Articles récents \ DÉBATS \ Témoignages Zak Ostmane : Genre Interdit

En solidarité avec Zak Ostmane, séquestré, battu et violé pendant pendant plus de 48 h. début mars à Marseille, nous republions son témoignage.

La répression et l’élimination physique de la pensée et de l’identité des personnes homosexuelles, bisexuelles ou trans, durant les années de braise algériennes, malheureusement, n’est pas la première dans les annales de l’histoire de l’humanité. Ici et là, les minorités identitaires, religieuses ou sexuelles, ont de tout temps été discriminées, voire même purement et simplement éliminées. En Syrie et en Irak, DAESH s’est attaqué en premier aux femmes, aux personnes LGBTI, aux chrétiens d’Orient et à tout ce qui n’est pas conforme à leur doctrine appliquée de manière totalitaire. Aujourd’hui, le problème du soi-disant « khalife » semble sur le point d’être circonscrit par les armes, mais le problème du fascisme identitaire, religieux et sexuel, sera-t-il pour autant réglé de manière définitive au sein des sociétés et des communautés de la diaspora dites « arabo-musulmanes » ?

En Algérie, durant la terrible décennie noire des années 1990, plus d’un millier d’homosexuel-les et de transsexuel-les ont été menacé-es, enlevé-es, sauvagement assassiné-es, ont disparu, du simple fait d’être différent-e-s. Bien sûr la presse, les écrivains, les intellectuels, les artistes et le reste de la société civile algérienne ont préféré, pour la plupart, se taire à ce sujet, fermer les yeux comme si rien ne s’était passé. Même morts, les homosexuel-les Algérien-nes, victimes de la barbarie des années de sang, dérangent. Scandaleux, répugnant et grave ! Quand une société arrive à ce stade de silence elle tombe en décomposition, elle se vide des principes d’une nation qui veut être démocratique, progressiste et moderne. Une nation qui dit vouloir se débarrasser d’un régime dictatorial à la démocratie de façade.

Ce phénomène qui consiste à éliminer de l’espace public les individus dits « anormaux » n’est pas pour autant propre au Maghreb et aux sociétés dites « arabes » 

Si on revient à l’histoire du XXe siècle en Europe, pendant la deuxième guerre mondiale, des milliers de personnes LGBT ont été déportées, marquées du triangle rose, lobotomisées, torturées, violées, assassinées en Allemagne et en France, soit par la police de Vichy, soit du fait des rafles des Nazis et des SS, comme ailleurs en Europe dans cette période. Dans un tel contexte historique postmoderne, DAESH est une résurgence en temps de crise, de l’autre côté de la Méditerranée, de nos instincts humains les plus ataviques. C’est la raison pour laquelle notre histoire doit être écrite, car nous sommes les premiers à affronter les signes avant-coureurs de maelströms géopolitiques qui peuvent tout emporter sur leur passage.

L’Histoire mettra à nu ces hommes et ces femmes qui ont préféré oublier, et ne pas voir la réalité en face, par conformisme religieux, au nom de la « morale » ou par intérêt politique tout simplement ; les soi-disant « représentants » oligarchiques du peuple algérien sont plus soucieux de la virginité et de la réputation des femmes de notre pays que de notre propre avenir ! Un peuple sans aucun repère, une société complexée, aux institutions politiques archaïques, qui est vide de sens et de toute conscience humaine. Ce jour-là, ces hommes et ces femmes auront à répondre devant les futures générations qui chercheront à savoir, à connaitre la vérité sur ce qui s’est passé durant les années 1990 !

Cinquante ans après la déportation des juifs, homosexuel-es, tsiganes, communistes, invalides, l’histoire s’est reproduite chez nous en Algérie, et maintenant en Syrie, en Irak, en Libye, au Mali…

Par le biais d’une forme nouvelle de fascisation soi-disant « religieuse », qui en réalité n’a rien de spirituelle, qui est à l’assaut du pouvoir. Pour ceux qui ont la mémoire courte, je relate avec force détails les histoires des personnes victimes de cette folie meurtrière au nom de l’islam politique en Algérie durant la décennie noire, afin que leurs mémoires ne soit pas oubliée, afin que leurs vies nous servent à tou-te-s, afin d’en apprendre plus sur ces fascismes d’un nouveau genre.

Je pense notamment à Flifla, qui était couturier à la Casbah d’Alger, assassiné dans d’atroces conditions, Toum égorgé le soir du mariage de sa sœur sur les berges de l’oued, Djamel torturé à coup de barbelés et Madona la Trans récemment agressée par une meute de transphobes frustrés. Car les groupes terroristes de l’état soi-disant islamique, DAESH, appliquent la même sentence aux homosexuel-e-s que le Soudan, l’Indonésie, l’Iran, l’Arabie saoudite et le Qatar, les amis chers de la France, des Etats-Unis d’Amérique et du reste de l’Occident. DAESH condamne les homosexuelles en les jetant du haut sommet des immeubles, en public ! Une barbarie qui en rappelle une autre, cette fois-ci elle se déroule au XVIIe siècle, celle de la France des « lumières », qui organisait des bûchers devant l’hôtel de ville de Paris pour brûler les couples homosexuel-e-s, le dernier datant de 1750.

Qu’on ne s’y trompe pas : malgré tout ce que peuvent dire les extrémistes de tous bords, les racistes, les islamophobes, les islamistes, ces pogroms, sous prétexte de « genre interdit », n’ont rien à voir avec la culture nord-africaines, ni même avec l’islam. Des siècles durant, de nombreux couples d’artistes gays, intellectuel-es et écrivain-es, vivaient librement leurs homosexualité en Afrique du nord ou au Moyen-Orient, avant les colonisations qui ont criminalisée les sexualités dites « alternatives ». En France, la révolution avait décidé la dépénalisation de la « sodomie » en 1791, mais le 6 août 1942, le maréchal Pétain approuve une loi modifiant l’article 334 du code pénal qui distingue l’âge de la majorité hétérosexuelle (15 ans) et l’âge de la majorité homosexuelle (21 ans). C’est la loi n°744 du 6 août 1942. Elle a été abrogée par la loi du 4 août 1982. Trente cinq ans plus tard, le 17 octobre 2016, une coalition internationale disait sonner le glas de l’état soi-disant islamique.

Pourtant, la question reste entière : le sort des minorités sexuelles, ethniques et religieuses, sera-t-il de se faire massacrer en silence tous les vingt ans par des groupes fascistes, en besoin de terroriser les populations civiles, s’attaquant en premier lieu aux groupes minoritaires visibles ? Quelles solutions sur le long terme proposons-nous pour celles et ceux, de l’autre côté de la Méditerranée, qui ont à faire face à des révolutions politiques sociales et désormais écologiques ? Un invariant transgéographique et transhistorique reste certain : tous les fascistes à venir – et il y en aura encore – s’attaqueront préférentiellement, et en premier lieu, aux minorités, afin d’asseoir leur pouvoir par le biais de la désinformation, de la propagande et de la terreur.

« Genre Interdit » n’est pas un traité politique : cet ouvrage, entre autobiographie et essai analyse factuel, contribue au débat en confrontant les points de vues, en posant plus de questions qu’il n’apporte de réponses toutes faites. En revanche, ce livre témoigne du fait qu’il est possible de s’affranchir de nos atavismes premiers, que d’autres dynamiques sociopolitiques sont nécessaires pour les générations à venir.

Zak Ostmane

Zak Ostmane et Dr Imam Ludovic-Mohamed Zahed: Genre interdit. Ed CALEM, 2016

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