Non classé Agricultrice et fière de l’être

Femmes-Agricultrices

 

Sa mère était agricultrice parce qu’elle avait épousé un agriculteur. Nathalie, elle, a choisi ce métier bien décidée à l’exercer à part entière. « J’ai toujours eu envie d’être agricultrice, c’était viscéral mais je voulais être toute seule pour gérer à ma manière», confie-t-elle. Et puis, la vie en a décidé autrement ;au lycée agricole, Nathalie rencontre un garçon qui partage ses convictions. Ils sont aujourd’hui agriculteurs ensemble, à part égale. Et toutes les décisions sont prises à deux. Y compris lorsqu’il s’agit de signer un bon de commande. « Je fais beaucoup rire les gens quand je dis que j’ai exigé une clause pour qu’on soit impérativement deux à signer les bons de commande supérieurs à 5000 € parce que ça engage l’exploitation et pourtant les vendeurs de matériel agricole sont toujours pressés de faire signer mon mari, mais jamais moi ! »

Pour Nathalie, ce travail à deux est une chance. Un mot qui revient régulièrement quand elle parle de son mari. Pour son premier engagement syndical, elle doit partir quinze jours au Canada alors que son fils n’a que neuf mois. A ce moment-là déjà, c’est son mari qui la pousse à partir, prenant en charge la maisonnée ; et depuis, il est toujours là pour l’encourager. Evoquant la médaille du mérite agricole qu’elle va prochainement recevoir, Nathalie sourit : « c’est à mon mari et à mes enfants qu’il faudrait la remettre ! » Sans eux, en effet, elle avoue qu’elle baisserait parfois les bras. Mais dans les moments difficiles, quand elle se heurte aux idées peu progressistes d’un monde agricole encore très masculin, c’est son mari qui la remet sur les rails. « Tu es l’aiguillon qui les emmerde. Si tu pars tu vas leur rendre service » ou encore « bats-toi, si ce n’est pas toi qui en profite, ce seront les générations futures. »

« Défendre le statut que maman n’a jamais eu »

Nathalie s’emploie en effet à défendre l’idée qu’un métier qui se prive de l’un des sexes est « un métier qui meurt ». Et si on lui parle de force physique, la réponse ne se fait pas attendre. « Quand une femme trouve une position alternative pour palier son manque de force physique ce sont aussi les hommes qui en bénéficient. » Elle dit encore : « avoir des femmes dans une équipe d’hommes, c’est une autre façon de penser et une autre conception des choses ». Dernièrement, un concepteur de matériel agricole lui avouait n’avoir jamais intégré de femmes dans ces bureaux d’études ; un manque que Nathalie entend combler prochainement, sûre que les techniques utilisées par exemple dans la conception des cuisines aménagées trouveraient tout à fait leur place dans d’autres domaines notamment l’agriculture et permettraient de rendre certains travaux moins pénibles pour les femmes mais aussi pour les hommes.

Avant son mari, un autre homme a beaucoup compté dans la détermination de Nathalie : son père. « Je suis issue d’une famille très modeste» , raconte-t-elle. « J’ai commencé à travailler à 14 ans pour financer mes études. Et j’entendais souvent mon père dire que les syndicalistes ne défendaient que leurs propres intérêts alors je lui avais promis : si j’ai le bonheur de devenir agricultrice, je m’engagerai pour les femmes et pour défendre le statut que maman n’a jamais eu. »

Promesse tenue. Aujourd’hui, Nathalie est responsable de l’association Agriculture au Féminin et pense que son père est fier d’elle. Un père très présent dans son parcours, qui l’a encouragée à poursuivre des études agricoles quand sa mère l’aurait plutôt vue faire de la couture et que toutes les conseillères d’orientation lui disaient que ce n’était pas la place d’une femme. Difficile aussi de trouver des stages formateurs pour les filles à qui  on réservait surtout les travaux ménagers et la traite des vaches ! Mais pour Nathalie, les obstacles se transforment toujours en motivation. Devenue agricultrice en 1998, elle n’oublie pas ses difficultés et décide de s’engager pour faire bouger les choses. Du syndicat elle passe à la chambre départementale puis à la chambre régionale de Bretagne, une région où les femmes représentent un tiers des actifs agricoles (soit environ 24 000 personnes).


« Je me suis toujours épanouie dans mon métier »

Aujourd’hui à 46 ans, Nathalie dit ne pas souffrir de l’image de la femme agricultrice. « J’ai souffert de cette image quand j’étais enfant. Mes copains de classe se moquaient de moi parce que j’étais fille de paysans et comme mes parents n’avaient pas trop les moyens, ça se voyait dans mes vêtements, mes loisirs, etc. » Et d’évoquer ce Père Noël injuste qui lui aussi faisait des différences et ne lui apportait jamais les cadeaux qu’elle souhaitait. Alors pour éviter ce type de déception à leurs enfants, Nathalie et son mari ont choisi d’élever leurs filles et leur fils, aujourd’hui âgé-e-s de 18, 20 et 22 ans, en toute transparence : «Ils ont toujours tout partagé, nos problèmes financiers comme nos joies professionnelles». Et n’ont jamais cru au Père Noël! Si aucun ne se prépare véritablement à reprendre l’exploitation puisqu’ils étudient tous les trois dans des domaines différents (droit des affaires, géologie, sciences de l’ingénieur) il n’est pas inenvisageable non plus qu’ils s’imaginent dans l’avenir poursuivant à trois le travail entamé par leurs parents.

« Je me suis toujours épanouie dans mon métier »  explique encore Nathalie «  parce que j’ai toujours su en parler aux autres. » Quand ses enfants fréquentaient l’école maternelle ou élémentaire elle s’investissait dans les associations de parents d’élèves et organisait visites à la ferme et autres dégustations de produits laitiers ou de céréales. De même ses enfants, tout petits, avaient pris l’habitude d’inviter des copains à la maison et de passer du temps dans la porcherie à jouer avec les petits cochons.

Cette image de femme heureuse et épanouie dans son activité professionnelle, Nathalie la défend au quotidien dans ses combats pour la reconnaissance des femmes en agriculture. Après des débuts un peu difficiles – elle n’oubliera jamais ce collègue  lui conseillant de « retourner à ses casseroles » dans une réunion régionale – elle est devenue incontournable sur les questions d’élevage porcin en Bretagne et reconnaît avoir rencontré dans cette filière des hommes ouverts qui ont toujours vu d’abord ses compétences avant son sexe. Elle déborde déjà de projets pour le nouveau mandat qu’elle espère bien obtenir aux prochaines élections des chambres d’agriculture en janvier 2013 et notamment reprendre le projet de crèche parentale à la Chambre régionale qu’elle n’a pas réussi à mettre en place durant le mandat qui s’achève.

Pour la première fois dans ce type d’élection, une loi va favoriser l’engagement des femmes. Par le décret du 29 juin 2012, il est fait obligation à  chaque liste de présenter au moins un candidat de chaque sexe par tranche de trois candidats. Dans les faits, donc, les assemblées départementales seront constituées d’au moins une femme pour deux hommes. Ce n’est pas encore la parité, mais cela représentera à peu près la proportion des femmes actives en agriculture. Et Nathalie rêve déjà de voir, dans six ans, une femme prendre la présidence de la Chambre régionale de Bretagne.

Geneviève ROY

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