Assises 2011 de l'IEC Egalité entre les sexes : que se passe-t-il pour les enfants de 0 à 3 ans ?

Assises 2011 de l'IEC

L’Institut Emilie-du-Châtelet organise les 3, 10, 17 et 24 octobre 2011 ses Assises 2011. Cette année, elles ont pour thème «l’éducation à l’égalité entre les sexes ».
EGALITE, partenaire de cette action, publiera certaines contributions d’intervenant-e-s et des articles sur les différents thèmes abordés.

L’amphi Buffon de l’université Paris Diderot-Paris 7 était plein. De femmes, de tous âges, et d’une vingtaine d’hommes. Le 3 octobre commençaient les Assises 2011 de l’Institut Emilie-du-Châtelet (IEC), par un après-midi consacré à « L’éducation à l’égalité commence dès la naissance ».

La thématique de la première table ronde « Que se passe-t-il dans les crèches ? » a été élargie à la sphère familiale et aux enfants gardés par des assistantes maternelles. Les enfants en crèche représentent en effet seulement 20 % des enfants accueillis.

« En matière d’égalité, beaucoup de parents et de professionnel-les pensent que si petits, ça ne compte pas »

Geneviève Cresson est sociologue à l’université de Lille 1 et auteure de La Petite Enfance: entre familles et crèches, entre sexe et genre. Elle a réalisé trois enquêtes depuis 1990, associant des sociologues et des associations, sur le thème de la petite enfance, sur ce qui se passe dans les familles, dans les crèches et avec les assistantes maternelles.

Pour elle, « tout le monde pense qu’à la crèche on ne fait pas de différences ou que si petits, ça ne compte pas ». Et pourtant, dans ces sphères essentiellement féminines, la transmission par l’exemple est une histoire de femmes. « Que peut représenter un jeu de poupées pour un garçon qui ne voit que des femmes s’occuper des enfants ? »

Mais les stéréotypes ont la peau dure notamment dans l’iconographie des livres pour les enfants, et peuvent être véhiculés par des comportements d’adultes qui peuvent paraître anodin. « Si une petite fille se fait bousculer sans se plaindre par trois garçons, les adultes n’interviennent pas. En revanche, ils réagissent si trois garçons se bousculent en faisant beaucoup de bruit. »

Lors d’une activité lecture par exemple, l’adulte va interroger les enfants du premier rang alors que bien souvent ce sont les petits garçons qui s’octroient cette place. « De la même manière, on va faire des palmiers avec les cheveux des filles et on conseille de couper les cheveux des garçons. On parle beaucoup aux petites filles de plaire et de performances aux petits garçons. »

Dans l’ensemble, les stéréotypes sont plus pesants pour les garçons. On accepte mieux un « garçon manqué », qu’un garçon « féminin ». « Les stéréotypes liés au sexe féminin, on les a toujours sous les yeux, le travail est fait ! » « Il ne faut pas s’illusionner, s’il n’y a pas de changements ailleurs dans la société que dans le système éducatif, rien ne changera. »


« La charte de notre crèche prévoit d’instaurer une pédagogie active pour déconstruire les stéréotypes »

L’expérience de la crèche Bourdarias à Saint-Ouen remonte à 2008, après une rencontre avec une équipe suédoise. Depuis cette date, l’équipe de Marie-Françoise Bellamy, la directrice, commence à travailler sur le genre, en commençant par recruter des éducateurs masculins. Vu le nombre de postulants, ils ne seront finalement que deux sur quinze personnes.

Puis l’équipe décide de filmer un atelier d’éducation musicale et d’étudier les comportements des adultes et des enfants, en se posant une multitude de questions. Qui bouscule pour prendre une place ? Qui suit les consignes ? Quel enfant sollicite l’adulte ? Qui félicite l’enfant et quel enfant ? Qui imite les adultes ? Qui imite un enfant et qui est imité ? Qui utilise l’instrument à d’autres fins que la musique ?… Les résultats sont cruels : les petits garçons s’avèrent plus « moteurs » et mobilisent plus la place. « Nous avons été très surpris-e-s, presque blessé-e-s… On a tendance à penser que l’on a un comportement naturel, que l’on ne fait pas de différenciation. »

Depuis, la politique maison est d’impliquer le personnel et les parents : « Dès l’inscription, on aborde le sujet. Les parents adhèrent très vite. »

La crèche a élaboré une charte pour déconstruire les stéréotypes selon quatre axes : une équipe stable et mixte, l’implication des parents, l’organisation de débats sur le genre, et une pédagogie égalitaire. Cette dernière passe par des ateliers poupées avec un éducateur et des ateliers bricolage avec une éducatrice. La présence d’un cuisinier aussi sert la cause.

