Non classé « La société civile marocaine s’est emparée du genre »

Zohra Mezgueldi

La notion de genre est-elle aussi difficilement acceptée au Maroc qu’en France ?

Pas du tout ! Il faut arrêter d’avoir des images stéréotypées de notre pays ! Contrairement à vous, nous n’avons pas hérité de la tradition jacobine et universaliste qui marque encore trop les esprits en France. Nous n’avons pas la même histoire, mais n’avons pas non plus de problème linguistique avec le mot « genre ». Nous sommes une société ouverte qui, un peu comme une éponge, absorbe et se réapproprie les faits culturels. C’est notre spécificité ! La société civile s’est donc emparée du genre pour l’appliquer au travail énorme qu’elle accomplit depuis longtemps, que ce soit dans le domaine de l’alphabétisation, la scolarisation des filles ou la violence domestique. Cette nouvelle approche permet par exemple de prendre en compte l’homme dans le cas des violences.

Comment cette notion s’est-elle imposée dans tous les domaines ?

Dès le départ, les mouvements de défense des droits des femmes mais aussi ceux des droits humains ont eu chez nous des préoccupations sociales et ont œuvré aussi bien dans le domaine du droit (du travail ou de la famille) que dans celui de la place des femmes dans la sphère publique ou dans le développement. C’est dans ce contexte que le genre a été introduit au début des années 2000 : l’organisation d’études universitaires spécialisées a permis à beaucoup de ces acteurs de la société civile de mieux comprendre les rapports sociaux de sexes et les inégalités qui en découlaient. Aujourd’hui, c’est ensemble que nous développons une réflexion critique pour déconstruire les représentations des sexes, entre autre dans les manuels scolaires. Nous comprenons combien ce sont les sociétés, les cultures, qui dictent les usages du genre et combien ces identités, ces statuts ou ces rôles construits sont donc modifiables.

Pour ma part, c’est depuis les années soixante-dix que mon travail a porté sur la place des hommes et des femmes dans la littérature et les images stéréotypées qu’elle véhiculait. Si bien que quand le genre a été introduit, je n’ai pas été dépaysée, bien au contraire ! On n’avait pas encore le concept, mais il allait en quelque sorte de soi.

Comment s’inscrit cette nouvelle approche dans le cadre des « printemps       arabes » ?

Nous ne parlons pas au Maroc de « printemps arabe » mais plutôt de « printemps démocratique ». Il est évidemment le cadre de débats de plus en plus durs sur la vision des hommes et des femmes dans notre société dans lesquels des courants conservateurs s’opposent aux modernistes. On a ainsi pu voir les religieux s’emparer eux aussi du concept de genre… Il faut donc se poser la question du risque de le voir récupéré, et de voir les associations de la société civile en être dépossédées. Mais je garde espoir : nous sommes une société très vivante, et le genre ne peut que la faire évoluer dans le bon sens. Ce qu’il faut aujourd’hui, c’est une volonté politique. Une stratégie nationale pour l’égalité et l’équité entre les sexes par l’intégration de l’approche genre dans les politiques et programmes de développement a été mise en place par le précédent gouvernement. On attend maintenant une concrétisation de cette stratégie, mais je pense que les forces vives du Maroc bougent les lignes jusqu’au sein du mouvement islamiste et que celui-ci ne pourra pas aller contre certaines avancées.

Moïra Sauvage — EGALITE

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