Articles récents \ France \ Société Le Local, lieu d’ancrage et de rebond pour les femmes en errance

L’association Femmes SDF, créée en 2000 à Lyon, s’est constituée autour des questions que pose l’existence des femmes SDF. Quelle histoire personnelle les a conduites dans cette situation ? L’errance féminine est-elle identique à l’errance masculine ?… L’association a pour objectif de faire changer le regard de la société sur ces femmes, et de faire changer le regard que ces femmes portent sur elles-mêmes. L’originalité du travail mené par l’association est aussi d’impliquer les femmes concernées et de s’appuyer sur leur parole et leur vécu. En décembre 2004, le Local des femmes SDF a ouvert ses portes. Maïwen Abjean, directrice de l’association présente le Local.

Quels sont les principes de fonctionnement du Local ?
Le Local des femmes a été inventé, dans un entre-deux, hors de la rue et en amont de l’insertion, pour permettre à ces femmes avec le temps de rompre avec l’errance. Trois permanences d’accueil permettent aux femmes de venir se poser dans la journée, de s’accorder du bien-être, dans l’anonymat et la sécurité. C’est un espace protégé qui prend en compte la personne dans sa globalité et redonne sa place à un corps particulièrement mis à mal, agressé, violenté.
Ce lieu leur offre plusieurs possibilités de renouer au bien-être et aux soins : la douche, le bain, une chambre avec de bons lits, les crèmes, le maquillage. Elles peuvent « poser leur corps de femme », s’abandonner et se sentir peu à peu en paix. Elles peuvent prendre du temps pour elles. Elles peuvent se stabiliser en étant bien dans leur peau. Elles peuvent « raconter leurs cicatrices  » , « dire les ampoules aux pieds », parler de leurs maux.
Elles vont ainsi renouer avec leur corps, avec leur intimité, avec elles mêmes : changer le regard qu’elles ont sur elles-mêmes, retrouver confiance en elles.
Ce lieu est aussi un premier point d’ancrage. Elles sont « en mille morceaux », c’est l’essence même de l’errance. Avec le temps, au Local, la personne se rassemble. Aller vers un lieu qui existe, s’y autoriser une pause, c’est sortir du circuit de la rue, de l’errance et de leur enfermement. C’est risquer des rencontres, la confrontation avec un monde autre que la rue.
Ces temps de pause leur offrent l’opportunité de se reconnecter aux gestes de la vie ordinaire, tels que choisir ce que l’on veut manger, le préparer ensemble, manger sur une table, mettre la table, prendre des habitudes lors de leur passage… Tous ces petits riens de la vie ordinaire qu’elles retrouvent en ce lieu, sont des premiers pas vers la réémergence du désir. Retrouver le désir, le partager avec d’autres, c’est à nouveau se sentir exister au milieu des autres.
Ce Local des femmes est enfin un lieu d’accompagnement individuel et collectif. Les femmes qui le souhaitent peuvent solliciter le soutien de l’équipe pour être accompagnées dans leurs démarches (logement, administratif, santé, juridique, lien familial…) Le rôle du Local des femmes est alors de faciliter, de mettre en lien, de donner accès, de rassurer, d’accompagner, de contenir, pour que ces femmes puissent avoir accès à leurs droits et les exercer.
Les femmes qui le souhaitent sont également accompagnées collectivement, pour prendre une place, participer, s’impliquer dans des projets.
Quelles sont les différences par rapport à un accueil pour hommes SDF ?
L’association est fondée sur la reconnaissance et la prise en compte des spécificités du vécu des femmes en errance :
– Conditions de survie : corps abîmé et oublié, contraintes liées à l’hygiène, problèmes de santé spécifiques.
– Stratégies de protection : invisibilité (se cacher), masculinisation, protection d’un compagnon / d’un groupe / d’un chien, perte de son identité sexuée.
– Violences spécifiques : relations hommes/femmes primaires (espace public majoritairement masculin), violences conjugales, agressions dont agressions sexuelles, prostitution de survie…
– Honte, culpabilité, regard de la société particulièrement culpabilisateur sur les femmes.
Quel est le profil de ces femmes ? Combien de femmes avez-vous reçues depuis l’ouverture du Local ?
A ce jour, près de 900 femmes ont poussé la porte du Local, avec des profils et des parcours très hétérogènes et présentant des problématiques diverses.
Par rapport au logement : situation de vie à la rue (dormant ou ayant dormi dans des lieux non prévus pour l’habitation (rue, squat, tente, voiture, gare…), ou en hébergement chez des tiers en système débrouille et de manière instable, en hébergement d’urgence, en hébergement d’insertion, en logement accompagné, en logement de droit commun.
Par rapport à la situation administrative : femmes seules ou en famille (très souvent familles monoparentales), françaises, ressortissantes de l’Union Européenne et hors UE, en demande d’asile (Congo, Angola…), en demande de titre de séjour, sans-papiers…
Par rapport aux ressources financières : grande précarité matérielle, bénéficiaires des minimas sociaux, très petites retraites, absence totale de ressources financières, manche, non-recours aux droits sociaux.
Par rapport à la santé : problématique omniprésente de santé physique et/ou mentale, grande souffrance psychique, suivis psychiatriques fréquents, nombreuses hospitalisations, difficultés d’accès aux droits et aux soins, problématique d’addictions, non-recours aux soins.
Par rapport au lien social et familial : pauvreté/rupture des liens familiaux, isolement, ruptures multiples de liens sociaux, souvent histoires de placement.
Par rapport à la citoyenneté : peu accès à la parole et à l’expression, en marge des dispositifs de participation citoyenne, pas de participation à l’action collective et sociale.
Il est à noter que ces femmes sont de tout âge (de 18 à 80 ans), et que 50% ont moins de 40 ans ; qu’elles sont de plus en plus en situation d’errance avec leurs enfants ; qu’elles peuvent être accompagnées d’animaux. Ces femmes cumulent très souvent plusieurs de ces difficultés, et ce de manière persistante.
Toutes vivent une forte souffrance intérieure et répètent des  situations d’échecs et de violences très dures, elles sont dans un cycle dont elles ont beaucoup de mal à sortir. Beaucoup d’entre elles ont un lourd passé vécu dans la famille ou ailleurs.
Depuis l’ouverture du Local, nous avons eu plus de 15 000 passages. Certaines viennent très régulièrement, d’autres viennent plus épisodiquement mais gardent tout de même un lien privilégié avec l’association, certaines viennent une fois et on ne les revoit jamais…

