Non classé La santé des femmes, un investissement rentable ?

Dans le cadre du 12e Forum international de l’Awid (Association for Women in Development), du 19 au 22 avril 2012 à Istanbul, une des très nombreuses sessions proposées était intitulée « Investissez dans les femmes – cela paye ! ».

Au vu du discours ambiant de ce forum généralement très critique de l’économie capitaliste et de son diktat de priorités, on pouvait s’attendre à un titre ironique. Mais non, c’était du premier degré : investir dans les filles et les femmes n’est pas seulement essentiel, cela a aussi un sens du point de vue économique.

En termes de productivité « perdue », la mortalité maternelle coûte au monde plus de 15 milliards de dollars par an.

Cette session portait donc sur la rentabilité des investissements en faveur de la santé et le bien-être des jeunes filles et des femmes. Pour soutirer de l’argent aux « riches », il faut « parler leur langage », expliquait sans complexe une des intervenantes. Une autre regrettait que la session ne fournisse pas de chiffres plus précis pour apporter la preuve de cette rentabilité par a + b.

L’argument est évident : des femmes et filles en bonne santé génèrent plus de productivité en travaillant elles-mêmes et produisent des effets positifs globaux sur la « reproduction de la force de travail » en général : ce sont elles qui nourrissent, vêtissent, blanchissent et soignent les travailleurs. Mais la croissance économique ainsi produite, à qui profite-elle ?

Un contexte de crise économique mondiale

Aujourd’hui, en pleine crise économique, la question du partage des bénéfices générés est moins à l’ordre du jour. L’inquiétude porte davantage sur le partage du fardeau de la dette et des coûts énormes que cette récession entraîne.

Les femmes et les filles sont particulièrement touchées par la crise, d’autres sessions lors de ce forum l’ont souligné : ce sont elles qui compensent largement les coupes dans les services publics par tous ces services et soins gratuits que l’on désigne par care economy ; ce sont elles – majoritaires parmi les salarié-e-s précaires – qui sont le plus concernées par les baisses de salaires, la perte d’avantages, les licenciements ; ce sont les filles qui sont déscolarisées en premier quand le budget du ménage baisse ; ce sont les filles et les femmes qui se voient contraintes à vendre leur corps pour finir les fins de mois.

Mais ne perdons pas de vue que les dernières décennies ont vu le partage des fruits de la croissance économique évoluer toujours plus en faveur du capital. Depuis longtemps, les salaires augmentent moins vite que les bénéfices des patrons et des actionnaires.

Et tout cela est accompagné d’une pression encore plus forte sur les travailleurs et surtout les travailleuses, à l’instar des ouvrières en zone franche, vivant sur place pour une disponibilité optimale, hors du respect d’une bonne partie du droit du travail, licenciées si elles tombent enceintes ou si elles tentent de se syndiquer.

L’économiste indienne Gita Sen, lors de la plénière d’ouverture de ce forum, l’a exprimé ainsi : le problème des femmes n’est pas tant qu’elles sont exclues de l’économie, mais qu’elles y sont intégrées par le bas et seulement comme un moyen au service de la croissance économique et du profit.

Un discours aux effets pervers

Tout le monde est d’accord sur la nécessité de renforcer les moyens en faveur de la santé et du bien-être des femmes et des filles et il est incontestable qu’il faut être pragmatique lors de la recherche des fonds pour les financer. Mais faut-il pour autant « vendre » la santé maternelle – produit phare de la gamme santé et bien-être des femmes et des filles – pour ses vertus de rentabilité ?

Attention aux effets pervers : et si une stérilisation forcée après le deuxième enfant augmentait encore l’effet positif sur le PIB ? Et s’il s’avère plus rentable de laisser mourir des femmes atteintes de maladies coûteuses et trop longues à soigner ? Et si ces investissements dans la santé s’avèrent contreproductifs parce que le marché du travail ne peut plus absorber cette force de travail revigorée supplémentaire ?

Et si les femmes et les filles n’avaient pas envie que leur santé soit considérée comme un placement rentable ? Mais plutôt comme un droit humain fondamental ? D’accord, c’est moins vendeur, mais ne vendons pas notre âme et nos vrais valeurs dans la course effrénée à l’argent. Certes, c’est le nerf de la guerre économique qui se déchaîne et nul ne peut l’ignorer. Mais choisissons nos armes avec beaucoup de précautions !

Elisabeth Hofmann – Genre en action

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