Non classé La laïcité, un combat difficile qui réunit les féministes des pays arabes

Détail de la couverture du numéro de septembre de Clara Magazine

Détail de la couverture du numéro de septembre de Clara Magazine

L’Egypte et la Tunisie vivent de nouveau des tensions religieuses.. Clara magazine a publié dans son dossier de septembre, « Un vent de féminisme sur le printemps arabe », des interviews de militant-e-s de la laïcité en Tunisie, Egypte, Maroc et Algérie. Nous les reprenons aujourd’hui.

Tunisie

L’universalité des droits au-delà des spécificités culturelles

Hafidha Chekir, membre de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATDF) : « Les islamistes ont opté pour un nouveau terme “Etat civil”. Cet Etat civil se distingue de l’Etat militaire, mais pas de l’Etat religieux. Il n’est pas un Etat laïque. En adoptant la revendication d’un Etat civil, les islamistes veulent aujourd’hui semer la confusion dans les esprits.

En tant que féministes, nous ne pouvons que défendre un Etat laïque qui protégera la pluralité religieuse et le droit à la différence. Nous devons développer un discours affirmatif de défense de la démocratie, de l’égalité, des droits humains et de l’universalité de ces principes. Notre pays a bien sûr ses spécificités culturelles et religieuses, mais ces spécificités ne peuvent être la source de notre législation. Nous n’accepterons aucune spécificité culturelle qui aliène l’égalité, qui porte atteinte à la dignité. »

« Les droits universels ne sont pas exogènes »

Sana Ben Achour, membre de l’ATFD : « Jamais les droits universels n’ont été appliqués dans nos pays du temps de la colonisation. Les populations musulmanes, juives, chrétiennes ont été ethnicisées. Il existait un pluralisme juridictionnel : chacun devant ses juridictions. Les droits universels ne sont ni exogènes ni issus de la colonisation. Ils sont au contraire l’invention de peuples jeunes qui se sont libérés et se sont approprié les idéaux de l’humanisme universel. Ceux qui nous disent que nous sommes dans un mimétisme occidental ont le plus grand mépris envers nous. Nous avons la capacité d’inventer nos valeurs. »

Egypte

La prééminence des conventions internationales comme protection des conventions contre l’islamisme

Amal Abdel Hadi, membre fondatrice de la New Woman Foundation : « Le mouvement féministe égyptien a pris des décisions radicales en ce qui concerne les négociations avec les islamistes. Nous voulons un Etat laïque. Pendant les manifestations de la place Tahrir, les slogans religieux n’ont pu être lancés. Les manifestant-es s’y opposaient.

En Egypte, quatre partis politiques se réclament de l’islam dont les Frères musulmans. Deux principes fondamentaux sont en jeu dans cette confrontation : la liberté de conscience et la liberté des femmes. Ce sont nos deux préoccupations essentielles. Nous réclamons aussi la prééminence des conventions internationales sur les législations nationales. »

Algérie

Les femmes sont l’enjeu décisif des transformations démocratiques

Nourredine Saadi, professeur en droit constitutionnel : « A son indépendance, l’Algérie, qui avait été une colonie de peuplement intégrée à la France, est le produit d’une profonde acculturation. Le statut des personnes résulte de ce mode de colonisation : pour distinguer les Européens des indigènes, le droit musulman a été établi comme droit discriminatoire. On était alors Français ou Français musulman.

Le Code de la famille de 1984, qui, au nom de la charia, établit la tutelle des hommes sur les femmes (reproduction de la nationalité par le seul nom du père jusqu’en 2005, spoliation de l’héritage des femmes par les hommes, interdiction pour une musulmane d’épouser un non musulman), s’enracine dans cette législation française pratiquée en Algérie. Il aboutit à une forclusion des femmes en tant que personnes humaines. Celles-ci ne sont l’objet que de l’endogamie nationale : elles appartiennent à la patrie et au groupe.

Dans ce système, l’identité des hommes se définit par le contrôle de la sexualité des femmes aussi bien sur le plan de la généalogie (pour garantir la pureté du sang et la circulation des biens) que sur le plan symbolique, culturel. En 1984, en pleine montée de l’islamisme, le Code de la famille a été un cadeau de mariage offert par le président Chadli et les forces du FLN(*) aux islamistes. La jonction entre l’islamisme et le nationalisme s’est ainsi construite sur le statut sacrifié des femmes.

Aujourd’hui, la séparation du politique et du religieux conditionne la naissance du sujet de droit. Car, il est impossible de jouir de la liberté d’expression, du statut de la personne humaine, a fortiori de l’égalité des femmes et des hommes, sans sécularisation du droit, c’est-à-dire un droit qui émane de la souveraineté populaire et non d’édictions théocratiques. »

(*) Front de libération nationale.

Maroc

La reconnaissance de la pluralité des identités, une avancée vers la sécularisation

Rabéa Naciri, membre de l’Association démocratiques des femmes du Maroc (ADFM) : « La Constitution est un pacte social et politique qui reflète la situation d’un pays. Au Maroc, nous avons une monarchie dont le roi est le commandeur des croyants. L’islam est donc religion d’Etat.

Mais, pour la première fois dans l’histoire du Maroc indépendant, la diversité de l’identité marocaine est reconnue. L’amazir est devenu une langue officielle et nous avons réussi à faire reconnaître que nos identités soient enrichies par les apports hébraïques, africains et méditerranéens. Nous sommes enfin sortis de l’assignation à une identité unique arabo-musulmane.

Dans les négociations pour la réforme de la Constitution, l’ADFM a bien sûr demandé la sécularisation du droit. Nous voulions affirmer ce principe, mais nous ne l’avons pas obtenu. Il reste que, dans la Constitution, il est prévu que les conventions internationales sont supérieures aux lois internes et que les lois internes doivent se conformer aux conventions ratifiées par le Maroc. »

Propos recueillis par Clara Domingues – Clara Magazine


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