Monde Israël, terre maudite pour les femmes ?

Couple haredi à Tel-Aviv © Ben Piven

Couple haredi à Tel-Aviv © Ben Piven

Pression religieuse, ségrégation officieuse, autocensure des acteurs économiques et politiques… Pas toujours évident d’être une femme et de faire entendre sa voix dans certaines villes d’Israël. Le pays pointe d’ailleurs désormais au 55e rang du Global Gender Gap Index, publié par le Forum économique mondial, qui mesure les différentiels femmes-hommes. L’Etat hébreu se retrouve dorénavant derrière la Mongolie, le Kirghizistan et la Namibie.

Quiconque arrive à Jérusalem par la gare routière est frappé par le côté ultra-religieux de la ville. Les hommes arborent de grands manteaux noirs, de grands chapeaux, les femmes, toutes en jupes, ont les cheveux voilés ou encore recouverts par une perruque. Ici la foi religieuse envahit complètement l’espace public.

Dans le centre de la ville, la pression se fait plus discrète mais pour autant, les écolières arborent toutes des jupes et des chemisiers amples, les étudiantes portent des manches longues, les jeans se font discrets… Simple respect de codes religieux très stricts, certes, mais pas seulement.

Les femmes rendues invisibles

Il faut dire qu’à Jérusalem, les communautés ultra-religieuses, autrefois cantonnées au quartier isolationniste et ultra-conservateur de Mea-Shearim, ne cessent de s’agrandir. Le développement est tel que ces mouvances sont représentées par un adjoint au maire et que les codes prônés par ces communautés ont largement dépassé les quartiers traditionnels.

Ainsi, alors que la ville compte près de 800 000 habitants, les panneaux publicitaires sont rares. Et pour cause, les visages des mannequins, principalement des femmes, sont tagués, les yeux recouverts de feutres noirs, les pancartes déchirées… Du vandalisme systématique qui a entraîné une autocensure des annonceurs.

Plus inquiétant encore, sur certaines lignes des transports publics, les bus sont divisés en deux zones de manière officieuse : l’avant est réservé aux hommes, les femmes et les enfants s’assoient à l’arrière. Et toutes celles qui refusent de se plier à ce chantage sexiste risquent bien plus que de simples remarques…

Le 28 décembre dernier, une jeune militaire a été menacée et violentée par des « hommes en noir » parce qu’elle refusait de s’asseoir au fond. « Ce n’est pas la première fois que cela m’arrive, confie-t-elle au journal Haaretz. J’ai même déjà été jetée dehors une fois que le bus était juste arrivé à mon arrêt. »

Plus tôt cet automne, c’est au sein de l’armée que les femmes avaient été victimes de discrimination. Interdites de chanter et de danser sur scène pour ne pas heurter les militaires les plus religieux, les femmes ont également dû faire bande à part lors de cérémonies religieuses.

L’exemple de Bet Shemesh

Cette petite ville, située entre Jérusalem et Tel-Aviv fait face depuis plus de six mois à une guerre virulente opposant la communauté à majorité orthodoxe à celle des ultra-orthodoxes, les Haredi (les « craignant-Dieu »). La pression exercée par cette frange de la population est telle que les femmes n’ont pas le droit d’emprunter certains trottoirs. Ils ont également arrêté la construction d’un centre commercial ou encore d’une route. Les chantiers sont à l’abandon.

Aujourd’hui, les ultra-orthodoxes saccagent les écoles, perturbent les cours et radicalisent les écoles religieuses. Dernier exemple en date : un groupe de parents d’élèves a voulu interdire aux pères d’assister aux spectacles de fin d’année de leurs petites filles.

C’est le lynchage d’une jeune adolescente, au début de l’automne, qui a mobilisé les parents contre cette radicalisation. Elève d’une école religieuse, elle a été frappée et molestée par une bande d’ « hommes en noir ». Elle ne doit son salut qu’au secours de voisins qui l’ont tirée d’affaire. Motif de l’agression : sa tenue n’était pas assez « modeste », comprenez, dans le langage orthodoxe, elle ne couvrait pas assez son corps.

Ces faits ont pris une nouvelle ampleur avec le témoignage fin décembre, sur la chaîne privée, Aroutz 2, d’une petite fille de 8 ans. Naama Margolis refuse d’aller à l’école à pied par peur des représailles. Elle s’est fait régulièrement cracher dessus et insulter. Là encore, sa tenue est remise en question. Pourtant élevée dans une famille orthodoxe américaine, la jeune élève semble bien loin des clichés de la lolita avec son pull à manches longues et sa longue jupe en jean.

Des « burqas juives » dans la rue

Cette folie de la « modestie » des femmes va même parfois plus loin. Dernière mode en date : la « burqa juive ». Légèrement différente de celle portée dans les pays musulmans, la burqa « ultra-orthodoxe » est composée d’une longue robe noire et d’un poncho recouvrant la tête, le visage, le cou et les épaules de la femme. Elle est apparue au sein d’un groupe sectaire de Bet Shemesh où même les petites filles son amenées à la porter. Aujourd’hui, même si la tenue est encore très décriée, il n’est plus rare de croiser des « dames en noir » dans les quartiers très conservateurs de Jérusalem.

Attention, pour autant, cette radicalisation n’est pas le refletde la société israélienne. Le pays est morcelé entre différentes cultures et traditions. Sur la côte, à Tel-Aviv ou Eilat, la réalité n’est pas la même. Ici, le tourisme et la culture occidentale dictent le quotidien. Qui plus est, Israël est une démocratie et prône l’égalité des sexes. De nombreuses affaires sont ainsi présentées devant la justice. Régulièrement des « hommes en noir » sont condamnés pour des cas de harcèlement.

La société civile s’est quand à elle, emparée du débat. Elle tente de répondre œil pour œil, dent pour dent à l’arbitraire des « men in black ». Les militaires sont exclues des cérémonies religieuses et ne peuvent plus chanter sur scène, alors des concerts sont organisés en plein Jérusalem. Les femmes sont exclues de l’avant des bus. Conséquence, des militants envahissent les lignes qui desservent les quartiers religieux. Aucune femme sur les publicités. Des centaines de posters de femmes sont alors accrochés aux balcons. Les femmes de Bet Shemesh ne sont pas assez « modestes » pour partager la rue avec les hommes. Un flash-mob géant réunissant 250 activistes, laïques ou religieuses, est aussitôt organisé dans les rues du quartier.

Le problème est d’une telle ampleur que lorsque Tanya Rosenblit, une jeune étudiante de 28 ans, refuse de quitter son siège à l’avant de son bus, une ligne traditionnellement réservée aux religieux, on l’appelle la nouvelle Rosa Parks. Effarant quand on sait que le combat mené par l’Américaine contre la ségrégation raciale, était quand même d’une toute autre ampleur et surtout qu’il a eu lieu en 1955.

Coraline Salvoch – EGALITE

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