L’année 2015
L’année 2015 a marqué une très forte augmentation de la fréquentation par rapport à l’année 2014, qui représentait déjà l’année la plus intense en termes de fréquentation depuis la création de l’accueil de jour.
+30% en nombre de passages.
+40% en nombre de femmes différentes accueillies.
+70% en nombre de nouvelles femmes accueillies.
Mais 2015 fut une année clé de tous points de vue : explosion du nombre de passages et de femmes accueillies au Local, sur-fréquentation des accueils, saturation des services et dispositifs d’accompagnement social, d’hébergement, de santé (accès bloqués, délais particulièrement longs, durcissement des voies d’accès…).

Quelles améliorations observez-vous après leur passage ?
Les évolutions s’effectuent de manière très subtile et progressive, mais profonde.
Tout d’abord, la possibilité de se poser, de prendre soin de soi, de retrouver les rituels de la vie quotidienne, de reprendre « sa » parole, contribue à un mieux-être, à une meilleure santé, au sens global du terme. Avec notre soutien, certaines s’engagent dans des démarches pour accéder aux soins, à un hébergement ou un logement, à une activité professionnelle. Elles finissent par changer de regard sur elles-mêmes et sur les autres femmes ayant des parcours et des vécus très hétérogènes. Des solidarités et des amitiés naissent.
Le fait de participer à la vie du Local (courses, repas, ménage, conseil de vie sociale), aux maraudes avec l’équipe salariée, aux actions de sensibilisation et autres projets de l’association (spectacle, recherche-action sur le lieu de vie) les sociabilise.
Enfin, souvent ces femmes « se rassemblent ». Avec le temps, dans la construction d’un lien même fragile, renouent avec leur histoire, parfois avec leur famille.
 
Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine
 
 
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