Non classé Médecine : ce que les préjugés sexistes coûtent aux femmes

Article publié dans Clara Magazine n° 134, novembre-décembre 2012

La médecine ne s’exerce pas en dehors des normes sociétales, elle a même souvent un rôle important à jouer dans la remise en cause ou la transmission de stéréotypes sexistes qui se fondent sur des caractéristiques essentialistes ou naturalistes. Il faut donc apprendre à interroger tout savoir, même si ce dernier semble, à première vue, inébranlable. La médecine jouit d’un statut de pouvoir associé à des valeurs positives. Pourtant, sa pratique peut se révéler sexiste.

 

Contraception masculine : casse-tête scientifique ou social ?

Depuis la seconde guerre mondiale, 13 nouveaux contraceptifs ont été mis au point pour les femmes sans qu’il n’y ait eu aucune innovation en matière de contraception masculine ; les hommes ont le choix entre le préservatif qui existait déjà et la vasectomie, mode de contraception irréversible. Le 9 mai 1960, la première pilule contraceptive pour les femmes sera lancée. 52 ans plus tard, la maîtrise des naissances est toujours principalement réservée aux femmes, l’équivalent masculin n’ayant toujours pas fait son coming out. Comment expliquer ce retard ? Les raisons physiologiques sont-elles les seules défiant les chercheurs ?

Courrier international racontait, en mars 2011, la découverte d’un chercheur indonésien qui a mis au point une pilule pour hommes à base de gendarusse, plante dont le principe actif possède la particularité d’inhiber la hyaluronidase, une enzyme sécrétée par les spermatozoïdes afin de pénétrer l’ovule. En neutralisant l’effet de cette enzyme, le gendarusse fait donc office de contraceptif masculin. Cet été, une étude américaine, publiée dans la revue médicale Cell, relatait la découverte d’une substance capable d’inhiber la production de spermatozoïdes et qui pourrait déboucher sur une pilule contraceptive masculine réversible.

Si les solutions scientifiques existent, pourquoi ne sortent-elles pas des laboratoires ? Ce qui freine l’arrivée de la pilule pour homme serait, entre autres critères, la peur d’altérer la libido des hommes. Mais, beaucoup de femmes témoignent d’une diminution de leur libido lors de l’utilisation d’une contraception. Pourquoi la libido des femmes n’est-elle pas soumise à tant de précautions et d’exigences ? Signalons que la méthode mise à jour en août dernier ne révèle aucun changement ou variation de l’appétit sexuel. Un autre paradigme consiste à considérer la maîtrise de la fécondité comme la responsabilité des femmes. Ce droit durement acquis n’est pas remis en cause par une pilule masculine. Au contraire, elle permettrait à celles qui rejettent le stérilet ou l’implant, qui ne supportent pas les contraceptifs hormonaux oraux ou autres, ou qui souffrent de trop d’effets secondaires, d’avoir recours à un autre moyen. Dans ce cas, la contraception masculine est une alternative intéressante pour le couple. De plus, alors que la société fait porter aux femmes la responsabilité de la conception, développer la contraception masculine serait un moyen de rééquilibrer les rapports femmes – hommes dans ce domaine.

 

Maladies cardio-vasculaires : inégalité dans l’appréciation et la prise en charge

Les maladies cardio-vasculaires constituent le problème de santé le plus négligé chez les femmes. C’est aussi le plus fatal. Selon la Fondation recherche cardio-vasculaire- Institut de France, une femme sur trois meurt de maladie cardio-vasculaire ; infarctus du myocarde, attaque cérébrale, sont les premières causes de mortalité chez les femmes. Or, le corps médical n’a pas tenu compte des cardiopathies féminines et la recherche cardio-vasculaire s’est concentrée sur la physiologie masculine. Pourtant, le coeur des femmes réagit aux traitements de façon spécifique.

Les médecins généralistes confondent souvent les symptômes cardio-vasculaires avec des signes de stress, les conséquences pouvant être dramatiques. Autrefois, on croyait que les signes avant coureurs chez les femmes différaient de ceux des hommes. Il se pourrait que ce soit faux. Les hommes, tout comme les femmes, peuvent ressentir les mêmes symptômes mais décrire leur douleur différemment. De plus, si avant la ménopause les femmes ont tendance à être protégées des maladies du coeur par l’effet protecteur de l’oestrogène, ce n’est pas toujours le cas et la vigilance à propos des symptômes doit être irréprochable.

