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Depuis début octobre, à l’occasion de la semaine de l’égalité professionnelle, une campagne choc a été lancée par l’Ugict-CGT pour mettre le projecteur sur un phénomène bien trop répandu. Etre mère et travailler apparaît souvent comme deux choix distincts alors qu’il s’agit du quotidien de nombreuses femmes. Les remarques déplacées, les discriminations à l’embauche, les contrats qui ne se renouvellent pas, l’activité du ventre des femmes est devenue un problème central dans un monde du travail patriarcal. La campagne « Vie de mère » permet de libérer la parole des femmes et de proposer de nouveaux modèles pour mettre fin à ce dilemme qui ne doit pas en être un.

 

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Les femmes ont désormais un espace pour témoigner, rendre public les remarques qu’elles subissent au détour d’une réunion ou d’une pause café. Il suffit simplement d’ajouter une phrase sur le site « Vie de mère »de manière anonyme ou non, ou de la twitter en ajoutant #ViedeMère. Il s’agit aussi de pouvoir faire des propositions pour changer les cadres du travail et favoriser les transitions vie professionnelle/vie privée. Par exemple, il faudrait « santionner les entreprises qui discriminent », ou « mieux indemniser le congès parentale » pour encourager les pères à en prendre. Bien plus efficace que n’importe quelle campagne de sensibilisation, le site regorge de témoignages et de chiffres clés.
 
 

Témoignage

Sarah : licenciée 3 jours après les 4 semaines de protection suivant le congé maternité
En 2005, je deviens responsable du service logistique de mon entreprise et j’intègre le Comité de direction – j’étais fière d’être la première femme au Codir !
Entre 2005 et 2008, j’apprends énormément de choses sur le management et le métier de la logistique dont je ne suis pas initialement issue.
En 2008, un nouveau directeur de site est nommé. Jusqu’à cette période, et l’année qui va suivre, je suis bien notée, je perçois des primes et j’ai des augmentations de salaires chaque année.
Quelques mois après son arrivée, le directeur de site me reproche de protéger mon équipe, de faire trop de « social ». Or « soit je suis avec eux (la direction), soit je suis contre eux » dixit ce directeur de site.
La direction ne va pas cesser de faire monter la pression pour que je me plie à leurs méthodes de management. Défaut de moyens, surcharge de travail… J’essaie tant bien que mal de faire en sorte que mon service tourne le mieux possible et pour que mon équipe reste motivée.
En décembre 2009, je suis très fatiguée : j’apprends avec joie que je suis enceinte… Un bébé attendu depuis longtemps et inespéré !
Je suis malade et fatiguée… Les bruits de couloir circulent vite et les questions ne tardent pas.
J’informe mon responsable hiérarchique de ma grossesse, et sur conseil de mes collègues, j’envoie un courrier en ARC le 11 mars 2010 pour déclarer ma grossesse.
Je suis convoquée le 22 Mars pour parler de la date de mon congé maternité. Le DRH profite de cet entretien pour me proposer une rupture conventionnelle de contrat. Si je n’accepte pas, dit-il, ils vont continuer à me mettre de plus en plus la pression, ce qui sera mauvais pour «la santé de mon petit bébé».
Face à ces menaces ignobles, je prends contact avec la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (la Halde). J’ai toujours le même problème, ces pressions se font oralement, et il n’y a pas d’écrit. Cette personne me conseille d’exprimer mon refus par écrit.
Je refuse donc cette proposition de rupture conventionnelle par écrit le 24 mars, et la pression monte d’un cran. Le DRH me répond par mail de façon très agressive en niant toute proposition et en m’accusant de vouloir semer la zizanie autour de moi.
Un peu perdue face à autant mépris, je retourne dans son bureau afin d’essayer de comprendre pourquoi il fait preuve d’autant d’agressivité et de mensonges. Il me dira que « ce qui est dit est dit, et ne doit pas être écrit, c’est la règle », que « de toute façon, il niera avoir fait une telle proposition si on lui pose la question ». J’aborde également le sujet du harcèlement que je subis depuis plusieurs mois, il me rit au nez en me disant que je ne sais pas ce que c’est et en me demandant la définition de ce mot. Je sors de cet entretien bouleversée, en croisant en pleurs le responsable syndical de l’entreprise.
Pendant les mois qui vont suivre, la pression va devenir insoutenable. Les accusations et reproches abondent. Le représentant de la Halde, avec qui je suis restée en contact est d’accord avec moi, cette grossesse est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Ma santé décline (extra systoles, contractions, hospitalisation…) et la pression s’intensifie. Mon médecin est inquiet, tout comme le médecin du travail, que je rencontre au mois d’avril 2010.
Le 21 mai 2010, mon entreprise m’envoie en ARC un courrier de convocation pour un entretien préalable à un licenciement planifié le 21 décembre 2010, soit 7 mois plus tard et 3 jour après les 4 semaines de protection faisant suite au congé maternité ! Je suis à ce moment enceinte de 6 mois. Lorsque je reçois ce courrier, je fais un malaise, et je me rends le lendemain chez mon médecin, qui vu mon état de santé, me mettra en arrêt de travail jusqu’au congé maternité. Je prends contact avec l’inspection du travail, un avocat, et je récupère un maximum d’éléments pour assurer ma défense.
J’ai repris le travail le 13 décembre 2010. Mon entretien a eu lieu le 21 décembre 2010, accompagnée du responsable syndical Cgt. Cet entretien était une compilation de points de détails truffé d’allégations mensongères. Le DRH et le directeur de site me convoquent le 24 décembre après-midi afin de me faire part de la décision de me licencier, un petit cadeau de Noël…
Étant très bien entourée et conseillée, je décide quelques semaines plus tard de rencontrer François CLERC, Responsable des Discriminations CGT et Emmanuelle BOUSSARD-VERRECCHIA, avocate au barreau de Versailles. Nous décidons ensemble de monter un dossier et de nous battre. Au fil des mois, nous allons être sollicités par de nombreux journalistes intéressés par mon histoire. Je décide, pour le principe, de demander au tribunal des prud’hommes de Tours la nullité du licenciement. De nombreuses personnes se mobilisent dans l’entreprise (salariés, CGT, CHSCT….) et en dehors (Halde, inspection du travail…)… Une formidable solidarité se met en place autour de moi.
Le 4 Avril 2012, le tribunal des prud’hommes de Tours rend son jugement : il annule mon licenciement et ordonne ma réintégration dans l’entreprise à partir du 5 Avril (avec une astreinte de 1000 euros par jour de retard…), il m’octroie aussi des dommages et intérêts pour avoir mis en danger la vie de mon enfant. Une belle victoire ! J’étais heureuse pour moi, et surtout heureuse pour toutes celles et tous ceux qui étaient présents à mes côtés.
Néanmoins, cette victoire a eu un goût un peu amer. La société a refusé de respecter ce jugement sous prétexte que mon poste n’existait plus. Le directeur du site est toujours en place et n’a pas été inquiété pour ce qu’il a fait… J’ai été réintégrée physiquement dans l’entreprise, mais j’étais isolée, seule dans un bureau. Aucun poste équivalent ne m’a été proposé. L’entreprise a joué la montre en espérant que je parte, ce que j’ai fini par faire en septembre 2013 via une transaction.
Pour ne plus avoir a géré ce type de problème, ils ont désormais trouvé la solution. En 2010, il y avait 4 femmes en Comité de Direction. Aujourd’hui, il n’y en a plus aucune.
Depuis j’ai fait une formation de Master II en droit social et j’ai retrouvé un poste en CDI depuis octobre 2015.

Charlotte Mongibeaux 50/50 Magazine
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