Génération lolitas : le reflet d'une hypersexualisation ? Les tenues vestimentaires des ados sont-elles trop érotisées ?

Ado de dos © Charlotte McKnight

Strings et soutiens-gorge push-up taille 10 ans, pantalons taille ultra-basse… On peut se demander ce que porteront les adolescent-e-s dans les cours d’école à la rentrée scolaire. Le style vestimentaire de ces adultes avant l’heure est souvent un objet de polémique. Il en dit pourtant long sur la société et notre conception du corps.

Si la polémique a débuté avec des images de petites filles photographiées dans des vêtements d’adultes et dans des poses suggestives dans le magazine Vogue de décembre dernier, ce sont les tenues des adolescent-e-s qui attirent l’attention au quotidien.

Cette tendance s’appelle l’« hypersexualisation ». « C’est un phénomène de société selon lequel de jeunes adolescents adoptent des attitudes et des comportements sexuels jugés trop précoces », selon un rapport du Centre de recherche et d’information des organisations de consommateurs (Crioc), publié en juin dernier en Belgique. Et il se traduit surtout par des « tenues vestimentaires qui mettent en évidence certaines parties du corps (décolleté, pantalon taille basse laissant apparaître le caleçon/ la culotte/le string, pull moulant, etc.) et par les attitudes et postures à caractère sexuel, qui envoient un signal de disponibilité sexuelle ».

Philippe Liotard, sociologue à la faculté de Lyon 1 et chargé de mission pour l’égalité femmes/hommes au sein de l’université, analyse le phénomène : « Il faut d’abord savoir de quoi on parle. Le terme d’« hyper » me gêne. En tant que chercheur, je ne peux pas partir du principe qu’une réalité sociale est « trop ». Les jugements qui sont portés sur cette réalité sont aussi à analyser. Ensuite, il ne faut pas confondre hyperérotisation et sexualisation précoce. Le premier relève de la tenue vestimentaire et donne lieu à des prises de position morales spontanées puisque l’on projette sur les jeunes une vision du corps adulte. La sexualisation précoce pose d’autres problèmes : des chercheurs québécois ont montré par exemple que de très jeunes filles se livrent à des pratiques sexuelles dont elles n’ont pas envie et pour lesquelles elles n’osent pas dire non. »

Le vêtement n’a que la valeur qu’on lui attribue

Les forums internet regorgent de questions sur l’âge adéquat pour porter des strings, se maquiller, etc. Systématiquement, ces discussions tournent au débat voire au scandale et concernent uniquement les tenues des filles. Les garçons seraient-ils « épargnés » ? Philippe Liotard explique que non : « On voit souvent les garçons montrer leur caleçon. Il s’agit également d’hyperérotisation mais ils n’en ont pas conscience. Dans le Marais (1), ils seraient regardés exactement comme un homme hétérosexuel regarde une jeune fille. Par ailleurs, les garçons n’imaginent pas que les filles peuvent poser un regard similaire à celui qu’ils leur portent, chargé de jugements de valeurs. »

S’agit-il d’une forme de complaisance sociale ? En tapant « caleçon qui dépasse » sur Google, les jugements sont moins sévères. Les internautes se demandent si cette tenue est « sexy », ou « allumeuse », alors que concernant les filles, le jugement est sans appel, le string dépassant du pantalon est « honteux » et « scandaleux ». « Il y a une grande différence de signification de la valeur d’une tenue selon qu’elle est portée par une fille ou par un garçon, ce qui est vécu comme une injustice par les filles quand on les interroge, et qui traduit une inégalité dans la liberté de paraître », commente Philippe Liotard.

Le problème de la « correction » des tenues n’est pas nouveau. Dans l’histoire du XXe siècle, différents vêtements ont provoqué l’indignation générale avant d’être banalisés : les robes qui découvrent les chevilles dans les années 20, la mini-jupe dans les années 60 ou le micro-short aujourd’hui par exemple.

« Avant d’affoler, il faut remettre les choses dans une perspective historique, voir comment les choses se sont passées à d’autres époques, explique Philippe Liotard. Dévoiler le corps est une forme de liberté, mais les injonctions sociales sont fortes concernant l’apparence des jeunes filles. Le contrôle de la société sur leur corps est accru. D’ailleurs, le problème se pose à partir de l’adolescence, lorsque le corps change et se charge d’érotisation. Pour une tenue identique, une jeune fille de 6e ne sera pas jugée comme une autre de 3e. Les adultes demanderont à la seconde de faire plus attention à sa tenue dans l’espace public, voire de se changer, parce qu’elle a des formes et que son corps est alors vu comme un corps de femme. »

Les jeunes filles intériorisent les jugements des adultes et doivent composer avec des modèles contradictoires.

« Le string n’est plus un accessoire érotique »

L’étude du Crioc pointe le rôle des personnalités publiques dans l’hypersexualisation des enfants et des adolescents. A l’instar du groupe Pussycat Dolls cité dans le rapport belge, des chanteuses vêtues très légèrement sont valorisées socialement. On peut citer Rihanna, Britney Spears, Fergie du groupe des Black Eyed Peas. Ces stars sont fortement médiatisées à des heures de grande écoute.

Les jeunes filles doivent à la fois intégrer ces modèles de réussite sociale et subir l’interdiction de les imiter dans la vie quotidienne. Le message est paradoxal, comparable à celui des publicités pour des produits gras et sucrés accompagnées du bandeau « mangez cinq fruits et légumes par jour ».

Une fois de plus, les garçons ne sont pas en reste, mais les modèles qu’ils imitent sont socialement acceptables : « Est-ce qu’il y a un problème lorsque l’on voit un petit garçon de 4 ans en footballeur ?, demande Philippe Liotard. On déguise pourtant ces enfants en petits hommes. Cela en dit long sur les différences de jugement du corps des hommes et des femmes. Ce n’est pas tant l’existence d’un vêtement, comme le string pour petites filles qui pose problème, mais son usage et le discours qui l’accompagne. »

« Il y a quelques décennies, le string était clairement un accessoire érotique. Désormais, il s’est démocratisé, ajoute-t-il. On peut en trouver dans les supermarchés, les fabricants qui déclinent plusieurs sortes de sous-vêtements pour une même collection proposent systématiquement le string, ils ont même créé des pièces destinées aux hommes. On peut en trouver en cadeau sous les blisters des magazines destinés aux jeunes filles, au même titre qu’un produit de maquillage. Le sens social du vêtement évolue. En se popularisant, le string perd une partie de sa charge érotique et devient un sous-vêtement ordinaire qui n’indique rien sur celle (ou celui) qui en porte. »

Au-delà des jugements de valeur, ce sont donc les modèles sociaux qu’il faut interroger. Quelles sont nos visions et nos jugements de valeur implicites du corps et de la féminité ? La réponse est complexe mais les inégalités femmes/hommes demeurent criantes.

Louise Gamichon – EGALITE

(1) Le Marais est un quartier de Paris fortement fréquenté par les homosexuels.

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