Tribunes Affaire DSK : à quand le réveil de la gauche et du mouvement féministe ?

Abandon des charges pour DSK : annoncée depuis des mois par la presse c’est une décision peu surprenante. Mais pour autant, DSK est loin d’être blanchi par cette décision de justice. Le procureur Cyrus Vance n’a pas eu l’envergure d’aller jusqu’au procès, qu’il risquait de perdre. Carrière politique oblige, il lui faut au plus vite enterrer cette affaire ! Nous sommes en présence d’un déni de justice. La vérité n’a été dite ni pour le présumé innocent ni pour la présumée victime.

Le mercredi 23 août, dans les médias, le soulagement et l’assurance des responsables du PS étaient à la mesure de la panique qui les avait envahis au lendemain de l’acte sexuel « déplacé » de DSK au Sofitel.

Depuis trois mois, pas un seul responsable du PS n’a osé critiquer DSK. Seule, Yvette Roudy a eu le courage de dénoncer dans Le Monde du 29 juin ce « scandale DSK » et de l’analyser pour ce qu’il est : pas seulement une affaire de mœurs, c’est aussi une affaire politique.

Allons-nous revenir au temps où le viol n’était pas un crime ? Les femmes violées vont-elles être à nouveau considérées à priori comme coupables ?Allons-nous assister à un « backclash » si la parole des femmes violées devenait plus suspecte encore qu’avant l’affaire ?

DSK va rentrer en France et se « reconstruire »… Le pire est à craindre pour nous, les féministes, si nous n’allons pas jusqu’au bout de l’analyse. Il nous faut montrer qu’un tel déni de justice n’a été possible que parce que DSK est l’un des représentants les plus marquants de ce haut personnel politique qui fait partie de l’oligarchie, qu’elle soit de droite ou de gauche. Dans cette affaire, il s’agit d’abord de rapports au pouvoir, ce qui met un peu en arrière-plan l’analyse des rapports de domination sous-jacents. C’est le propre des dominants de posséder les réseaux et l’argent, qui leur permettent de se considérer comme au dessus des lois, de retomber sur leurs pieds dans bien des circonstances, et d’être déclarés innocents.

Nous, féministes, avons eu un rôle essentiel dans ce débat en montrant la prégnance des stéréotypes sexistes dans l’espace public. Mais dans le pays de DSK, la mobilisation a été faible, très faible. Cette paralysie est vraiment surprenante ! Seules les femmes de chambre des grands hôtels de New York ont vraiment osé : elles ont fait retentir leur voix et le monde entier a pu les entendre et les voir dans la rue.

Depuis le début, Nafissatou Diallo affirme avoir subi une agression sexuelle. Ses récits du déroulement de l’agression ont varié au cours du temps : un phénomène bien connu des médecins, mais très souvent ignoré par la majorité des femmes qui en ont déduit que Nafissatou avait menti. Nous n’avons pas suffisamment expliqué le traumatisme psychique qu’engendre le viol et qui explique ces troubles de la mémoire.

Depuis trois mois, les récits apparus dans nos conversations en famille, au travail, montrent qu’une parole s’est libérée, mais aussi que les stéréotypes sexistes ont la peau dure ! C’était une occasion rare pour sortir dans la rue et nous faire entendre… Mais rien de tel ne s’est construit.

Aujourd’hui, après cette décision de justice, les avocats de DSK nous parlent d’un « acte sexuel précipité » et certains responsables du PS reprennent à leur compte les propos de ces avocats qui essaient de réduire les faits à une attitude « déplacée » de DSK. On voit que c’est tout un système politique dit de gauche qui se défend. Au fond, tout ceci révèle la décomposition intellectuelle morale et politique de la gauche. Dans une pensée véritablement à gauche, il y a nécessairement la critique de la domination masculine. Cette gauche institutionnelle est politiquement vide. Les féministes ne doivent pas se sentir coupables de dénoncer ce vide à la veille des élections.

Trop peu de responsables dans les partis politiques de la gauche et de la « gauche de la gauche » ont analysé en profondeur ces événements. Seule Marie-George Buffet a fait une déclaration à la hauteur des événements. Ce constat est amer et stupéfiant. Nous sommes en droit de nous demander pourquoi ? Pour battre la droite, il n’est pas nécessaire de garder le silence dans cette affaire, bien au contraire. La gauche ne peut véritablement gagner que si elle reconstruit un axe politique où les inégalités de classe, de genre et de race sont à nouveau associées.

D’une part, l’inexistence du discours de la gauche et l’atomisation des groupes féministes, notre incapacité à nous unir pour nous mobiliser sur ce sujet, d’autre part, pourraient avoir raison de notre détermination. Pourtant l’enjeu est énorme. Pour nous, toutes les femmes, la vigilance s’impose afin que le viol soit toujours poursuivi comme un crime.

Jacqueline Penit-Soria et Claudine Blasco, membres de la commission genre et mondialisation d’Attac

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