Marie-Françoise Bellamy reconnaît que, même si l’expérience en vaut la peine, elle est coûteuse. Et très lourde à mettre en place et à gérer. Mais « c’est une ouverture d’esprit vers la vie pour les équipes. On peut vite tourner en rond dans les crèches ».

« Il existe une représentation dominante : un enfant n’est jamais mieux qu’avec sa mère »

Dans sa double pratique de recherche et de formation, le plus grand étonnement de Marie-Dominique Wilpert, professeure en sciences de l’éducation et formatrice dans le secteur socio-éducatif, est le discours des professionnelles de la petite enfance : personnels de crèche et assistantes maternelles.

« Il y a un discours central : les mères devraient s’occuper plus de leurs enfants. Dans les crèches le discours est moins dominant, mais il est latent. Lorsqu’une difficulté avec un enfant n’est pas gérable par l’institution, c’est la faute de la mère ! »

Elle a pu étudier les propos des personnels de crèche, des assistantes maternelles, des experts en psychanalyse et du secteur médico-social, et du personnel d’une PMI accueillant des enfants en difficultés sociale et familiale.

Les discours prennent des formes différentes mais « la représentation dominante est qu’un enfant n’est jamais mieux qu’avec sa mère. C’est un frein à un meilleur accueil des enfants et à l’incitation à l’emploi des mères. Il y a des pratiques innovantes mais le discours reste le même ».

Pour Marie-Dominique Wilpert, il faudrait des formations plus axée sur le genre et des espaces de paroles : « Les assistantes maternelles ont un savoir de par leur pratique, mais pas d’espaces payés pour penser. »


« La question du genre dans les crèches n’est pas centrale pour les élus »


Arlette Zilberg, ancienne adjointe au maire du XXe arrondissement chargée de la petite enfance, dit qu’elle a été chargée de la petite enfance par un maire socialiste, elle, élue des Verts parce que la thématique n’était pas importante. « La délégation à la petite enfance est très dévalorisée. La question du genre en crèche n’existait pas en 2001 [après l’équipe de Jean Tiberi] et ça n’a pas changé ! La direction des familles et de la petite enfance (DFPE) est un Etat dans l’Etat. Malgré les changements politiques, il n’y a pas d’ouverture sur le genre. »

Pour Arlette Zilberg, il faut un minimum de volonté des élu-e-s pour faire bouger les choses. « Il a fallu deux ans pour convaincre la mairie de Paris de l’intérêt de créer des conseils de parents dans les crèches. »

Les établissements choisissent leur matériel pédagogique, jouets et livres, sur une liste des marchés publics. Arlette Zilberg préconise l’introduction dans cette liste d’éditeurs de livres non sexistes. En revanche, si les directrices de crèches associatives ont le choix de leur matériel, elles ne sont pas toujours sensibles à la question du genre.

Si les collectivités locales ne peuvent intervenir sur la formation initiale du personnel des crèches, elles peuvent le faire en matière de formation continue et proposer des formations sur le genre. « Mais il y a de grandes chances que ces personnes préfèrent une formation sur les enfants qui mordent. »

Et Arlette Zilberg de conclure : « En 2011, les jeux proposés aux garçons et aux filles ne sont pas les mêmes. Dans les crèches, on continue d’accueillir un petit garçon en l’appelant par son prénom et une petite fille en l’appelant mademoiselle et en la complimentant sur ses vêtements. Il existe une charte européenne sur l’égalité. Les plans d’action doivent être mis en place par les collectivités parce que les tout petits ont droit à une éducation non sexiste. »


Catherine Capdeville – EGALITE

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