Pour Danièle Hermann, présidente de la Fondation recherche cardio-vasculaire- Institut de France, « les maladies cardiovasculaires restent des maladies masculines, pour le corps médical. Encore en 2009, les études sur les maladies cardio-vasculaires ont été réalisées avec une proportion plus grande d’hommes que de femmes ! À cause de l’attitude machiste des chercheurs et des médecins, de ce déni de la réalité, de nombreuses femmes, dont certaines encore jeunes, décèdent des suites de maladies cardio-vasculaires. »

 

Sida : les femmes invisibles

Devant l’infection par le VIH, les femmes ne sont pas les égales des hommes. D’une part, elles sont plus susceptibles d’être infectées par le VIH que les hommes en raison de facteurs biologiques (1). D’autre part, les associations dénoncent le peu de prise en compte des femmes dans les protocoles et le traitement du sida.

Les effets secondaires indésirables des traitements antirétroviraux (2) varient de molécule à molécule, par individu et par interaction avec d’autres médicaments. Pourtant, les spécificités physiologiques ne sont pas retenues. Catherine Kapusta-Palmer, coordinatrice du collectif interassociatif  Femmes et VIH, souligne que beaucoup de questions restent sans réponse pour les femmes. « Les dérèglements hormonaux n’agissent pas de la même manière sur le corps d’une femme ou d’un homme et c’est toujours très difficile de le faire entendre à la recherche ».

En moyenne, seulement 18 % de femmes sont incluses dans les protocoles d’études ou d’essais cliniques, alors qu’elles sont aujourd’hui plus contaminées par le virus du sida que les hommes dans le monde. Selon Catherine Kapusta-Palmer, les chercheurs invoquent plusieurs types d’arguments. Inclure plus de femmes dans les protocoles de recherche fausserait les données, les résultats seraient plus difficiles à interpréter et le coût plus important. Cette explication détermine l’homme comme modèle unique de recherche alors que la femme serait la variable gênante. Rappelons que la posologie même des traitements est déduite de celle établie pour les hommes et donc parfois inadaptée. Le risque de grossesse, souvent invoqué par les chercheurs, finit par renvoyer les femmes à leur condition de mère, condition bien appréhendée par la médecine car, s’il y a eu des progrès exceptionnels ces dernières années, c’est dans le champ de la transmission du virus mère-enfant. Aujourd’hui, une femme séropositive peut donner la vie sans risque pour l’enfant.

La sous-représentation des femmes séropositives dans les recherches a des effets néfastes sur leur santé, puisque « ce sont les femmes elles-mêmes qui testent dans la vie les traitements » et que les questions spécifiques liées à leur corps, comme le suivi gynécologique, les problèmes hormonaux ou encore les effets secondaires des traitements, comme la lipodystrophie (3), auxquelles les femmes sont plus exposées que les hommes, ne sont pas traitées.

Beaucoup reste à faire pour redonner aux femmes une place importante dans les campagnes de prévention, les essais thérapeutiques et la prise en charge. Ces efforts se situent au carrefour des champs sanitaire et social, les déterminants sociaux pesant lourdement sur la santé des femmes. Le levier le plus important est assurément de promouvoir une recherche qui considère la population dans sa diversité. Une meilleure prise en compte du genre et des approches sociologiques dans la recherche médicale ne peut être que bénéfique.

 

Eugénie Forno – CLARA MAGAZINE

 

(1) Les zones de muqueuses exposées durant les rapports sexuels sont plus étendueschez les femmes que chez les hommes ; plus grande quantité de fluides transférés par l’homme que par la femme ; plus forte teneur en virus des fluides sexuels transmis par les hommes ; et des microdéchirures des tissus du vagin peuvent être causées par la pénétration sexuelle

(2) Un antirétroviral est une classe de médicaments utilisés pour le traitement des infections liées aux rétrovirus ; le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), responsable du sida, est un rétrovirus.

(3) La lipodystrophie prend la forme de réduction locale du tissu graisseux, effet secondaire fréquent constaté des hérapies antivirales utilisées contre le VIH. Les femmes présentent souvent une augmentation du volume du tronc et des seins, qui entraîne une masculinisation mal vécue de la silhouette. Les lipoatrophies (fonte des graisses), qui creusent les joues, s’observent plutôt chez les hommes.

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