autre qui dans les deux cas commencent, à leurs yeux, à prendre trop de place dans sa société. A prendre donc un peu de sa place à lui. Les deux hommes sont donc des victimes, des combattants, des résistants.

Les deux ont une haute estime d’eux-même. Lépine se définit dans sa lettre comme « érudit rationnel » et Anders Behring Breivik se prend en photo dans des poses de héros de film d’action.

Et leur narcissisme les pousse à un coup d’éclat qui fera voir au monde la grandeur de leur être, quitte à être perçus comme des monstres, ce qu’ils assument tous les deux fort bien. Etre un « petit Hitler » et entrer dans les livres d’histoire de son pays, plutôt que de rester dans la grisaille d’un monde qui change et que l’on ne comprend plus.

Car le problème est là. Le monde change. Et il faut avouer que le changement rapide peut provoquer malaise, difficulté d’adaptation voire incompréhension. Pour un Québécois des années 80, admettre que le patriarcat  de ses parents était en passe de disparaître et que les rôles dans la famille et la société se redistribuaient totalement en dix ou vingt ans, c’était faire un travail sur soi considérable. Il fallait du courage et de la lucidité pour accepter d’abandonner tous les privilèges de son père et voir parfois des femmes, jusque là reléguées à la cuisine et à la très nombreuse descendance, prendre des places importantes normalement dévolues aux hommes.

On pourra d’ailleurs remarquer combien l’exemple québécois permet de regarder les révolutions arabes avec un certain optimisme.

Dans les deux cas, il s’agit donc de massacres à des fins idéologiques. Lépine affirme dans sa lettre qu’il agit « pour des raisons politiques ». Anders Behring Breivik a quant à lui écrit un manifeste politique intitulé 2083 une déclaration européenne d’indépendance et il annonce que le massacre qu’il prépare doit avoir « un impact idéologique ».

Une différence notoire apparaît entre les deux situations. Lépine, déprimé, se suicide, ses idées ont perdu, les féministes ont gagné pense t-il. Quant à Breivik, triomphant, il se rend et veut parler publiquement. Le titre de son pamphlet prolonge d’ailleurs son espoir loin dans l’avenir. Lépine sent qu’il est un homme d’hier et le regrette. Breivik sent qu’il est un homme de demain et exulte.

Or, si les deux hommes agissent pour des raisons idéologiques, ils sont loin de psychotiques délirants qui inventeraient une nouvelle religion. Ils sont entièrement plongés dans des arguments largement répandus et qui les précèdent. La haine des femmes émancipées pour l’un. La haine des Musulmans et du cosmopolitisme pour l’autre. Dans les deux cas, le rêve d’un âge d’or révolu où tout était à sa place.

On sait que Lépine n’inventait pas tout seul ses arguments. Celui des femmes qui perdraient aux jeux olympiques derrière des hommes était déjà éculé. On le retrouve aujourd’hui à toutes les pages de la littérature masculiniste. Quant aux idées de Breivik, il faut admettre qu’elles sont en pleine progression partout en Europe et qu’il n’a eu qu’à se baisser pour les ramasser.

Et si l’on a vu des hommes, l’armée canadienne même, rendre hommage à Lépine, il y a fort à craindre que l’on verra bientôt de nombreux groupes fêter le nom de Breivik, voire le prendre en exemple pour perpétrer d’autres attentats…

Il serait évidemment tentant de penser que l’idéologie qui mène à tuer en masse ne peut venir que de groupuscules néo-nazis identifiables. Cela serait une paresse politique. Car que penser, par exemple, des prises de positions et lapsus racistes de tout une partie de la classe politique française qui ne se considère pas d’extrême-droite ? Un ministre de l’intérieur condamné pour insulte raciste ? Des membres du parti présidentiel réunis en « droite populaire » où l’on trouve des « croisés anti-gays », « descendants des Gaulois » (une hérésie d’un point de vue historique), organisant des banquets « saucisson vin rouge » et dont le socle politique unique est « la nation » (blanche et chrétienne cela va sans dire) ?

Il n’est pas nécessaire aujourd’hui d’aller chercher dans les extrêmes pour trouver les incitations aux violences sexistes et racistes. Et ce sont généralement les mêmes qui défendent les privilèges économiques d’une minorité d’électeurs.

Observer notre époque, c’est voir en Europe les nations se dissoudre. Le monde change. Certains vont devoir l’admettre. Il y a fort à craindre qu’ils ne s’y résoudront que dans la violence.

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