Assises 2011 de l'IEC L’éducation à la sexualité, une égalité à construire

Michel Bozon, lors de la journée du 10 octobre des Assises de l'IEC © IEC

L’Institut Emilie-du-Châtelet organise les 3, 10, 17 et 24 octobre 2011 ses Assises 2011. Cette année, elles ont pour thème l’éducation à l’égalité entre les sexes.
EGALITE, partenaire de cette action, publie des contributions d’intervenant-e-s et des articles sur les différents thèmes abordés.

Michel Bozon, sociologue à l’Institut national d’études démographiques (Ined), a organisé la deuxième journée des rencontres de l’Institut Emilie-du-Châtelet.

Michel Bozon, lors de la journée du 10 octobre des Assises de l'IEC © IEC

L’idée d’éducation à la sexualité est historiquement récente : elle n’a pas toujours existé. Dans ses formes initiales, elle ne s’adressait pas au même public et ne désignait pas les mêmes contenus qu’aujourd’hui.

L’idée, dominante en France aujourd’hui, qu’elle a pour cible l’adolescence et qu’elle se déroule au collège et au lycée, n’est toujours pas acceptée dans tous les contextes sociaux, culturels et nationaux.

L’idée peut paraître immorale dans une vision conservatrice où l’on considère que seule la famille a vocation à éduquer ses jeunes. Ou variante de l’idée précédente, que l’école ne peut transmettre qu’une éducation à la famille et aux valeurs familiales, en aucun cas à la sexualité. Ou encore que recommander l’abstinence aux adolescents, qui est une recommandation morale, est faire de l’éducation à la sexualité.

On peut aussi imaginer une critique libérale/libertaire selon laquelle l’éducation à la sexualité serait inutile, voire nuisible, car la sexualité serait une activité « naturelle », dans laquelle l’Etat ne doit pas intervenir.

Imaginer d’autres dispositifs éducatifs que l’école ?

Un second point qui fait question est la manière dont s’articulent, dans le domaine de la sexualité, l’éducation qui passe par l’école, et par la famille, et l’action éducative des autres instances et institutions qui transmettent des informations, des représentations et des recommandations en matière de sexualité, qui se sont mises à proliférer.

Pensons aux discours de la médecine et de la sexologie, aux campagnes de prévention, à la psychologie vulgarisée dans les médias, aux discussions entre pairs, aux œuvres littéraires, artistiques et cinématographiques, aux images explicites sur internet ou même aux résultats d’enquêtes sur la sexualité.

Nulle préoccupation d’égalité n’a véritablement cours dans les contextes cités. Contrairement à des mouvements sociaux, où la sexualité est objet de discours explicite, de débats et de recommandations, comme le mouvement féministe sous ses formes diverses (on peut compter le Planning familial comme une de ses composantes), le mouvement gay et lesbien, les associations de personnes handicapées. Enfin, des représentations de la sexualité sont présentes dans de nombreuses formes culturelles qui ne traitent pas apparemment de sexualité, comme la publicité.

L’un des objectifs affirmés dans la circulaire ministérielle de 2003 sur l’éducation à la sexualité est que l’école soit le lieu où se construit l’esprit critique à propos des représentations issues du monde social. A-t-elle vraiment la capacité de jouer ce rôle ? Et ne faut-il pas imaginer d’autres dispositifs pour intégrer et articuler les connaissances, représentations et expériences des individus en matière de sexualité ?

L’égalité n’est pas un objectif majeur

En troisième lieu, l’idée que l’égalité, entre les sexes et entre les sexualités, doive être un objectif central de l’éducation à la sexualité n’est pas un acquis, loin de là. En d’autres termes, considérer comme souhaitable l’égalité dans la sexualité et considérer qu’elle contribue à l’égalité dans la société en général ne sont pas des principes acceptés par tous.

En France un examen attentif des contenus, des pratiques, des manuels, des formations, des circulaires ministérielles concernant l’éducation à la sexualité, montre que l’égalité n’y est pas un objectif majeur.

Dans la circulaire ministérielle de 2003, qui réglemente toujours l’éducation sexuelle, divers objectifs sont mentionnés : « Analyser les enjeux, les contraintes, les limites, les interdits […] Se situer dans la différence des sexes et des générations[…] Favoriser des attitudes de responsabilité individuelle et collective… ».

L’égalité entre les sexes et les sexualités n’est pas au centre des préoccupations, elle apparaît seulement de façon indirecte, à travers la critique du sexisme et de l’homophobie.

A l’inverse, dans les pays scandinaves, l’égalité est posée comme un objectif politique central de l’éducation à la sexualité, lié aux notions d’égalité des droits en matière de sexualité et de bien-être sexuel.

Dans les contenus que l’école est censée transmettre, il y a des recommandations en matière de contraception et de prévention des IST et du sida, qui peuvent passer aussi par d’autres canaux, comme les campagnes de prévention, ou les consultations médicales.

Le fait que l’école fasse souvent appel à des intervenant-e-s externes pour remplir cette mission traduit bien ce fait. C’est peut-être ce que l’école fait de mieux, parce qu’il y a apparemment une information simple à transmettre.

Une présentation de la sexualité par ses aspects négatifs

Apparemment, dans les séances d’éducation à la sexualité, on parle toujours assez peu des relations dans lesquelles la sexualité prend place. Le fait de ne pas en parler amène à reconduire une représentation toute faite de la différence entre les femmes, qui seraient plus amoureuses/romantiques, et les hommes, plus intéressés par le sexe et par des relations sans engagement, comme le notait Elisa Jasmin dans un article d’Informations sociales (N°144, 2007).

Or, il y a une grande diversité d’attitudes chez les filles, qui n’ont pas toute une attitude romantique et intéressée par la vie de couple, et ont elles aussi des relations sans lendemain satisfaisantes.  Elisa Jasmin montre qu’il y a  dans les séances d’éducation sexuelle, une tendance des intervenant-e-s à encourager à la convergence vers un modèle « féminin », incitant à établir un lien entre sexualité et amour. Elle note qu’ainsi ce modèle « romantique » n’est ni interrogé, ni critiqué, alors qu’il contribue très évidemment à la persistance de la dichotomie entre les filles sérieuses et les filles pas sérieuses, stigmatisables.

Il est important de ne pas « dépolitiser » la sexualité et ses enjeux. Ainsi, aborder l’éducation à la sexualité comme une simple découverte de soi ou une manière de se situer personnellement est une démarche sans ambition, alors que l’éducation à la sexualité a vocation à être un moment d’apprentissage de l’égalité dans les relations intimes. Comme l’égalité n’existe pas, en rappeler la nécessité et l’objectif comprend nécessairement un aspect dérangeant et politique.

En définitive deux écueils principaux sont à éviter dans l’éducation à la sexualité.

Il y a d’abord le risque d’une « psychologisation » des inégalités de sexe, dont le risque est toujours tapi dans des formules comme l’ « égalité dans la différence », ou dans le traitement de l’homosexualité comme élément privé, éventuellement douloureux et problématique, mais qui doit être tu.

L’autre écueil est celui d’une présentation exclusive de la sexualité par les risques et les aspects négatifs en oubliant le plaisir et la contribution très positive à la construction de soi, ce qui reflète évidemment les préoccupations adultes, mais n’aide pas forcément les femmes et hommes jeunes à réfléchir sur les enjeux de l’égalité et de la sexualité.

Michel Bozon


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